Steins;Gate
8
Steins;Gate

Jeu de 5pb., Mages.Inc., Nitroplus, PQube et Jast USA (2009PC)

Steins;Gate est un des visual novel (très grossièrement : des jeux essentiellement textuels avec une narration qui mélange le roman et l'anime, plus ou moins) qui ont réussi à percer hors du Japon et est devenu limite un phénomène à l'échelle d'un genre de niche, au point d'avoir sa série d'animation japonaise comme pour Le Sanglot des Cigales. C'est l'un des noms qui revient le plus souvent dans la communauté vidéoludique, mais pas forcément dans la sphère plus calée sur les VN. Je me suis laissé attirer par sa réputation flatteuse en me disant que la poignée de VN que j'ai fait me permettrait de ne pas être désarçonné par son rythme littéraire, mais ce fut très compliqué. Le jeu m'énerve beaucoup, mais il contient nombre de partis pris qui sont trop réfléchis pour que je me permette de le descendre en flèche comme dans un trash talk. Il faut rentrer en détail dans ce qu'il fait et dans les raisons pour lesquels ça peut marcher ou non selon les gens, parce que c'est tout sauf un jeu "basique". Je ne m'attarderai pas sur la partie purement technique/artistique très au-dessus de la concurrence, juste quelques mentions de temps en temps. Je vais plutôt parler de scénario puisque ça reste le plus important dans un VN. Cet article s'adresse aux joueurs qui ont fini le jeu, les autres risquent non seulement de se faire spoiler mais aussi de ne rien comprendre.



Caractérisation des personnages



Je vais évacuer l'éléphant dans la pièce : c'est extrêmement "moe". La majorité des personnages féminins est moe, les personnages masculins parlent de moe tout le temps, on nous mentionne la présence ou non de magasins moe à Akihabara et le groupe amateur cherchant à produire une VF de ce jeu s'appelle Le Comité du Moe. Ce terme, dont le jeu donne lui-même une définition, désigne plus ou moins une manière de rendre des personnages (majoritairement féminins) comme "mignons", d'une manière excessive, parfois en exagérant des petits défauts qui sont considérés comme charmants. Si l'on aime le moe qui y va à fond on sera aux anges dans un jeu qui touche au harem sans en avoir l'air, avec une fin par personnage féminin dont au moins 3 deviennent amoureuses du héros dans une timeline ou une autre et une qui se fait embrasser dans un contexte gênant. Mais voilà, faut aimer cette caractérisation très exagérée qui vire à la fétichisation. Faut supporter par exemple d'avoir Mayuri l'ingénue qui s'appelle Mayushii à la 3e personne en prenant une voix aigüe et en traînant les syllabes pour donner l'impression que cette fille de 16 ans en a 8 (et encore, aucune fille de 8 ans ne parle comme ça dans la vraie vie). Ses dialogues sont des "Mayushii est contente de voir qu'Okarin va bien ^^" avec des moues boudeuses ou des petits rires faussement enfantins. C'est subjectif mais je trouve ça terriblement pénible et artificiel en plus d'être générique dans les productions japonaises, j'ai envie de la voir disparaître et ça me coupe complètement des enjeux émotionnels qui la concernent. Je ne vois pas un personnage, je vois un archétype répandu et désigné par une tweetos sous le juste terme de "chaton à baiser". Son fameux "tutturu" est devenu crispant pour beaucoup de monde, mais ce n'est pas tant l'onomatopée en elle-même le problème, c'est juste qu'elle cristallise tout ce qui est crispant chez le personnage.


