Perdu quelque part en Californie, le joueur explore et s'oriente comme il peut. Hollywood, Los Feliz, Griffith Park. Whittier, paisible bourgade non loin, est la ville où Brian Fargo a grandi. On s'y enquille l'un des combats les plus difficiles du jeu. On met un moment à percuter que la Californie de Wasteland 2, c'est la patrie de Brian Fargo, là où il est né, là où il a grandi, là où il est allé à l'école, là où il a développé ses premiers succès, sans doute là où il a créé Wasteland 1 sorti il y a presque trente ans. Là, surtout, où il a fondé Interplay dans sa prime jeunesse, enchaîné les réussites mythiques, permis la naissance de Baldur's Gate, créé Fallout, avant de disparaître – puis de réapparaître vingt ans après en fondant inXile, au milieu d'un long silence (radio) ponctué de releases discrètes, du faux comeback (Hunted, pour Bethesda) au revirement résigné (Line Rider, minijeu d'adresse pour Nintendo DS). Il faut bien une vingtaine d'heures sur Wasteland 2 pour comprendre qu'on arpente l'Histoire, et si on a l'esprit mal tourné il faut aussi s'accrocher pour ne pas voir dans ces paysages inhospitaliers une allégorie de l'évolution du WRPG, dont le récent Fallout 4 vient (encore une fois) de nous prouver l'inquiétante dégénérescence.


Wasteland 2 est un jeu triste. Triste dans ses couleurs, dans son scénario, dans son acharnement cafardeux à perpétuer un héritage dont bien peu daignent encore s'encombrer, comme s'il y avait désormais quelque chose de honteux à vouloir être différent. Pendant des dizaines d'heures on respire une odeur bizarre, on sent jusqu'à ce tiraillement des développeurs, de plus en plus net, cette hésitation fondamentale, cet équilibre précaire qui menace à tout moment de s'écrouler, comme si même chez inXile on n'était pas trop sûr de vouloir faire ce jeu, de vouloir conclure impudiquement une affaire vieille de trente ans, qui mériterait de reposer en paix. Wasteland 2, le titre même cloche. Une suite à quoi ? Pour qui ? Qui connaît Wasteland 1, d'abord ? Qui y a joué ? Trois millions de dollars récoltés sur Kickstarter ne suffisent pas à dissiper le malaise : ce jeu est anachronique. Pas comme Divinity :Original Sin, bariolé et fêtard, qui dit son amour du genre avec cette naïveté salvatrice qui est aussi celle de Swen Vincke, coloré patron de Larian. Pas comme Pillars of Eternity non plus, meilleur communiquant, beau et intouchable comme un petit roi au blason bardé de victoires. Les faits sont là, Brian Fargo ne fait plus rien d'intéressant depuis au moins quinze ans, inXile n'a jamais prouvé quoi que ce soit et Newport Beach sent la naphtaline. Il y a quelque chose de fondamentalement gênant, un problème de fond, un truc qui ne va pas. Un signe qui ne trompe pas : l'accueil critique, modéré outre-Atlantique, et celui des joueurs, beaucoup plus froid que pour les autres jeux de la « trilogie Kickstarter ». Wasteland 2 n'est pas sexy et sent la mort.


Un point qu'on accordera à ses détracteurs : les designers de ce jeu sont talentueux, et ce sont aussi de grosses putes. Toi, monsieur qui a fait le quest design, je t'aime et je te hais. Toi aussi, monsieur qui a placé les ennemis. L'enfoiré responsable des embranchements scénaristiques, silence pudique. Je déteste perdre. Je déteste me viander à répétition sur le même passage. Je déteste quand ma team de roxxors se fait amputer d'un membre (ou plusieurs) pour une raison totalement arbitraire. J'exècre tous ces scripts iniques et imprévisibles, cette cruauté gratuite comme principal legs des CRPG les plus velus des années 80, cette écriture digne d'un MJ bourru et bourré dont le principal but en soirée est de faire chier le monde. Putain, même Pillars of Eternity n'osait pas être aussi pète-couilles dans ses moments les plus lourds, c'est dire. On s'emporte souvent dans Wasteland 2. Dans sa version Director's Cut notamment, qui fait semblant d'assouplir la courbe de difficulté, fait du pied au nouveau-venu, le convainc par ses premières quêtes (facilement appréhendables) et ses premiers combats (pas trop ingérables) que tout le monde est le bienvenu dans le Wasteland. Reposant sur un système de tour-par-tour quasiment identique à celui de Divinity : Original Sin, les combats de Wasteland 2 sont réussis. Les décors sont simples mais forts, les personnages bien écrits, les dialogues brefs et percutants, avec ce supplément d'âme qui les rend plus intenses et personnels que ceux du dernier Fallout (et de la plupart des WRPG récents). En fait, tout concourt à prouver, dans les premières heures, que Wasteland 2 est un titre non seulement passionnant, mais aussi amical – une sorte de variation sur le thème de Fallout, un spin-off à mi-chemin entre Fallout Tactics et Fallout 2 pourvu d'une difficulté relativement abordable.


