Est-il possible de dissocier Callisto Protocol de son illustre prédécesseur, Dead Space premier du nom ? La réponse vous la connaissez déjà ; entre l’héritage assumé par le Game Director Glen Schofield , l’univers de science-fiction crasseux mâtiné de Body Horror bien dégueulasse et la repompe sans vergogne de certains éléments emblématiques de la licence d’Isaac Clarke (entre son interface diégétique et les mêmes fondamentaux du gameplay), la question ne se pose même plus en vérité ; par une étrange ironie du sort, ce « nouveau » Survival Horror se voit de surcroît confronté à la venue imminente du remake de son influence principale et du remake à venir de l’influence principale de son influence principale (Tu suis, Léon ?) ; autant dire que le comparatif pourrait rapidement jouer en la défaveur de ce nouveau venu, pourtant porteur d’une licence inédite mais pas forcément de la plus grande volonté innovatrice. Car en une dizaine d’années, le Survival Horror s’est enfin extirpé de sa léthargie pour regagner les faveurs du grand public, après une génération PS3 Xbox 360 particulièrement douloureuse pour le genre de la pétoche interactive, période durant laquelle Dead Space lui-même lorgna sans retenue vers une action de plus en plus débridée et une atmosphère de moins en moins étoffée. Alors Callisto en fait, premier Dead Space vraiment flippant depuis le premier ? Pas tout à fait mais il y a de l’idée.


J’ai pas le temps !


Est-ce que Callisto fout la trouille ? Non absolument pas et c’est pas un grand aventurier téméraire qui vous parle quand il s’agit de s’avancer dans un couloir obscur avec trois pauvres munitions dans le révolver. Marque d’un manque évident d’originalité qui caractérise l’aventure dans son ensemble (sans la pénaliser totalement en définitive, à mon sens), les scripts horrifiques se veulent en effet assez grossiers et la peur est bombardée dans la gueule du joueur avec la subtilité d’un pachyderme au lieu d’être progressivement distillée dans son esprit ; à dire vrai, ce n’est pas tant l’effroi qui est le véritable enjeu ici mais bien une tension permanente sur la nécessité de vaincre les immondes saloperies qui nous font face en nombre alors qu’à votre sortie de prison, vous n’avez littéralement que votre bite et votre couteau pour les affronter ; et c’est bien à ce jeu là que Callisto Protocol tire son épingle du jeu, il renoue très frontalement avec une Action Horror que son modèle avait initié avec brio avant que les suites ne lorgnent vers l’action tout court ; la même frénésie dans les affrontements cauchemardesques que Resident Evil 4 avait jalonné dans son sanglant sillage. En vérité, Callisto se veut à bien des égards une proposition plus radicale que Dead Space en son temps ; le gameplay mettra particulièrement l’emphase sur le combat au corps à corps, composante très minimaliste de son prédécesseur, pour en faire la clé de voute de ses confrontations grâce à une mécanique d’esquive pas évidente à appréhender (et hélas très mal présentée dans le jeu) mais très gratifiante une fois maitrisée ; l’action se veut ainsi encore plus brutale et viscérale (hohoho) que par le passé car cette fois, il n’y a même plus la mise à distance habituellement imposée avec les ennemis et si le comparatif avec Dead Space se veut souvent défavorable envers Callisto Protocol, c’est certainement ce système de combat qui sera en définitive le point le plus clivant autour de ce nouveau titre. Une radicalité qui se trouve d’ailleurs concrétisée dans sa direction artistique particulièrement rugueuse ; c’est sale, visqueux et poisseux ; ça suinte la sueur de partout et l’ensemble lorgne davantage vers une version horrifique de The Expanse qu’Alien et son esthétique rétro ; bien loin de la stylisation que Dead Space avait fini par amorcer dès son second volet.