Même chose avec Faris, qui va rajouter des "Nyan" dans toutes ses phrases parce qu'une étude de marché a indiqué que les otakus adoraient ça, ou Moeka qui est toute timide et socialement mise en difficulté. Lukako est la petite chose fragile qui parle en forçant sa voix chuchotée comme si ses cordes vocales étaient en porcelaine et qui pleure dès qu'on lui souffle dessus (mais des larmes de porcelaine). Elle est trans et c'est quelque chose de suffisamment peu mainstream au Japon pour que ce soit souligné, mais il reste quelques soucis de représentation qui rappellent que ça date de 2009 (Okabe la genre différemment selon son sexe quand bien même il sait qu'elle souhaite être née avec un vagin, et la scène où il veut montrer que c'est un "homme" est d'un malaise prononcé) et ça n'enlève rien à mes remarques sur elle. Pour Kurisu c'est facile, les personnages nous mâchent le travail en répétant qu'elle est une tsundere, et elle le confirme : elle prend Okabe de haut mais tremble de timidité dès que les personnages relèvent qu'elle lui a fait un compliment en se planquant derrière des "P-pas que j'en aie quoi que ce soit à faire de toi, baka". Pour sortir du moe on a Daru l'otaku qui est gros, pervers et un peu idiot (juste sauvé par son chara-design et son comédien de doublage moins génériques que sa caractérisation) et le héros Okabe dont on rappelle régulièrement (TRÈS régulièrement) qu'il est un chuunibyou, de la sous-branche particulière des emo. Je n'avais jamais lu le terme de chuunibyou avant Steins;Gate, et depuis j'arrive à l'écrire correctement sans vérifier sur internet malgré son exotisme tellement ce jeu me l'aura rappelé souvent. C'est-à-dire qu'il est le cliché parfait du gars qui se croit trop dark et s'invente un passif de beau ténébreux de manga, avec délires enfantins de complotistes et de nombreux éclats de rire maléfiques qui donnent le cancer.


Lui comme tous les autres membres du groupe (sauf Suzuha, qui reste quand même un personnage de badass venue du futur) sont de purs clichés horripilants, présentés comme tels en guise de clin d’œil cynique au joueur à qui il suffirait de dire "On assume !" pour que tout soit pardonné. Il y a quand même un point qui joue énormément sur mon agacement mais qui est loin d'être gratuit ou accidentel : ce sont pour la plupart des personnages qui se sont coupés du monde réel et vivent dans celui qu'ils se sont inventé, et ce n'est pas juste un élément présent pour justifier tous ces clichés mais un vrai enjeu narratif. Okabe joue le scientifique fou et s'enferme dans son personnage pour rendre le sourire à Mayuri, Faris se crée des histoires dans la tête pour mettre en valeur le déni d'Okabe qui voit le problème chez elle mais pas chez lui, Lukako s'entraîne à agiter son sabre pour faire plaisir à son crush qui invente du lore au fil de ses envies, Moeka se persuade que FB est une femme qui lui veut du bien, et le père de Kurisu est carrément un paranoïaque narcissique qui pense que le monde complote contre lui. Ces univers rêvés sont innocents (sauf pour le méchant papa, et Moeka puisqu'elle va beaucoup en souffrir) et vont contraster pour Okabe avec la réalité qui ressemble à une version tragique de sa backstory inventée qui paraît d'autant plus puérile. Il est mis face à l'absurdité de la persona qu'il façonnait et on se prend à imaginer une remise en question. Qu'aura-t-on à la place ? Une justification de son caractère prétentieux et pénible (il n'a rien trouvé de mieux pour consoler sa pote et n'a jamais su passer à autre chose même à 19 ans), et une glorification du retour du "vrai Okabe" après sa dépression. Car je pense que les scénaristes aiment ces personnages qui font du roleplay IRL : Okabe retrouve la patate en réinvestissant son personnage de chuunibyou tandis que son entourage lui dit qu'ils l'aiment pour ça. Cette envie de soutenir les grands enfants qui se font une persona fun pourrait être charmante, mais pour ça il faut aimer ces masques affichés et vu les clichés convoqués ce sera très clivant. Si vous aimez ce genre de caractérisation, alors c'est Noël. Si vous avez du mal avec les ados de 16-19 ans qui adoptent une posture qui fait très fake voire tape sur le système, vous allez détester parce qu'ils font ça h24. Okabe a beau être remis à sa place, il faut avoir envie d'être enfermé dans sa tête de gros lourd pendant les plus de 30 heures du jeu.


Cela reste une gestion des clichés assez hypocrite : on fait mine de les étudier pour mieux justifier qu'on les utilise tels quels. Mayuri a son moment de gloire où elle sert enfin à quelque chose en devinant un truc qui a échappé aux autres, mais même ça c'était attendu et ça ne compense pas qu'elle serve surtout d'enjeu émotionnel, sans avoir de particularité qui la rendrait plus attachiante qu'une autre. Elle a été marquée par la mort de sa grand-mère ? C'est pour qu'Okabe devienne son protecteur. Elle aime les étoiles ? C'est parce que toutes les comédies romantiques nulles glissent une discussion sur les étoiles pour avoir leur moment poétique où des personnages se rapprochent, et pour rendre sa mort plus triste tandis qu'elle tend la main vers le ciel. Elle s'inquiète pour Okabe et lui reproche de la mettre à l'écart quand il essaie de la sauver, et lui il se dit "Mince, c'est vrai ça !" avant qu'on ne passe à autre chose sans y revenir. En somme Mayuri, c'est une coquille vide qui n'a quasi jamais son mot à dire sur son destin, et quand elle le dit c'est ignoré, à une exception finale près. Et c'est assez similaire pour les autres personnages.


