Critique originale sur mon blog.


S'il est encore trop tôt, selon moi, pour dire si le jeu vidéo est ou n'est pas un art au sens où l'on peut l'entendre communément, force est de constater qu'il parvient, de ci, de là, à créer une implication émotionnelle que l'on ne pensait réservée qu'à la Littérature, au Cinéma ou à la Bande Dessinée. Et quand bien même The Walking Dead le ferait-il avec des ficelles issues de ces derniers exemples, il prouve que le jeu vidéo est un média à prendre bel et bien au sérieux.


The Walking Dead, série de jeux développés par Telltale Games, s'inspire alors du comic du même nom scénarisé par Robert Kirkman. Cette histoire post-apocalyptique met ainsi en scène des survivants lors d'une catastrophe transformant les morts en créatures affamées de chair humaine. L'intérêt de cette bande dessinée (et de la série qui l'adapta, par ailleurs), tient moins aux zombies eux-mêmes qu'aux personnages qui tentent de survivre dans un monde déréglé. La chose est loin d'être nouvelle : et déjà, Night of the Living Dead de George A. Romero de se concentrer sur ce pan humain de la catastrophe.


Aussi, ce n'est guère une surprise de retrouver dans cette série de jeux les mêmes problématiques et, à dire vrai, l'on passera plus volontiers de temps à gérer les émotions de chacun qu'à se battre, réellement, contre les morts-vivants. Mais si ce choix narratif est sans doute le meilleur que l'on puisse imaginer, il demande une très grande qualité d'écriture pour ne pas tomber dans la facilité de boulevard ou le larmoyant imbécile : et ce jeu vidéo de se rapprocher, autant que faire se peut, de l'excellence qu'on est en droit d'attendre.


Jusqu'à présent, deux saisons de cinq épisodes chacune (et un épisode bonus et intermédiaire) virent le jour. Je m'en vais alors les aborder toutes deux, bien qu'à mon sens, pour plusieurs raisons que je présenterai ici succinctement avant d'y revenir plus précisément, je pense, sur ZePlayer, la seconde ne parvient pas à se hisser au niveau de la première.


Que ce soit dans la "saison 1" ou la "saison 2", un personnage surtout permet de faire le liant : Clémentine, petite fille âgée de huit ans (11 ans dans la seconde saison) que le joueur trouvera, séparée de ses parents, au tout début de sa partie. Nous serons alors conduits, au cours de nombreuses tribulations et péripéties, à tout mettre en œuvre pour la préserver des horreurs qui peuvent survenir dans cet univers sordide : certes, la menace des walkers (les rôdeurs) comme ce pays les appelle est omniprésente, mais ce sera surtout la colère, la haine, la vengeance, la vilenie, la violence qui peupleront ce monde. Les pilleurs ont la gâchette facile ; la faim rend quiconque inhumain ; la peur conduit à des gestes malheureux. "Ne craignez pas les morts", nous dit un personnage ; "méfiez-vous des vivants".


Dans le cadre d'un jeu vidéo, les développeurs ont pris ainsi une décision qui, à mon sens, était la meilleure de toutes : il convenait de mettre de côté l'interactivité définitoire du média pour une intrigue mieux guidée certes, mais qu'il est possible d'influencer ponctuellement. Aussi, The Walking Dead de prendre la forme d'un jeu d'aventure du type "point'n click", mais au cœur d'un "Livre dont vous êtes le héros" : nous suivrons une intrigue, de lieu en lieu, de temps en temps, en rencontrant sur son chemin divers personnages hauts en couleur.


Si l'intrigue est, alors, fixée (il n'y aura jamais qu'un seul point de départ et un seul point d'arrivée), plusieurs embranchements, qui toujours reviennent aux mêmes points, sont laissés à la discrétion du joueur. La force, cependant, de cette écriture, tient en deux points principaux : d'une part, l'illusion du choix. La première fois que nous traversons l'aventure, nous ignorons tout de ses tenants et aboutissants : et les choix demandés sont si difficiles (souvent, il s'agit de décider de la vie ou de la mort d'un tiers, ou bien de mentir ou de dire la vérité sur un événement qui pourrait avoir des répercussions bien plus loin dans le temps) que l'on ne peut manquer d'être pris dans le jeu, surtout quand le devenir de la petite Clémentine est en péril.


D'autre part, la rapidité du choix. Bien que le jeu vidéo se caractérise, en grande partie et pour la plupart de ses représentants, par une célérité certaine, généralement, celle-ci de se traduire par un échec et l'obligation de reprendre au précédent point de contrôle. Ici, même l'absence de choix est un choix : et si ce n'est quelques scènes d'action qui peuvent conduire à une fin prématurée, ici, tout finira toujours par avancer, avec ou sans nous. Aussi sommes-nous amenés, le plus souvent, à choisir entre la moins mauvaise de deux options, sans savoir où elle nous conduira et sans savoir quelles en seront les conséquences.


Si la chose fonctionne alors volontiers la fois première, la rejouabilité, en revanche et si ce n'est pour voir tous les chemins tracés, est quasiment nulle, et cela est dommage. Le premier voyage, cependant, vaut largement le détour tant les auteurs savent, au moyen de plusieurs scènes touchées, donner une véritable profondeur aux personnages rencontrés. C'est de l'empathie que nous ressentons, et c'est l'empathie qui nous fait continuer : et un temps seulement, nous ne pouvons nous empêcher de croire ces êtres de fiction bel et bien réels, et de se projeter en eux. Agirions-nous de même, quel prix donnerions-nous à notre morale ? Serions-nous humains, trop humains, ou ne chercherions-nous qu'à survivre, quel qu'en soit le prix ?


De la même façon que Fallout: New Vegas, nous sommes régulièrement renvoyés à notre condition d'Homme, et c'est là l'une des définitions possibles de l'art. Et s'il est encore trop tôt pour dire si le jeu vidéo est, ou n'est pas un art, The Walking Dead marque sans doute aucun une étape décisive vers cette reconnaissance potentielle, que je suis fier et heureux d'avoir connu au moment de sa sortie.

Mathieu_Goux
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le 2 sept. 2015

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Mathieu Goux

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