1491
7.2
1491

livre de Charles C. Mann ()

Sur la foi de David Grann, j’attendais beaucoup de 1491. (C’est aussi l’un des rares livres en français figurant dans la bibliographie de la Cité perdue de Z.) Comme Grann, Mann est journaliste. Rien de disqualifiant en soi : les auteurs des livres de journalistes ont tendance à diffuser les réponses aux questions qu’ils se posent, ce qui peut donner lieu à des réussites pour peu que le lecteur se pose les mêmes. Compte tenu de l’étendue – géographique et chronologique – du sujet, le chantier est vaste.
En l’occurrence, Mann a quelquefois tendance à narrativiser (le mot n’est pas plus laid que storytelling, non ?) son enquête ou à présenter ses informations sous un jour sensationnel : voir le coup des truites qui font des bonds hors de l’eau, voir « mon aïeul Billington » (p. 200), voir aussi « les cellules de chaque créature vivante dissimulaient une horloge radioactive » (p. 180) pour expliquer la datation au carbone 14 ou l’« assaut à la Star Wars » (p. 313) du 29 avril 562… Mais j’admets que ce ne sont pas des défauts rédhibitoires : à moins de tenir RMC Découverte pour une chaîne sérieuse, le lecteur ne tombera pas dans le panneau. C’est aussi un moyen d’aérer un peu les quelque quatre cents pages de 1491.
J’admets aussi avoir appris des choses en lisant l’ouvrage de Charles Mann. Le hic, c’est que je n’ai pas confiance en ce que j’ai appris. Je ne peux pas faire confiance à un auteur qui, bien qu’il dénonce à juste titre l’ethnocentrisme qui a longtemps prévalu dans la recherche archéologique, adopte parfois, consciemment ou non, une perspective très états-unienne – cf. le tabac comme « vice favori des Indiens » (p. 220).
Je ne peux pas souscrire à la vision tout à la fois linéaire et quantitative du progrès qui est celle de l’auteur, lorsqu’il explique que « la philosophie mexica, arrêtée dans son élan par Cortés, n’a pas eu l’occasion de se développer comme les pensées grecque ou chinoise, mais les traces qui nous restent indiquent qu’elle était en voir d’y parvenir » (p. 147). Je ne partage pas non plus l’idée que « si la culpabilité se transmet difficilement de génération en génération, il n’en va pas de même pour la responsabilité » (p. 156).
Et puis on a quand même un livre qui parle de l’« an zéro du calendrier chrétien » (p. 180) et place l’épidémie européenne de peste noire « mille ans plus tard » que l’épidémie d’Athènes en 430 av. J.‑C. (p. 108)… Merde, Charlie ! en France, postuler une année 0 ou confondre avant et après J.‑C. en calculant une date sont des erreurs qu’on apprend à ne pas faire aux collégiens (1) ! Et dire que « la rébellion de Martin Luther contre l’Église de Rome fut la descendante de l’épidémie [de peste noire], tout comme l’antisémitisme à l’époque moderne » (p. 108 toujours), je ne crois pas que ça soit une analyse qu’on puisse balancer en deux lignes péremptoires. Il faudrait un livre d’histoire pour l’appuyer – et encore…


Ça ne signifie pas que tout le contenu de 1491 soit faux ; mais il s’en trouve quand même salement discrédité (le mot est moins laid que décrédibilisé)…
Car en vérité, l’auteur semble plein de bonnes intentions. Je ne sais pas si on fait de la bonne histoire avec de bonnes intentions, mais ceci explique peut-être une caractéristique de 1491 : si l’ouvrage n’est pas convaincant quand il expose des connaissances, il n’est pas mauvais quand il met en lumière des ignorances. Bien sûr, dans cette optique l’idéal aurait été de boycotter, clairement et en bloc(s), le concours de… monolithes (« Les plus vieilles pierres viennent de chez nous ! – Non, de chez nous ! ») qui peuvent résumer en partie l’histoire de l’archéologie.
Bien sûr encore, cela donne parfois au texte des allures de filet d’eau tiède : « Les archéologues de ma connaissance se comportent comme si le modèle de Clovis était erroné, sans toutefois exclure entièrement la possibilité de sa validité » (p. 197, les italiques sont de moi). Mais je connais des bouquins passionnants qui expliquent qu’on ne sait pas grand-chose.
Et en attendant, c’est à ma connaissance un des seuls livres sur l’Amérique précolombienne à destination du grand public francophone.


(1) Qu’un journaliste commette ce genre de conneries, ça me gêne. Qu’une tripotée de relecteurs (certains cités p. 467) dont c’est plus ou moins le boulot les laissent passer, ça me choque.

Alcofribas
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le 4 févr. 2019

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