Le problème est résumé par une conversation avec Kurisu : elle dit à Okabe que ce n'est pas parce qu'il va dans une timeline où elle est morte que la Kurisu pré-Time Leap n'existera plus nulle part, et elle lui signale que sa vision du Reading Steiner est très égocentrée. Il imagine que le monde tourne autour de lui puisque lui seul peut le modifier et voir son historique, mais a-t-il envisagé que l'univers avait d'autres facettes qui lui seraient invisibles car portées par les perceptions des autres, de la même manière que son Reading Steiner lui donne des informations que les autres n'ont pas ? J'ai vraiment aimé que Kurisu parle de ça parce qu'il est effectivement très facile, dans un jeu-vidéo où le joueur ne suit qu'un personnage et dont le monde est entièrement déterminé par ses actions, de se sentir la personne la plus importante de l'univers et d'avoir besoin qu'on nous rappelle que notre entourage n'est pas qu'un ensemble de cobayes pour tester diverses fins tristes. De calmer un peu l'impression d'être meilleur que les autres. Je trouve ça très sain comme démarche, mais vers quoi cela mène-t-il ? Eh bien rien. Le jeu se poursuit comme on s'attendrait à ce que le jeu se poursuive : on continue de manipuler le cours du temps pour façonner le monde comme le jeu veut bien nous laisser le façonner, sans aperçu de ce qui arrive aux personnages des autres timelines. J'ai bien fait mon apprenti scientifique comme Okabe en faisant n'importe quoi pour voir les fins tristes, et Kurisu me dit "Je sais ce que tu as fait" d'un clin d’œil complice mais sans plus. Le jeu a encore posé une question intéressante sans s'en servir. Après tout on est dans un jeu qui essaie de faire plaisir au joueur entre 2 séquences émotionnelles, d'où le moe et les fins qui nous font généralement choisir avec quelle fille on finira nos jours. Si on critiquait trop férocement l'idée que tout reposerait sur le joueur pendant que les autres restent en soutien, on ne pourrait pas présenter aussi ce contenu de jeu de drague sans trembler des genoux. Alors on se contente d'un discours de la cop21 sur ce qu'il faudrait faire et qu'on ne fera pas.


Tout cela aboutit pour moi à de grandes difficultés à m'attacher non seulement aux personnages, qui profitent pourtant de comédiens de doublage très investis notamment Mamoru Miyano qui fait Okabe, mais aussi à ce que veut raconter l'histoire. Ce serait très réducteur de limiter mon manque d'appréciation du jeu à des clichés, il va falloir s'attaquer au problème suivant.



Rythme



On m'avait prévenu : "Steins;Gate, c'est très long avant de démarrer". Comme j'ai joué au Sanglot des Cigales je pensais savoir à quoi m'attendre : ce dernier faisait intervenir son élément perturbateur au bout de 7h30 pour moi. J'avais trouvé cette longue exposition bien gérée : elle restait fun grâce aux jeux mouvementés des personnages, plantait quelques graines bienvenues pour la suite et instaurait sur la durée une ambiance insouciante pour mieux renforcer sa rupture. Or Steins;Gate fait pareil : une longue exposition, moins portée sur les aventures idiotes mais riche en expériences scientifiques intéressantes, dans laquelle le joueur s'habitue aux personnages et à l'atmosphère bon enfant, bourrée de détails qui trouveront leur importance dans la suite sans qu'on en ait toujours conscience (je pense par exemple au fait qu'on démarre l'aventure avec le portable collé aux oreilles, comme si on sortait d'un Time Leap alors que le joueur qui fait une 2e session aura effectivement conservé ses souvenirs de ce qui viendra). Le tout avant un violent virage qui marque la fin de l'innocence et mène à son lot de tragédies, de choix difficiles, de regrets quant aux signaux ignorés dans la première partie, et bien évidemment d'un lent désespoir qui fera ultimement place à un de ces sursauts de motivation épique dont le Japon a le secret. Tout ça, ce sont des éléments que je connais et qui me marquent donc moins que pour ceux qui s'initieraient aux VN avec Steins;Gate, mais j'aurai très bien pu me laisser embarquer à nouveau par cette recette qui a fait ses preuves.


