Spec Ops: The Line
7.3
Spec Ops: The Line

Jeu de Yager Development et 2K Games (2012PlayStation 3)

Spec Ops The Line est un jeu qui me laisse perplexe. Je n’ai entendu parler de lui que très tardivement, sans doute parce que je ne suis pas un habitué des Call of Duty et autres jeux de guerre même s’il m’est arrivé d’en faire occasionnellement par le passé. Pourtant, en le voyant régulièrement apparaitre dans les tops des meilleurs scenarios de jeux vidéo et des meilleurs twists narratifs, il a soudainement suscité ma curiosité, je me devais de rattraper ce classique un jour. Voilà qui est désormais chose faites mais je dois dire que, bien que j’en comprenne parfaitement l’impact, j’ai du mal à adhérer pleinement à cet enthousiasme laudatif.



(CRITIQUE AVEC SPOILERS, ARRETEZ VOUS LA SI VOUS N’AVEZ PAS FAIT LE JEU)



A première vue Spec Ops The Line se présente comme un shooter des plus banal, rien de particulièrement transcendant et encore moins innovent dans son gameplay, ses dialogues ou son level design. Ce n’est pas forcément un défaut dont je me soucis particulièrement, je n’ai jamais reproché à un jeu de ne pas être suffisamment game changer, à mes yeux c’est même une impasse dépréciative dans laquelle tombent souvent les gens qui veulent intellectualiser les choses, personnellement, si un jeu est bon dans ce qu’il propose, c’est tout ce qui m’importe. Cependant cette sobriété ludique est probablement intentionnelle, afin de berner le joueur en mimant les œuvres vidéoludique ou cinématographique dont il se veut être l’antithèse. Car oui, comme nous allons le voir, Spec Ops The Line est en réalité une satire du soft power Américain. Déjà, le premier élément qui saute aux yeux, ou plutôt aux oreilles, c’est le thème du menu, l’hymne Américain repris à la guitare électrique, totalement dissonant, accompagné d’un drapeau (Américain toujours) déchiré par les tempêtes de sable d’un Dubaï « post apo » à moitié ensevelie sous les dunes en arrière-plan. Une ambiance particulière qui laisse présager une conclusion plutôt sombre. Chose qui se confirme au fil du temps puisque si l’on prend la peine de faire plusieurs sessions, on pourra voir ce menu évoluer en fonction de notre progression, avec par exemple un cadavre de soldat au pied du drapeau.


Ce n’est pas la seule chose qui évolue, les modèles de nos personnages sont de plus en plus amochés au cours du récit (trace de sang, œil au beurre noir, vêtements déchirés, salis, gilet par balle cabossé), ce souci du détail est étonnant et la chose est assez rare pour être soulignée. Il y a également un vrai soin apporté aux animations faciales qui s’avèrent assez bluffantes pour l’époque. Et ce n’est pas tout, les plus attentif remarquerons que les cut scène sont réalisées en caméra épaule tel un reportage sur la guerre, c’est une excellente idée qui rappel un peu Gears of War aussi lorsqu’on se met à courir et qui fonctionne surtout super bien pour le propos exprimé. Pour ne rien gâcher, le tout est sublimé par un esthétisme remarquable, une science du cadrage et de la photographie, sans doute inspiré par des films tel qu’Apocalypse Now. S’ajoute à cela une bande son rock année 70 parfaitement intégrée au jeu, de manière diégétique même puisque diffusée par une radio. Tout cela est déjà très positif et donne au jeu une saveur particulière malgré le manque de d’identité du gameplay.



Bon alors qu’est-ce qui ne va pas, pourquoi il nous fait encore un caca nerveux ce vieux grincheux de Nixotane ? Et bien le twist figurez-vous, malgré sa réputation je dois avouer que je le trouve assez naze même s’il présente un intérêt certains. Mais d’abord, un peu de contexte, que raconte le jeu !?