La grande réussite d'inXile, surtout pour un studio resté aussi longtemps dans l'ombre, est d'être parvenu à se saisir immédiatement d'un feeling profondément rôliste. Le setting est d'une évidence aveuglante, la feuille de personnage aussi riche que vierge encourage à l'expérimentation, et le jeu égrène ses promesses alléchantes avec une régularité métronomique. Par rapport à ses concurrents de la Trilogie Kickstarter (D:OS, PoE), c'est même celui qui fait le mieux les choses, qui remplit le mieux son contenu de début de partie. Les combats brillants, l'aspect tactique présent sans être trop lourd, la fluidité des enchaînements exploration/dialogues, la précision de l'écriture de ceux-ci, l'excellence aussi de la traduction française qui permet de jouir pleinement des enjeux de chaque quête et de rire d'un humour résolument noir et légèrement geek, 100% efficace. L'interface est assez laide mais parfaitement fonctionnelle, tout est fait pour avoir l'air clair, pour qu'on ne perde pas son temps à fouiner dans les menus, ou plutôt pour que naviguer dans ceux-ci soit réellement partie intégrante dans l'expérience, qu'on s'y promène pour réfléchir plutôt que pour s'y perdre. Le nombre très élevé de compétences dans différentes catégories (combat, sociales, exploration) oblige à faire des choix. Heureusement, la fréquence des montées de niveaux et la quantité de PNJ recrutables fait qu'on a tout loisir de les essayer l'une après l'autre, le challenge résidant alors dans la recherche d'une complémentarité parfaite entre les membres de l'escouade. Les vingt premières de jeu tutoient la perfection, le joueur étant constamment invité à une exploration raisonnablement guidée tout en gérant ses nombreuses montées de niveau. Les combats, tendus mais pas inaccessibles, font qu'on s'interroge réellement sur l'utilité de chaque compétence prise individuellement. Chaque arme a ses propriétés, chaque ligne de compétence pour chaque type d'arme déverrouille des talents potentiellement uniques qui demandent une vraie réflexion en amont. Les décors sont bourrés de secrets ou de promesses d'interactions en tous genres qui rendent chaque compétence potentiellement utile et même précieuse. Les dialogues sont régulièrement ponctués de choix « sociaux » qui peuvent sensiblement modifier le cours de certaines quêtes et donnent de fortes récompenses d'XP, à condition d'avoir le bon niveau dans une (ou plusieurs) des quatre compétences de dialogue. Les quêtes sont écrites avec simplicité et efficacité, sans blabla inutile, savent poser des enjeux et faire miroiter leurs conséquences. Quand bien même tout serait foutu, il reste le mode free aim, où on peut décider d'envoyer une bastos sur un personnage neutre ou ami, démonter un marchand pour looter son étal ou en finir avec le boss d'une faction de blaireaux aux demandes peu raisonnables. Wasteland 2 est passionnant et chronophage, exigeant mais raisonnable, dose à la perfection chacun de ses effets. Dès le départ. Il émerveille par l'étendue des possibles. C'est certainement l'un des débuts de RPG les plus forts que j'ai vécu, loin devant la concurrence récente (y compris D:OS et PoE). Et ce sidérant équilibre, ce rythme insolemment parfait, le jeu va le garder pendant vingt à trente heures. On a pu lire, ici et là, que Wasteland 2 était le vrai Fallout 3. On peut dire à la lumière de ces débuts incroyables que c'est le vrai Fallout 4. En faisant fi de sa modestie technique (dont on se moque très vite), on hallucine sur tout le reste.


