Syberia 3
5.3
Syberia 3

Jeu de Microids (2017PC)

De belles retrouvailles gâchées par des problèmes techniques

Il aura fallu treize ans pour que Kate Walker ait enfin une suite à ses aventures, treize ans pendant lesquels le projet même du jeu a connu ses propres pérégrinations et a dû faire face à plusieurs obstacles majeurs avant de voir le jour. La racine de l’échec de Syberia 3 se trouve peut-être, sûrement même, dans la décision initiale de faire de ce troisième opus un jeu en 3D. Choisir de faire Syberia 3 en 3D, c’était d’abord se confronter à des problèmes financiers, qui ont ainsi retardé la date de genèse du projet à plusieurs reprises, et ensuite, une fois le projet définitivement signé et lancé en 2012, c’était se retrouver face à un problème plus majeur encore : maîtriser et utiliser une technologie 3D encore relativement nouvelle pour le studio…! S’en est suivi un développement assez laborieux long de presque cinq ans, pour qu’enfin sorte le tant attendu Syberia 3… et bien entendu, tous ces problèmes se ressentent en jeu !


Aborder Syberia 3 est donc délicat pour moi, car j’aimerais ne m’attarder que sur la joie de revoir Kate Walker, de retrouver l’univers toujours si original et immersif de Benoît Sokal et sur la beauté de l’aventure, de cette transhumance Youkole… mais il est impossible de faire fi de tous les problèmes techniques qui viennent, hélas, ternir ce tableau !


Comme je n’ai, malgré tout, pas envie de gâcher mon plaisir de parler des retrouvailles avec Kate Walker, c’est par les bons points que je veux commencer. Et oui, car même si les graphismes ne sont pas aussi flamboyants qu’ils devraient l’être en 2017, j’apprécie toujours autant la patte graphique de Benoît Sokal, et le monde de jeu ne peut pas laisser indifférent. C’est différent des jeux originaux, pour sûr, mais Syberia 3 possède malgré tout un petit charme indéniable. A part dans deux ou trois plans un peu moins réussis, notre Kate Walker est plus resplendissante que jamais, et c’est un vrai plaisir de l’accompagner dans un troisième jeu ! Heureusement pour nous, elle est toujours doublée par la merveilleuse Françoise Cadol, qui possède certainement une des plus belles voix au monde…! Alors certes, comme je le disais, les graphismes et certaines animations sont clairement datées pour un jeu de 2017, mais je ne peux m’empêcher de regarder Kate Walker et les personnages qui l’accompagnent avec bienveillance, tant on sent que le jeu a été réalisé avec passion, malgré les défauts évidents.


Une des grandes forces des jeux Syberia a toujours été leurs décors somptueux et leurs personnages hauts en couleur… et à ce niveau-là, Syberia 3 poursuit à merveille la tradition ! Si l’on commence notre aventure dans une petite chambre miteuse d’une clinique, après quelques petites énigmes qui permettent de nous familiariser avec le nouveau système de résolution des puzzles, on pénètre dans la salle centrale de la clinique qui est vraiment sympathique et lève toute inquiétude quant à la qualité des décors. La suite de l’aventure nous amène dans des lieux toujours atypiques et marquants, que ce soit le marché Youkol avec sa lumière chaleureuse, ses étables qui regorgent de fruits et objets exotiques, ses autruches avec leur petite hutte sur le dos, la magnifique et vivante ville de Valsembor, le Krystal, bateau robuste du Capitaine Obo, le parc abandonné de Baranour qui évoque évidemment la catastrophe nucléaire de Tchernobyl retranscrite dans le jeu, ou encore le dernier tableau de jeu, le Pont de la rivière Balatöm, dernière frontière que les Youkols doivent traverser ! Oui, tous ces lieux laissent forcément une empreinte dans l’esprit de chaque joueur, et tout comme les deux premiers jeux, Syberia 3 parvient à transmettre des émotions rien que par la beauté de ses décors. Avoir réussi à garder un tel talent artistique après de si longues années est un bel exploit qui nous rappelle que Benoît Sokal a toujours son imagination aussi riche d’antan !


Pour ce qui est des personnages, Syberia 3 est l’occasion de belles rencontres avec des personnages toujours aussi touchants et écrit avec justesse, et là encore, Syberia 3 reste une petite pépite dans son écriture… mis à part quelques ratés bien dommages ! Comment oublier le guide des Youkols, Kurk, si gentil mais aussi si naïf ? Comment ne pas s’attacher à Simon Steiner et sa petite-fille, qui travaillent à perpétuer la tradition des automates initiée par Hans, ou encore au Capitaine Obo, si rustre et pourtant si touchant. Syberia, c’est également la rencontre inattendue de personnages loufoques et atypiques, ici dans les personnes de Katarina, seule recluse survivant dans le métro sous le parc irradié, et la fille dans le cimetière Youkol. Et à la longue, on finit également par s’attacher et ne faire plus qu’un avec la tribu Youkole que l’on «guide».