Spec Ops The Line prend place dans un univers fictionnel ou Dubaï aurait été ensevelie par de violentes et incessantes tempêtes de sable. Afin d’évacuer la ville des militaires Américains y ont été déployés, c’est alors que « les damnés de la 33ème » comme on les appelle aurait connus un épisode de mutinerie, une faction de soldat aux ordres de leur colonel mégalo ont pris possession de la ville en ruine, instaurant une loi martiale sur les derniers locaux qui n’ont pas pu être évacué avant « l’apocalypse ». Quelques jours après l’évènement, Konrad, le Colonel séditieux, envoie un message de détresse au pentagone, en guise de réponse le capitaine Walker et ses deux comparses sont envoyés sur place pour vérifier s’il reste des survivants. C’est ainsi qu’ils découvriront la réalité du terrain, attaqué par leur frère d’armes insurgés, sans comprendre la raison de cette hostilité et bien obligé de se défendre, nos 3 compatriotes répliques, s’engage alors un combat fratricide Américain contre Américain. Le premier élément inhabituel et ô combien intéressant de Spec Ops The Line se dévoile ainsi à nous, ce jeu est aux antipodes du patriotisme Américain de ses homologue Call of Duty, Battlefield, Medal of Honnor, etc, ici, bien que le jeu s’amuse à nous duper en nous plaçant dans un pays arabe, c’est bien à des Américains que nous ferons la guerre. De quoi remettre en cause nos habitude de joueurs, tout l’enjeu est de nous remettre face a la réalité de la guerre, nous rappeler que ce n’est justement pas un jeu. C’est également dans cette optique que le jeu va parfois nous demander de faire des choix sans issues favorables. La guerre c’est mal m’voyez !


Mais l’histoire ne s’arrête pas là, je vais zapper la sous intrigue maladroite impliquant la CIA pour me concentrer sur ce qui est important. Arrive donc un moment où l’on commet un crime de guerre, dans l’effervescence du conflit, la team se vois contrainte d’utiliser du Phosphore Blanc sur un nombre conséquent de soldat rebelles leur barrant la route. Cette arme est déjà en soit interdite par la convention internationale mais plus grave encore, ils ciblent par erreur un groupe de civils pris en otage par les insurgés. Secoué par la gravité de l’acte qu’ils ont commis, les deux soldats vont remettre en cause leur capitaine mais seront contraint de continuer la route avec lui. La tension monte, les esprits s’échauffent mais le capitaine Walker tient le Colonel Konrad pour unique responsable puisque sans lui il n’y aurait tout simplement pas de conflit. Dès lors, aveuglé par la rancune, ils n’auront plus qu’un but, faire la peau à ce traitre (notons au passage que Walker se met à faire des exécutions plus violentes à partir de ce passage et insulte les adversaires, encore une évolution subtile et maline du jeu). Sur le chemin, les deux soldats tomberont, ne laissant que notre pauvre capitaine Walker atteindre son ennemi juré.


Et nous voilà donc au moment fatidique, le fameux twist qui a semble-t-il bouleversé beaucoup de joueurs. On apprend que notre personnage est en fait complètement frappadingue, probablement affecté par sa précédente mission en Afghanistan dont ils parlent à plusieurs reprises et durant laquelle il officiait sous les ordres du fameux Colonel Konrad. Il a donc inventé la présence de ce Colonel Konrad et imaginé tous les dialogues qu’il a eu avec lui durant le jeu, toute les provocations et tous discours moralisateurs ne sont que pures hallucinations que seul le personnage et les joueurs entendent (pas nos deux acolytes qui suivent juste les ordres de leur capitaine). Ce colonel n’apparait d’ailleurs qu’après ce passage du Phosphore Blanc, il arrive en réalité comme une excuse, un déni psychologique du personnage face à son acte, marquant le début de sa PTSD, enfin plutôt un déclencheur car en réalité on comprend que les symptômes trouvent leur origine en Afghanistan car dès le début du jeu, Walker prend des décisions étranges et semble mu par une soif de sang aveugle. Nous reste alors un choix, accepter et faire face à nos actes ou se suicider (il y a d’autres variantes mais ce sont les deux issues principales). Ainsi le jeu prend une nouvelle fois le contre-pied du héro Américain, on ne sort pas victorieux, on ne lave pas l’honneur des Etats-Unis, on nous met simplement face à l’horreur de la guerre et ses conséquences, avec sans doute une petite pique envers les exactions de l’armée Américaine au moyen orient. Un propos osé, cru, qui se veut impactant et profondément antimilitariste.