Pour détailler un peu plus le gameplay, il faut dire et redire que Wasteland 2, c'est de la mécanique de précision. Chaque combat demande une approche rigoureuse, mais pas trop punitive. Le jeu reste plus facile à prendre en main que Pillars of Eternity, pour ne citer que lui. Un bon sens primaire suffit. Les barres de vie des recrues s'égratignent sérieusement, pas assez pour les mettre à terre, suffisamment pour entretenir cette sensation de danger, cette pure satisfaction au moment de la sacro-sainte montée de niveau, délicieuse et fréquente récompense qui précède souvent une autre mise à l'épreuve. Les affrontements à balles réelles restent le cœur du jeu, qui se structure en étapes « du difficile au facile », commençant avec quelques combats tendus, la difficulté retombant légèrement pour donner au joueur la satisfaction d'être monté en puissance, avant de remonter un peu plus tard et le tester de nouveau. C'est archi-smooth, dans le plus pur respect de l'idée de jeu de rôle telle qu'on se la faisait, peut-être pas à l'époque de Wasteland 1, mais plutôt dans les années 2000, avec des débuts galère et des montées en puissance grisantes, un mouvement oscillatoire où période et amplitude sont en parfaite harmonie. Et l'équilibre se retrouve aussi hors des combats. Il est difficile, mais pas impossible, de tout trouver, de déverrouiller tous les coffres (avec les différentes aptitudes), de réussir les répliques les plus exigeantes, à condition de privilégier la complémentarité et de viser une spécialisation pour chaque personnage. Chose suffisamment rare pour être signalée, même les boutiques sont utiles, avec un bon équilibrage de la valeur de l'argent, un système de commerce simple et clair. Chaque compétence est valorisée à un moment ou à un autre, chaque instant d'exploration invite à employer l'une ou l'autre, souvent à passer son chemin pour revenir plus tard avec de meilleures statistiques, faire plier les derniers coffres récalcitrants, clôturer les quêtes au long cours, finalement maîtriser un univers qui n'est apocalyptique qu'en surface, ou tout semble pouvoir être résolu, amélioré, réparé, dans le prolongement logique de la mission des Rangers du désert, dont l'optique initiale est de faire le bien.


Faire le bien donc, mais le faire mal ? Tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins. Grande finesse dans l'écriture, où il est souvent possible (obligatoire) de consentir à des sacrifices pour atteindre son objectif. Dès le départ, le jeu nous demande de choisir entre deux populations à sauver, l'une excluant l'autre. Bien que l'orientation des personnages soit donc clairement prédéfinie (les Rangers sont bons), la progression se peint en nuances de gris, laissant toujours planer la menace d'un dénouement tragique. Certaines quêtes sont entièrement construites sur cette précarité du bien, ce risque palpable que tout dérape. On marche sur des œufs. On sauvegarde souvent dans la peur de choisir une réplique aux conséquences malheureuses, de pénétrer dans une zone inhospitalière ou de marcher sur une mine. Une probabilité d'échec critique dans l'utilisation d'une compétence, surtout à bas niveau, et c'est toute la partie qui peut partir en vrille. Wasteland 2 joue beaucoup, et avec succès, sur ce sentiment d'instabilité, de précarité. Il insiste également sur la complexité politique du monde et la relativité de la notion de bien. Chaque personnage est animé de ses propres convictions, chaque faction a une raison d'être qui se trouve dans l'histoire du Wasteland, tout le monde a un peu pété les plombs après la fin du monde et c'est sur le chagrin que chacun se reconstruit, parfois non sans perdre la boule. Certains PNJ ont un côté bon ; presque tous, en revanche, ont un côté « enculé notoire » qui les rend difficilement aimables passées certaines lignes de dialogue. Tous pourris, c'est le credo de Wasteland 2. Et c'est ici, paradoxalement, que le jeu menace de s'écrouler.