Sauf que non seulement les personnages m'ont gonflé et rendu l'aventure longue, mais le jeu se montre aussi très bavard : 14-15 h avant d'atteindre la 2e partie qui donne son sens à l'aventure, soit le double du Sanglot des Cigales. Je conçois l'importance de faire durer cette 1ère partie, mais là ça fait vraiment beaucoup de temps qui est plutôt mal employé. Le jeu se répète énormément dans ses blagues, j'ironisais sur tweeter qu'on pourrait diviser sa durée par deux si on virait toutes les fois où Okabe appelle Kurisu par autre chose que son nom et qu'elle lui dit d'arrêter de l'appeler comme ça. Ou qu'Okabe se présente sous son pseudo et qu'on l'ignore, qu'il appelle son ami invisible pour faire son intéressant, qu'il menace de réveiller son bras droit maléfique et de tout détruire. Que Daru demande qu'une fille répète sa phrase dont il a trouvé un double sens salace, ou que Kurisu laisse entendre quelle est une geek avant de nier en bloc devant les regards outrés de tout le monde qui mettent du temps avant de réaliser qu'elle a fait une référence. Le jeu a une définition bien à lui du comique de répétition qui consiste à répéter ses plaisanteries à l'infini pour faire du remplissage. Je parlais du caractère pénible de ce chuunibyou d'Okabe, mais ça serait sans doute mieux passé s'il ne répétait pas en boucle les mêmes marottes entre deux plaintes de Mayuri qui a faim. Le Sanglot des Cigales pouvait aussi avoir des personnages qui correspondent à un archétype, mais ils se montraient bien plus surprenants même pendant les scènes de vie quotidienne et ça donnait moins l'impression de vivre dans une boucle temporelle (je parle toujours de la 1ère partie, ne me sortez pas "c'est fait exprès puisqu'il est littéralement prisonnier d'une boucle dans la 2e partie" alors que le principe c'est qu'Okabe se sent bien dans cette partie 1 qui tourne pourtant en rond mais pas dans la partie 2 qui... tourne aussi en rond justement)


Ce soucis de rythme ne disparaît pourtant pas quand on arrive au premier time leap. C'est pourtant là qu'on attaque les choses sérieuses et que tout ce qu'on a planté plus tôt va pouvoir porter ses fruits, mais il demeure cette impression que le récit fait du surplace par moment. La cause ? Le nombre de personnages féminins, qui détermine du même coup le nombre de chapitres et de fins disponibles. Chacun de ces chapitres va consister à annuler une de nos précédentes perturbations temporelles, et pour ça il va falloir passer du temps avec une fille pour voir sa backstory, découvrir comment son usage du D-Mail a amélioré sa vie (sauf pour Moeka, la seule pour laquelle il n'y a pas de fin dédiée) et souffrir le martyr à l'idée d'empêcher ce qui a pu la rendre heureuse, avant de choisir si on s'arrête finalement là pour profiter d'une fin secondaire. C'est une situation qui est féconde pour la tragédie et pour creuser ces personnages, et ça interroge la validité d'événements heureux (ou pas d'ailleurs) quand personne n'en garde le souvenir. Cela permet aussi à Okabe d'avoir un gros chemin de croix avant de sortir de son bourbier, donnant l'impression que la réussite finale est le fruit d'un effort considérable. Mais fallait-il réellement 4 chapitres avant de récupérer ce fichu IBN5100 ? Fallait-il répéter 4 fois ce processus identique où Okabe s'attache à une fille et se demande s'il est juste de lui faire perdre ce qu'elle a obtenu par un D-mail ? 4 fois où lui et sa pote du moment pleurent ensemble de la même fatalité avant qu'il ne passe à une autre tout en disant qu'il se hait de ne plus rien ressentir à la 57e mort de Mayuri ? Je suis sûr qu'on aurait pu éliminer le chapitre de Faris ou Lukako (voire celui de Moeka) sans rien y perdre, et du même coup retirer l'une d'elles de l'histoire pour fluidifier la 1ère partie qui n'a pas besoin d'autant de personnages à part pour préparer leur arc à venir. La première fin alternative était forte parce que c'était la première et que je ne savais même pas que je m'étais éloigné du chemin canon, les autres ont fini par m'ennuyer parce que c'était le même processus tragique (celle de Moeka change un peu cela-dit, mais sa conclusion avec Nae ne fait que rajouter du glauque pour le glauque).