Certains passages de jeu sont également très marquants et resteront dans mes bons souvenirs vidéoludiques, assurément. Benoît Sokal sait toujours comment créer une aura de mystère autour des lieux que l’on visite, et la légende de la bête du Lac se construit petit à petit de manière intelligente jusqu’au passage de la traversée. Syberia 3 distille de petits indices, par-ci, par-là, qui gardent l’attention du joueur, et c’est toujours autant agréable de parcourir cet univers si particulier. Tout comme dans les premiers jeux, le système de dialogue est bien conçu et prend en compte des actions ou des découvertes que vous pouvez faire antérieurement, rendant les discussions encore une fois dynamiques et vivantes. On se familiarise avec le monde et ses habitants, jusqu’à faire corps avec lui, et ce malgré les doublages qui ne sont pas toujours excellents.


Dans la continuité également des deux premiers jeux, les énigmes ne sont jamais farfelues mais toujours logiques, plausibles d’une certaine manière. Le jeu tire profit de la 3D pour proposer des puzzles nouveaux nécessitant de déplacer des objets dans l’espace pour les résoudre, mais on ne peut que regretter qu’ils n’aient pas été plus loin dans ce concept, et dans l’ensemble je trouve les énigmes un peu trop simples. Certaines sortent du lot et demandent un peu plus de réflexion, heureusement, mais elles ne sont jamais bien ardues, là où certaines énigmes des deux premiers jeux pouvaient être assez complexes. Malgré cela, le jeu arrive tout de même à impliquer le joueur dans l’histoire, point capital dans un Point’n’Click. Syberia 3 arrive à laisser suffisamment de liberté au joueur pour s’immerger dans le monde de jeu, et ça, c’est bien.


Bon, j’ai la chance de jouer au jeu trois ans après sa sortie, donc bien évidemment des patchs sont sortis depuis et ont réglé les problèmes que possédait le jeu en 2017. Mais maintenant, je trouve la maniabilité assez bonne lors de la résolution des énigmes. Je n’ai à aucun moment eu de problème vraiment pénible qui m’aurait fait pester contre le jeu. Mais il y a deux parts d’ombre importantes dans la technique du jeu : les déplacements, et les bugs.


Commençons par les déplacements. Ceux-ci sont un des aspects les plus présents dans un Point’n’Click comme Syberia 3, puisque comme dans tout jeu du genre qui se respecte, vous serez régulièrement amené à faire des allers et retours lorsque vous vous creuserez les méninges pour résoudre un problème et progresser ; donc rater les déplacements, et bien… c’est un peu catastrophique ! Là encore, je ne serai pas aussi catégorique que certains, dans l’ensemble les déplacements se gèrent suffisamment bien pour ne pas râler, mais force est de constater que la gestion de la caméra n’est absolument pas maîtrisée par Microïds ! C’est vraiment le plus gros point noir qui montre que le studio n’en est qu’à ses balbutiements dans la technologie 3D, et on ne peut que regretter la décision d’avoir abandonné les plans fixes si splendides et efficaces de Syberia I & II. Dans Syberia 3, on se retrouve avec une caméra un peu fofolle qui peut vraiment vous gâcher le plaisir de certaines sections de jeu, suivant Kate de manière maladroite, disgracieuse, et zoomant ou se positionnant parfois dans des endroits incongrus qui vous empêcheront de distinguer certaines zones ou objets avec lesquels interagir. J’ai pour ma part joué au jeu comme dans un Point’n’Click à l’ancienne, à savoir que je me déplaçais uniquement en cliquant avec la souris, et je pense que cela atténue en partie ces problèmes de caméra/déplacements, mais sachez que vous pouvez aussi contrôler Kate directement, ce qui doit s’avérer parfois un peu pénible à cause de la caméra, et je ne le conseille donc pas.