Alors oui, Callisto Protocol est une expérience linéaire qui déroule sans complexe la structure d’un jeu d’une génération antérieure à la Playstation 4 (ne parlons même pas de la PS5) et à l’heure où le monde ouvert s’est tant démocratisé que même Santa Monica et Naughty Dog soignent leurs zones ouvertes, il est certain que l’effet est assez déstabilisant mais faut-il vraiment conspuer cette initiative pour autant ? Durant cette précédente génération de consoles, ce dirigisme était justement la formule banalisée dans la plupart des titres de l’industrie à tel point que les discours alarmistes sur la fin des mondes ouverts étaient légion ; comme d’habitude les Madame Irma du jeu vidéo ont eu tort mais puisqu’Internet a une mémoire qui ne dépasse pas un an, les prédictions fatalistes demeurent monnaie courante ; tout ça pour dire que cette démarche a perduré pendant longtemps car elle n’était pas dénuée d’intérêt, celle en l’occurrence de peaufiner son rythme aux petits oignons et d’accentuer bien plus nettement le sentiment de progression du joueur sans la diluer dans une exploration potentiellement laborieuse. Chaque nouvel antagoniste a droit à une présentation dédiée et une mise en contexte appréciable ; une nouvelle mécanique de mutation est introduite au moment opportun pour relancer la dynamique des affrontements et même la plupart des informations utiles au joueur seront présentées directement par l’intermédiaire de l’environnement ; autant d’éléments qui nous rappellent qu’Half Life 2 était également une influence assumée de Glen Schofield et même s’il est possible de regretter l’absence d’énigmes pour diversifier un peu l’ensemble, Callisto Protocol véhicule une saveur d’un autre temps mais qui n’en demeure pas moins pertinente avec son sujet pour autant ; c’est avant tout une histoire d’évasion avec un héros désemparé, muni d’armes rudimentaires et d’une place limitée dans son inventaire, ici le mot d’ordre est autant la survie que trouver enfin un échappatoire à cet enfer, pas le temps de tergiverser en allant fouiller la moquette dans la pièce d’à côté. De plus, le titre est tout de même généreux dans ses multiples salles annexes à explorer dans la mesure où le craft et l’optimisation de notre arsenal sont vivement encouragés durant l’aventure (une fois encore, l’équilibrage est bien dosé à ce niveau-là) mais de surcroît, ces objectifs secondaires bénéficient fréquemment d’une structure soignée avec quelques surprises inattendues au tournant (et pas juste une pièce vide où il faut Looter tous les trucs brillants). Bref, Callisto est de ces titres qui œuvrent à merveille pour nous muer, de simples proies, en terrifiants chasseurs (le challenge est présent en sécurité maximale ; les prises de tête aussi) et à mesure que les heures de tension (et non d’épouvante) s’enchainent, ce nouveau venu semble être de la trempe de ces aventures qui ne révolutionnent pas grand-chose à leur arrivée mais s’avèrent néanmoins diablement efficaces. Tout du moins dans sa première partie…


Sans un bruit.


C’est une tare commune à de nombreux Resident Evil ; la première zone est réussie (parfois exceptionnelle) dans son Level Design et son agencement global mais la seconde moitié s’avère bien plus mitigée (voir carrément pourrie) ; Callisto Protocol perpétue ce regrettable constat en proposant un changement radical à partir de sa deuxième partie (schématiquement dès le moment où vous endosserez la fameuse armure illustrée sur l’affiche) dans un effort louable de diversifier sa formule mais cette initiative tend à dénaturer complètement son cœur de jeu principal ; d’une action violente et acharnée découle ainsi un redondant système d’infiltration à grands renforts de takedown et autres ennemis à éviter sournoisement ; le rythme s’en révèle grandement malmené et il est assez attristant de constater que depuis le succès de The Last Of Us, les Survival Horror s’efforcent d’inclure ces mécaniques superficielles d’infiltration de The Evil Within au prochain remake de Resident Evil 4 (ce qui me fait déjà très peur dans le mauvais sens du terme). Mais si cette approche était adéquate pour une expérience savamment équilibrée entre gameplay et narration comme les péripéties de Joel et Ellie (et montrait déjà largement ses limites dans la suite de leurs mésaventures bien plus conséquente en contenu), elle s’avère juste rébarbative pour un titre où les mouvements du joueur prédominent bien plus que la parlotte de ces personnages. Les heures s’enchainent donc avec lassitude d’autant qu’elles coïncident avec un amoindrissement progressif de son ambiance ; entre ses égouts, ses mines et ses centrales électriques, le jeu n’offre plus vraiment de dépaysement après la prison de Black Iron et sa composante science-fiction s’étiole peu à peu (fort heureusement pour revenir plus concrètement dans le dernier quart bien plus réussi de l’aventure). C’est aussi le moment où les maigres espoirs à l’égard de la narration s’effondrent peu à peu ; le jeu a beau se prendre étonnamment au sérieux dans son écriture, le manque d’originalité en devient quelque peu consternant et même si vous avez une connaissance toute relative du Survival Horror, vous pouvez déjà cocher mentalement les cases que le scénario s’efforcera de remplir ;