En effet, dans son souci d'embrasser toutes les illustrations d'un monde courant à sa perte, le jeu s'encombre. Possibles conséquences de stretch-goals à répétition, appétit immodéré des développeurs pour leur propre univers : le Wasteland est bardé de factions, de villes, de PNJ qui s'opposent systématiquement les uns aux autres, parfois dans une involontaire logique de surenchère qui finit par gonfler. Il y a autant, sinon plus, de communautés que de zones de jeu. Chacune possède son propre arc narratif, son éventail de quêtes – généralement circonscrits à la zone géographique où la faction demeure. C'est particulièrement criant dans la seconde moitié du jeu, quand l'équipe débarque en Californie, contrée bourrée de mini-zones habitées par des multitudes de zigues aux vices appuyés et aux antagonismes sur-écrits. Chaque entrée dans une ville demande de se familiariser avec un nouveau microcosme éjectant systématiquement le précédent. On touche ici aux limites de l'écriture de Wasteland 2, qui multiplie les enjeux sans vraiment les enchevêtrer au-delà de la surface. Chaque « niveau », bien que navigable librement et de façon globalement non-linéaire, contient sa propre faune dont l'influence n'ira pas au-delà de son patelin de départ. C'est regrettable et trop prononcé passée la première moitié du jeu. Dès lors, le titre ploie sous un trop-plein d'enjeux à la récurrence mécanique, qui a de plus tendance à perdre inutilement le joueur. La concision de l'écriture se transforme alors en défaut, puisque chaque lutte de pouvoir finit par n'être qu'esquissée, voire vulgairement gribouillée. Certaines séquences end-game sont complètement ratées, caricaturales, frustrantes surtout car ne donnant plus cette impression de cohérence que le jeu délivrait pendant sa brillante première moitié. Ceci, parce que l'écriture est en berne. Ceci, aussi, parce qu'ici subitement on ne rigole plus, la plupart des points de compétence ont été distribués et le jeu se charge maintenant de vérifier que vous avez fait de bons choix de développement. On peut passer extrêmement près du blocage simple et définitif à l'occasion de séquences d'une difficulté sans pardon. Certains combats sont d'une difficulté hallucinante. J'ai du réessayer vingt, trente fois une poignée de scènes qui se jouent au poil de cul près, dont la tristement célèbre zone de Whittier et son embuscade injuste et ingérable. Ou, plutôt, gérable, à condition de savoir à l'avance ce qui nous attend et de faire des choix de développement en conséquence – du putain de die and retry à l'échelle de la trentaine d'heures, merci du cadeau. Même les quêtes perdent progressivement de leur clarté, les conséquences sont moins prévisibles, on bloque, on abandonne, on vogue entre une multitude de mini-zones indépendantes trop déconnectées les unes des autres, où les enjeux se résument à enfiler des bastos et à maintenir son escouade (de plus en plus à la peine) en vie.


On l'a dit au début, Wasteland 2 est hésitant. Et cette hésitation se retrouve jusque dans la version Director's Cut, d'une ambivalence presque flippante, toujours dans cette étrange logique d'allégorie d'une ère décadente, pas tout à fait révolue mais en passe de l'être : il y a une différence particulièrement frappante entre l'extrême perfectionnement du système « brut », notamment dans la liberté qu'il laisse au joueur de planifier l'évolution de ses personnages (les compétences sont innombrables et les combinaisons intéressantes potentiellement infinies), et sa mise en œuvre ingame, cryptique sans qu'on puisse dire jusqu'à quel point c'est volontaire, où scénario et gameplay auraient été pensés comme deux entités indépendantes, inaptes à communiquer dès qu'on franchit un certain stade. C'est évident quand on compare son parcours à celui d'autres joueurs, quand on remarque avoir raté certaines opportunités ou au contraire avoir profité d'avantages de gameplay presque indécents, alors que rien dans le déroulement de la partie et dans les choix de chaque joueur n'explique de telles différences. Comme dans les années 80, on en vient à penser que Wasteland 2 se parcourt deux fois au moins, une première fois comme run d'essai destiné à repérer les erreurs à ne pas commettre, une deuxième fois mieux armé pour faire plier un système autrement trop cruel, qui ne donne pas assez d'informations au joueur – et puis une troisième fois, soyons fou, pour définitivement vaincre le jeu, remplir pleinement ce rôle de « gentil » gravé dans le synopsis qu'on ne peut presque jamais laisser pleinement s'exprimer, parce que les victimes collatérales s'empilent et que, rien à faire, ce monde est vraiment trop pourri, trop rongé par le vice et la mort pour qu'on puisse réellement le sauver, et qu'il faut louvoyer entre les problèmes dans un sans-faute parfait que seul un « par cœur » (bête et méchant) permettrait d'atteindre. Encore que.