Et l’autre gros problème du jeu qui fait peine à voir, ce sont bien entendu ses bugs, qui, pour certains, n’ont jamais été corrigés. Il arrive que la roue d’interaction disparaisse subitement lorsque l’on pointe la souris sur une objet à utiliser, et il n’est donc pas rare de se voir dans l’obligation de s’y prendre à deux fois pour réaliser une action. Parfois, en cliquant sur le bord d’un tableau pour déplacer Kate, celle-ci va dans la bonne direction mais va ensuite continuer à aller en ligne droite, bien plus loin que demandé, et il faut alors recliquer sur un point de la carte pour qu’elle s’arrête enfin. Ce n’est pas un gros problème, mais ça devient embarrassant à la longue. Tout ceci est loin d’être anecdotique et nuit clairement à l’expérience, d’autant que cela peut entraîner un bien plus gros problème : le softlock. Désolé pour l’anglicisme ! Pour des lecteurs peu versés dans le jeu vidéo, un softlock correspond au fait de se trouver littéralement bloqué dans une zone ou dans une boucle dont on ne peut sortir, dû à une mauvaise sauvegarde ou à un bug du jeu. Dans Syberia 3, j’en ai malheureusement rencontré un… Heureusement, il ne s’agissait pas d’un softlock brutal vous forçant à redémarrer le jeu dans son intégralité ou à refaire des longues séquences de jeu, mais qui m’a quand même obligé de relancer la sauvegarde précédente pour me sortir de cette situation. Cela a eu lieu dans le bâtiment du stade d’Olympia, dans lequel on ne peut entrer qu’en interagissant avec des escaliers… or, j’ai eu droit à un bug faisant qu’il m’était impossible de sélectionner une action, même en cliquant sur les escaliers. Je me suis donc trouvé bloqué dans le bâtiment, dans l’impossibilité de sortir à cause d’un bug bien bête…


Pour en finir avec les défauts du jeu, je voudrais m’attarder sur un point embêtant : l’écriture des antagonistes. Si, de manière générale, l’écriture des personnages de Syberia 3 sonne aussi juste et touchante que dans les deux premiers opus, elle pêche en revanche du côté des «méchants». C’était déjà un reproche que l’on pouvait faire à Syberia II : sacrifier la simplicité et la pureté du voyage au profit de péripéties plus remarquables dues à la hargne des frères Bourgoff. Ils avaient néanmoins réussi, dans Syberia II, à introduire cette adversité de manière plutôt habile, de sorte qu’elle ne brise par la dynamique et la majesté du voyage. Or, c’est beaucoup moins réussi dans ce troisième opus, et l’écriture d’Olga en particulier est assez grossière et peu crédible, d’autant que son doublage est peut-être le plus mauvais du jeu… c’est donc un double raté pour celle qui devrait représenter la grande menace ! Certes, cela permet une séquence assez bien réalisée et marquante lorsque l’on monte libérer Kurk à la Clinique, mais pour moi ces ennemis ternissent un peu l’aventure, et j’aurais préféré qu’ils restent derrière nous définitivement une fois passé le lac sur le Krystal… Syberia est un jeu qui gagne vraiment à ne pas avoir d’antagonistes et à ne reposer que sur l’immersion, la beauté du voyage et la contemplation. C’est ce qui faisait toute la force et le charme du premier jeu, et je regrette qu’ils partent de plus en plus dans une histoire «compliquée» impliquant des adversaires.


Voilà, notre voyage en compagnie de Kate Walker dans l’univers enchanteur de Benoît Sokal touche à sa fin… pour l’instant ! Mais, pour le moment, que retenir de ce Syberia 3 ? Si je ne boude pas mon plaisir de retrouver notre Kate, et si je trouve son voyage toujours aussi beau et dépaysant, je ne peux en revanche fermer les yeux sur ces défauts qui nuisent indéniablement au jeu. Le plus tragique peut-être, dans Syberia 3, c’est que la plupart de ces défauts proviennent de l’utilisation de la 3D. En faisant le choix de la 3D, Syberia 3 s’est destiné à vieillir là où, ironiquement, le diptyque original garde un charme intemporel grâce à ses plans majestueux en 2D…! Ils ont néanmoins eu l’intelligence de ne pas opter pour une 3D «réaliste», mais pour un style qui se rapproche de la bande dessinée et qui confère à ce Syberia 3 un certain charme qui peut le sauver. Oui, l’histoire du développement de ce troisième opus a tout d’une petite tragédie, le résultat final souffrant de l’erreur initiale de créer un jeu en 3D. Mais alors, faut-il jouer à Syberia 3 ? Pour moi, oui. Malgré tous ses défauts, l’Aventure du jeu mérite tout de même d’être vécue. Si vous avez aimé les deux premiers jeux, ou si vous appréciez les Point’n’Click en général, n’hésitez pas à donner une chance au jeu. Il n’est pas révolutionnaire, il souffre de problèmes impardonnables, et pourtant on ressent que le jeu a été conçu avec passion et bonne volonté, tout en reposant sur des mécaniques classiques mais assez intéressantes pour investir le joueur. Reste maintenant à attendre Syberia : Le Monde d’Avant, et j’espère sincèrement que Microïds et Benoît Sokal ont appris des erreurs de Syberia 3 pour nous concocter un quatrième opus digne des deux jeux originaux, et que cette fois, la 3D sera maîtrisée et utilisée à bon escient !

Charlandreon
7
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le 8 nov. 2020

Critique lue 180 fois

Charlandreon

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