oui, il y aura des manipulations scientifiques en jeu, oui il y a la société secrète à la con qui aspire au progrès de l’humanité et oui, il y a même l’origine « surprenante » du virus dont vous vous demanderez peut être pourquoi vous n’y aviez pas songé avant. Le titre essaie bien de distiller quelques séquences hallucinatoires pour étoffer son récit, entre un traumatisme récurrent du héros et une légère composante mémorielle presque Cyberpunk dans l’idée, mais il s’avère étonnamment timoré sur cet aspect, se contentant d’enchainer quelques ruptures occasionnelles sans jamais embrasser pleinement son potentiel psychologique ; le parcours individuel du héros n’en en soit pas inintéressant mais c’est bien la seule chose qui démarquera l’intrigue de ce titre d’un Resident Evil ô combien plus nanardesque et défoulant dans ses cinématiques.


C’est regrettable car Callisto Protocol s’efforce vraiment d’être généreux jusqu’au bout dans son contenu ; il veut en faire beaucoup mais il s’avère de plus en plus pataud dans son exécution ; entre une séquence de train fantôme qui se résume à spammer lourdement la télékinésie ou ses putains d’ennemis qui vous one shoteront à la moindre occasion, le titre semble s’égarer de plus en plus en chemin. Regrettable encore une fois car dès que l’action renoue enfin avec sa brutalité initiale, l’impact des combats demeure vivace et vous en viendrez peut-être à soupirer de soulagement en constatant que les séquences d’infiltration ont enfin disparues. Le titre parvient à se rattraper quelque peu dans une dernière partie solide et bien rythmée mais sa perte d’intensité a néanmoins été suffisante pour annihiler la tolérance du joueur à l’égard de ces problèmes persistants, de son inventaire inutilement laborieux qui vous fera murmurer doucement « MAIS CHANGE D’ARME NOM DE DIEU !!! » à ses soucis récurrents de caméra ou l’ignominie de certaines séquences où vous en viendrez à vociférer contre ce pauvre Starkiller (comprendra qui pourra), autant de stigmates d’un développement difficile qui nous rappellent qu’il s’agit bien du premier projet d’une nouvelle équipe. L’ébauche est intéressante pour la suite mais l’expérience n’est clairement pas aussi maitrisée qu’elle semblait l’être au premier abord. Nul doute néanmoins que mon expérience a été quelque peu ternie par deux écueils récurrents : je suis habituellement un défenseur des bonnes versions françaises dans les jeux vidéos mais le choix de la VO s’avère ici indispensable, l’interprétation est globalement correcte mais la synchronisation labiale est complètement à la ramasse tout comme le mixage sonore sans même évoquer les répliques en anglais ou allemand ( ???) qui parsèment encore le titre aujourd’hui ; de plus, si la version PS4 est globalement fonctionnelle, elle est très clairement une variante au rabais entre ces insupportables temps de chargement ou ces retards de texture dignes du premier Mass Effect sur Xbox360 (tiens, on y revient encore décidément. :p)


T'as pas une gueule de porte bonheur.


En définitive, il est heureux pour ce Callisto Protocol qu’il ait été commercialisé avant les remakes à venir de ses confrères car à moins d’un imprévu inattendu envers ces titres, nul doute que la comparaison ne lui sera pas favorable ; néanmoins, il n’est pas nécessaire pour autant de médire à ce point sur une œuvre parfaitement sincère et généreuse dans sa démarche ; l’ambiance est efficace (bien que le côté carcéral soit finalement quelque peu en retrait) et sa proposition du système de combat mérite largement d’être étoffée à l’avenir. De plus, même les antagonistes ont le mérite d’être complètement adaptés au gameplay associé à ce nouveau titre (tout comme Dead Space encore une fois…), de telle sorte que leurs mutations à venir pourront peut-être offrir à un Callisto 2 la diversité qu’il peine encore à atteindre efficacement aujourd’hui. Mais finalement, entre un sound design parfois un peu trop discret et des environnements qui manquent un peu de dépaysement, c’est surtout dans son imaginaire de science-fiction que Callisto manque quelque peu d’inspiration. L’élève n’a pas encore dépassé le maître mais en comparaison des suites de Dead Space qui s’étaient quelque peu fourvoyées dans leur formule, ce nouveau venu a au moins le mérite d’être fidèle à ses racines.

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le 7 déc. 2022

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