C'est alors qu'on comprend que Wasteland 2 doit se parcourir dans la résignation. Résignation d'un créateur dont l'heure de gloire est passée, qui a laissé derrière lui des succès qu'il ne pourra pas reproduire. Résignation de ces petits personnages low-poly qui courent idiotement à la poursuite d'un grand méchant dont la mort ne sera même pas un soulagement. Le Wasteland est pourri jusqu'à la moelle, plein à craquer de PNJ paumés, de causes perdues et d'humoir noir. On y engloutit les heures, persuadé d'avoir les bons builds, certain de pouvoir vaincre cet univers morose par ses choix de dialogues et de compétences. Le jeu est maître dans cet art de faire croire à la victoire, particulièrement dans sa très longue introduction en Arizona, avec sa courbe de progression ultra-smooth et les infinies possibilités qu'elle laisse entrevoir. L'arrivée en Californie, pourtant, ne confirme pas ces impressions. Le jeu s'y fait moins amène, moins désireux de plaire, ouvertement brutal et inique dans la moindre de ses quêtes qu'on finit par résoudre avec les réflexes d'un vieux soldat fatigué. C'est peut-être ici que l'inconfort de Wasteland 2 réside, dans cette lente et inexorable perte de vue d'un dénouement aimable, dans cette raréfaction de l'oxygène et de la vie, le jeu revenant progressivement à une structure plus morcelée et froide. La multiplication des factions hostiles, l'amenuisement des possibilités de succès obligent le joueur à se détacher de l'histoire pour se concentrer sur le gameplay. On dézingue à la chaîne, on oublie pourquoi on joue, on traque avec obsession la ligne de dialogue utilisant la compétence sociale qu'on a maxée avec soin. Et il est là, le problème bizarre, le dysfonctionnement de fond sur lequel on mettait le doigt dès le début : Wasteland 2 pue la fin du monde. Il court vers sa propre destruction, sans qu'on soit tout-à-fait capable de dire où s'arrête la volonté des développeurs et où commence la démission, l'automatisme paresseux du créateur satisfait d'avoir attiré son public à lui. A plus d'un titre d'ailleurs, cette version Director's Cut laisse un certain goût d'inachevé en bouche, quand, sur la fin, les problèmes s'accumulent, qu'on suspecte de plus en plus la paresse – d'écriture, d'équilibrage. On finit par enclencher le pilotage automatique, par faire tourner le système D à fond, à mettre sa morale de côté pour réussir à terminer les passages de combats les plus difficiles. Il m'est arrivé de décimer une faction entière, relativement pacifique, pour la simple nécessité de monter de niveau et de pouvoir continuer les rails de la quête principale. Une belle saloperie, peut-être indissociable de l'expérience globale, mais sans doute un peu trop frustrante pour passer complètement.


La fin du jeu sera réservée aux plus persévérants. Ce n'est pas tellement une surprise, le problème peut aussi être adressé à Divinity : Original Sin et Pillars of Eternity, un peu trop pleins à craquer de baston et légèrement expédiés dans leurs séquences end-game. Après, il ne faudrait pas non plus être trop critique envers inXile, dont c'est le premier travail d'envergure depuis près de dix ans, et surtout le premier RPG depuis The Bard's Tale, sorti deux générations en arrière. La déception est cependant accentuée par l'excellence du début. On est dès lors moins enclin à tolérer au jeu ses petites errances, ses bugs non corrigés, ses quêtes à la conclusion bâtarde et expédiée (il y en a, surtout pendant la deuxième moitié), sa traduction française qui glisse de l'excellent au tout juste correct... même l'argument massue, à savoir le passage sous Unity 5, ne remplit pas complètement ses promesses, le jeu restant un peu trop austère graphiquement. Pour avoir découvert le jeu sur cette Director's Cut, il m'est difficile de décrire les véritables changements par rapport à la version Vanilla, mais le déséquilibre entre l'excellence du début et les toussotements de fin de parcours me laisse penser que bien plus de choses auraient pu être corrigées. Au bout de cinquante heures, on a la rage. Lobotomisé, ne comptant plus que sur le pouvoir des armes, comme halluciné face à la multitude d'adversaires, à la difficulté d'identifier l'ennemi numéro un, voyant en tout PNJ un obstacle à son avancée. On ne rêve plus que de se ranger, de se trouver un taudis, de s'y poser et d'attendre la fin, mollement. C'est aussi ça, l'apocalypse selon Brian Fargo : la rétrospective d'une carrière, d'une vie. L'érosion lente d'un décor qu'on a l'impression d'avoir toujours connu. La trajectoire d'une étoile filante dans le ciel de Californie. L'allégorie nous poursuit du début à la fin, tout autant que la certitude que ce Wasteland 2 est plus Interplay que Bethesda. Surtout à l'heure de l'horrible créature mutante Fallout 4 : y jouer reste obligatoire pour tout rôliste qui se respecte.

boulingrin87
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le 21 nov. 2015

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Seb C.

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