Ce que raconte Steins;Gate



Faire durer le calvaire d'Okabe a du sens, mais ce n'était pas la peine d'aller aussi loin avec des ressorts aussi similaires. Les moments sont poignants, c'est indéniable, mais à force de voir un personnage pleurer pour les mêmes raisons on aimerait bien se voir raconter autre chose. C'est d'autant plus pénible que le jeu doit tordre son concept temporel comme ça l'arrange pour en faire ce qu'il veut : on peut changer le passé en un D-mail pour sauver le père de Faris et transformer tout Akihabara, mais pour Mayuri il n'y a que l'IBN5100 qui marche parce que si tu tentes n'importe quelle autre méthode le destin capricieux décide qu'elle meurt comme la Faucheuse de Destination Finale. Cette fatalité à géométrie variable finit par rendre les enjeux bien forcés : on est dans une timeline où Mayuri doit mourir à cause du 1er D-mail envoyé par Okabe qui a attiré l'attention de SERN, mais même quand SERN n'a plus besoin de les attaquer elle meurt parce que c'est comme ça ? Le père de Faris est tranquille, on peut également modifier tout le reste du monde à notre convenance en faisant 5 timelines différentes, mais pour elle il faut faire grimper un score pour avoir le droit à notre récompense ? C'est bien artificiel comme manière d'imposer ses épreuves à Okabe.


C'est triste parce que la nature des décisions à prendre pour récupérer l'IBN5100 transmet un vrai message de la part des scénaristes. Kurisu dit qu'elle ne veut pas envoyer de D-mail parce que ses erreurs et souffrances passées font d'elle ce qu'elle est maintenant et que les effacer reviendrait à renier ses expériences qui l'ont façonnée. Le jeu nous demande donc de restituer aux personnages leur expérience véritable plutôt que de les laisser s'enfermer dans un univers fictif qui leur convient mieux, on en revient au propos sur les passifs imaginés des personnages. Alors certes on pourrait se dire que c'est cynique de demander aux personnages secondaires de ne pas chercher à améliorer leur condition, mais l'outil qu'ils utilisent est une lubie qui n'existera probablement jamais dans le vrai monde : on peut donc estimer que dans la vraie vie on ne pourra jamais compter là-dessus et qu'il vaut mieux apprendre à vivre avec ce qui s'est passé plutôt que de refaire le match. C'est une leçon de vie que j'approuve, c'est dommage que le jeu la mette parfois de côté. Après tout le but est bien d'empêcher la mort de Mayuri à laquelle on assiste inexorablement, puis d'empêcher celle de Kurisu. Le jeu se montre malin pour cette dernière en soulignant que l'important n'est pas tant qu'elle décède mais qu'Okabe croie que c'est le cas, afin que cela contribue à son expérience de vie. C'est astucieux comme manière d'apporter une fin heureuse sans trop se contredire, mais ça reste une manière de dire qu'on ne peut pas améliorer sa vie en jouant avec le temps sauf une fois, au chalet.


Pour le reste de ce qui fait vivre le récit en-dehors de ses moments chocs, je suis tout aussi mitigé. Autant j'aime les expérimentations scientifiques de ces gosses qui essaient de comprendre comment marche la manipulation du temps et la manière dont les références geek trouvent naturellement leur place dans le langage de ces lycéens, autant le name dropping a tendance à boursoufler les dialogues plus qu'autre chose. Il y a des astuces qui font plaisir, comme l'utilisation du mythe réel de John Titor ou l'idée d'envoyer des données pures dans le passé plutôt que des corps. La rupture de milieu de jeu se montre très déroutante au regard de la tonalité initiale, mais elle tranche tellement que j'ai eu du mal à l'accepter parce qu'elle donne l'impression que le complotiste avait raison d'avoir peur des grandes compagnies qui envoient des commandos en plein Tokyo, sans oublier d'envoyer d'abord des mails de menace avec des photos de gelée. Cela rejoint mon idée sur l'ironie d'un chuunibyou qui voit son délire prendre vie dans un contexte non glamour et de l'histoire du garçon qui criait au loup, mais sur le coup cela m'a fait soupirer quand bien même je savais que ce SERN fictif faisait réellement des activités inavouables. Quant à la partie de RaiNet de Faris (crôa) j'imagine que ça a amusé nombre de lecteurs, mais le contexte dans lequel survient cette compétition n'est vraiment pas à l'honneur de cette fille capricieuse et m'a fait le même effet que le Robobrol de Kaamelott Volet 1 : une interruption malvenue du récit, alors que dans Le Sanglot des Cigales ça aurait été casé dans les parties "sans enjeu" et on aurait quand même kiffé. Je comprends l'idée de mettre dans bâtons dans les roues d'Okabe, mais le faire avec un jeu de cartes tactique alors qu'on ne voit pas le jeu et qu'on n'a pas toutes les règles bien en tête est une gageure. Enfin je soulignerai que la True End ne peut pas véritablement se faire sans guide à côté tant les bonnes réponses à donner aux mails ne sont pas évidentes du tout à deviner, alors que des mails il y en a un gros paquet. Heureusement qu'il y a l'avance rapide du texte déjà lu.


