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Paru en 2014 aux éditions Zones, remarquablement traduit par Grégoire Chamayou, «24/7 Le capitalisme à l’assaut du sommeil» est un livre plus vaste que son sujet, aux digressions touffues (parfois un peu trop), largement consacré aux transformations du capitalisme, à l’explosion des technologies, des moyens de transport et de communication, au développement d’échanges continus et fluides, et globalisés depuis 1945, et ayant eu pour conséquence l’érosion de la vie privée jusqu'à son ultime rempart, le sommeil, aujourd’hui menacé.

Le sujet n’est donc pas vraiment nouveau. Marx avait déjà analysé que, pour citer Jonathan Crary, «les temporalités cycliques, saisonnières ou journalières, sur lesquelles se fondaient l’activité agricole depuis toujours, constituaient une série d’obstacles insurmontables à la refonte du temps de travail qui était dès le départ absolument nécessaire au capitalisme.»

Le processus d’érosion des ténèbres et du sommeil est en marche depuis le XXème siècle, avec une durée moyenne des nuits d’un adulte américain de six heures trente aujourd’hui contre dix heures vers 1900, une érosion initiée par le développement de l’éclairage urbain et l’extension qui s’ensuivit des horaires d’activité, dans tous les domaines de l’économie. Mais ce phénomène s’est accéléré depuis deux décennies, et nous sommes maintenant sans cesse sollicités pour regarder des écrans ou des images, travailler et consommer. Le nombre de gens qui se relèvent pendant la nuit pour consulter leurs messages ou leurs écrans croît de façon exponentielle. Avec le développement des micro-ordinateurs et autres dispositifs de communication, l’essor du néolibéralisme et le démantèlement des systèmes de protection sociale, les séparations entre vie privée et professionnelle, entre les sphères du loisir et de l’information ont été dissoutes, «toutes ces distinctions étant court-circuitées par une fonctionnalité obligatoire de communication qui doit nécessairement, par nature et sans échappatoire, fonctionner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.»

«Il semble aujourd’hui qu’il n’y ait plus un seul instant de la vie des individus qui ne soit modelé, contaminé ou contrôlé par un dispositif.» (Giorgio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?)

Dans une société de consommation qui valorise systématiquement l’activité et la performance, et cherche à réduire l’immobilité, la contemplation et la réflexion précédant l’action, une longue nuit de sommeil finit donc par apparaître comme du temps perdu.

Il paraît que le Pentagone a commandité des études expérimentales visant à créer un soldat sans peur et qui n’ait plus besoin de sommeil, préfiguration d’un travailleur ou d’un consommateur sans sommeil pour qu’ «enfin» coïncident un comportement humain sans pause avec celui des marchés actifs 24h/24 et 7jours/7. Alors on pourrait, et sans doute on devrait, travailler sans relâche et sans limites. Et ce qui mourrait alors serait l’idée même du temps et de l’engagement dans la durée, puisque le temps serait un flux continu qui ne se mesurerait plus.

Il est vraiment temps d’aller dormir pour pouvoir résister.
MarianneL
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le 7 déc. 2014

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MarianneL

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