Trois petites notes de musique

Annotation :

Il y eut un Jules Romains avant Les Hommes de bonne volonté, et même plusieurs, mais vu l’ampleur du pavé on a un peu tendance à l’oublier. Une veine réaliste, avec Mort de quelqu’un, une veine satirique avec Les Copains ou Knock. Et puis une veine psychologique, avec ce merveilleux et étonnant « Lucienne » qui inaugure une trilogie justement intitulée Psyché. Il faut dire que Jules n’y va pas de main morte dans le rayon de l’introspection, en suivant ainsi à la première personne les moindres méandres des pensées de son héroïne, une jeune professeure de piano fraîchement débarquée dans une petite ville de province, et qui se trouve aux prises avec une famille en pleine ébullition suite à l’arrivée d’un parent éloigné et célibataire, le charmant Paul Febvre, dandy de son état. Très ramassé quant à l’action et aux personnages, le roman fait néanmoins écho à la démarche proustienne, celle d’une étude au scalpel des mouvements bouillonnants d’une âme dès lors qu’elle entre en contact avec autrui. Plus léger que du Woolf, plus amusant que du Maurois, Romains trace sa propre voie avec une sureté merveilleuse pour retracer la naissance d’un amour, et brosser le portrait fin et nuancé comme un Vermeer d’une femme libre dans toute sa complexité.

« Les premiers sons de piano me font trembler. De lourds accords tournent sur leurs gonds comme les battants d’une porte de bronze. On dirait que des événements invisibles, déjà tout formés, n’attendaient que ce signal pour se précipiter dans la vie. Une triste paix est rompue. Une convention frauduleuse vient d’être déchirée. La chose qui me semblait la plus importante, et qui tantôt me plissait le front, je ne sais même plus au juste ce que c’est. Du coin de l’œil, je l’aperçois qui s’enfuit et se dissipe. L’âme s’avance, d’un pas excessif, et le souffle rapide, à travers toutes sortes de formes qui s’éboulent. Il y a comme une fin du monde. Une espèce de jugement dernier s’installe où il peut sur les ruines, et les premiers décrets d’un monde éternel ne sont entendus qu’à demi dans le bruit de l’effondrement. »