Je sors donc de Steins;Gate en étant très distant de ce qu'il tente de me faire vivre. Le jeu ne manque pas d'idées ou d'initiatives et l'aspect technique et artistique est luxueux pour le genre, mais l'écriture tire sur la corde pour tout : qu'il s'agisse des scènes tragiques (le pauvre Mamoru Miyano a dû en avoir marre de pleurer de toutes les manières possibles et imaginables), des discours sur l'importance qu'accorde Okabe à Mayuri, de la caractérisation de ses personnages attrape-geek ou d'Okabe qui répète les enjeux, on sent l'envie de faire durer le récit et de le gonfler. En guise de plongée dans les VN je pense que ça doit marquer, moi je suis plutôt fatigué de tout ça même si je reconnais un véritable investissement de la part des développeurs.


PS : Cet test a failli s'appeler "Tutturlute", mais j'ai renoncé parce que je suis un adulte mature qui respecte son public. Vous voyez moi aussi je peux dire des trucs nuls tout en annonçant fièrement que j'en ai conscience pour faire croire au public que je suis plus malin que la concurrence.

thetchaff
5
Écrit par

Créée

le 22 oct. 2022

Critique lue 135 fois

2 j'aime

thetchaff

Écrit par

Critique lue 135 fois

2

D'autres avis sur Steins;Gate

Steins;Gate
Xeldar
8

Tutturu ♪

Steins;Gate est surtout connu pour son adaptation en anime mais c'est avant tout un visual novel. Pour l'instant je n'ai découvert son histoire que via son VN, je n'ai pas encore vu l'anime et ne...

le 10 mars 2018

12 j'aime

6

Steins;Gate
Psykokilla_V3
10

Un voyage inoubliable.

Toute petite parenthèse avant toute chose : Non je n'ai pas vu l'anime avant de faire le Visual Novel. J'ai tenté de regarder quelques épisodes après avoir fini le jeu, mais le format anime est bien...

le 26 juil. 2015

11 j'aime

1

Steins;Gate
Francisravage
9

VN master race

Après avoir vu l'anime, je voulais savoir ce que donnait Steins Gate (SG) dans son format initial : celui d'un Visual Novel (VN). C'est un genre avec lequel je suis très peu familier et je n’ai pas...

le 8 févr. 2018

7 j'aime

4

Du même critique

Seven Sisters
thetchaff
5

On aurait dû faire un calendrier à 5 jours

Des mini-divulgâcheurs se sont glissés dans cette critique en se faisant passer pour des lignes normales. Mais ils sont petits, les plus tolérants pourront les supporter. Seven Sisters est l'exemple...

le 2 sept. 2017

94 j'aime

9

Matrix Resurrections
thetchaff
6

Méta rixe

Cette critique s'adresse à ceux qui ont vu le film, elle est tellement remplie de spoilers que même Neo ne pourrait pas les esquiver.On nous prévenait : le prochain Matrix ne devrait pas être pris...

le 27 déc. 2021

70 j'aime

3

Zack Snyder's Justice League
thetchaff
6

The Darkseid of the Moon

Vous qui avez suivi peut-être malgré vous le feuilleton du Snyder Cut, vous n'avez sans doute pas besoin que l'on vous rappelle le contexte mais impossible de ne pas en toucher deux mots. Une telle...

le 19 mars 2021

61 j'aime

4