Mais alors qu’est-ce qui me déplait dans cette fin ? Et bien à peu près tout en fait, hormis l’intérêt que je porte au propos, c’est mal écrit et mal amené, rien ne tient debout. On nous remontre des scènes du jeu en flash sous un angle différent pour voir que tout était faux, mais ça ne fonctionne absolument pas, rien n’est crédible. Par exemple la scène ou un soldat et un civil sont accrochés et ou Konrad nous propose un dilemme, on revoit cette scène mais c’est en fait deux cadavres que Walker regarde les yeux vaguent en marmonnant des réponses à sa voix intérieure pendant que nos deux acolytes s’interrogent sur son état sans réagir. Dans cette scène Konrad (qui n’existe que dans la tête de Walker donc) nous demande de choisir une cible à tuer tandis que l’autre sera libéré par les snipers qui les tiennent enjoue, donc Walker tire sur un cadavre que des snipers visait en attendant notre décision dans ce dilemme fictif qu’ils ne sont pas censés connaitre… Ensuite, quelques soit la scène, les deux soldats qui nous accompagnent voient bien qu’on est bargeot mais ne vont jamais le relever dans une conversation, ne vont jamais réellement discuter les ordres ou prendre à partie leur capitaine pour lui remettre les idées en place, même après l’épisode du Phosphore Blanc. Mais peut-être est-ce là encore une façon de dénoncer l’obéissance aveugle du corps militaire ? Et quand est-il de l’autre histoire, celle des soldats insurgés et de la CIA, rien n’a vraiment de sens, tout tombe à l’eau quand on commence à creuser un peu pour essayer d’y trouver un fond de cohérence. Et je ne parle même pas du Konrad écrit sur notre veston après la révélation, alors que tout le monde nous a toujours appelé Walker, ou le fait que ce soit nous qui envoyons le message qui nous a amener ici parce que « t’as vue mon twist il est trop mind fuck »… Tout cela parait gratuit, confus et extrêmement maladroit si bien que j’ai beaucoup de mal à trouver cette conclusion convaincante. Donc « meilleur twist narratif » non clairement pas !


Ah et une dernière chose, il y a des collectables dans le jeu mais aucun menu in game pour les consulté. De même qu’il n’y a aucune stat pour voir la progression des trophées « tuer 150 ennemis avec telle arme » alors qu’une jauge de complétion s’affiche de temps à autre pour nous donner une idée approximative de notre avancé. C’est un choix très étrange et vraiment mal pensé pour le coup… D’autant plus qu’une fois ramassé, les collectables disparaissent définitivement des niveaux (bien qu’ils restent consultables dans le menu principal).



CONCLUSION


Spec Ops The Line est un jeu plutôt bien réalisé, avec un gameplay simple mais efficace et encore très appréciable aujourd’hui malgré tout. Le scenario en revanche s’avère très confus, avec un twist faussement mind fuck qui peine à me convaincre en l’état. A trop vouloir brouiller les pistes on y perd tout l’impact que cela aurait pu avoir avec une histoire réellement solide. Certains en revanche, plus ouvert à ce type de récit nébuleux, se plairont à essayer de démêler le vrai du faux avec des théorie métaphorique ou considèrerons simplement que ce n’est pas très important d’y tracé une timeline précise tant que l’essentiel du message est passé. Aussi j’imagine que n’ayant jamais été réceptif aux élans patriotiques du cinéma et des jeux, ce n’est pas un sujet qui me parle personnellement, ça n’éveille aucune prise de conscience que je n’avais déjà. Néanmoins, je considère que son propos en fait un jeu unique, important dans le paysage vidéoludique mais je regrette son manque de cohérence et d’impact, ça méritait un meilleur traitement. Peut-être qu’un éventuel remake viendra un jour dépoussiérer ça pour en sublimer l’expérience, c’est en tout cas tout ce que je lui souhaite car on est passé pas loin d’un grand jeu c’est certain.

Créée

le 22 mai 2023

Critique lue 99 fois

4 j'aime

Nixotane

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