Le récit subtil et enlevé d'un témoin de la "crise de 2013".
Le sixième roman de Luc Dellisse, paru en septembre 2012, est une belle occasion de faire connaissance avec l'écrivain franco-belge, remarquable polygraphe de fictions et d'essais (et professeur de scénario à la ville).
En 120 pages denses assorties d'une précieuse postface, il nous propose d'accompagner la "réflexion à voix haute", menée à un train d'enfer, d'un intellectuel "ayant vécu" en 2013 le dénouement et le point provisoirement final de la crise du capitalisme dont le paroxysme actuel avait débuté en 2007-2008...
Parvenant à trouver un ton bien particulier, tout en lucidité informée (les passages économiques sont souvent d'une qualité et d'une drôlerie dignes du meilleur Lordon, bien qu'issus d'une perspective sensiblement différente) et en pragmatisme gentiment égoïste de - déjà - survivant, Luc Dellisse nous propose ainsi, sous couvert d'anticipation socio-économique, une forme subtile d' "apocalypse joyeuse", où la mélancolie, la résignation et le vouloir-vivre "au mieux" s'associent dans une bizarre sarabande que, là aussi dans une perspective bien différente, ne renieraient sans doute pas le Jérôme Leroy des anticipations socio-politiques nourries au fantôme de "communisme balnéaire", voire le Norman Spinrad du "Il est parmi nous"...
À mi-chemin entre l'analyse économique réaliste et une forme désenchantée de romantisme contemporain, une lecture bien attachante.
"La vérité est que 2012 n'est pas un récit de science-fiction mais une fable. Qu'il ne décrit pas l'avenir, même prochain, mais le présent. Il le décrit avec les moyens romanesques : il ne dit pas : "ceci se passe", encore moins : "ceci se passera" mais : "ceci est une autre forme possible du présent".
Car j'écris en 2012 et je vis dans un monde menacé. 2012 présente un ensemble de faits, de risques, d'épisodes et de singularités qui lui donnent son visage. C'est un visage en mouvance. Pour en fixer les traits, je radicalise quelques-uns de ces détails, le temps d'un regard. J'appelle ce regard 2013.
L'imaginaire est un réalisme comme un autre. On invente pour voir clair."
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