Ces extraits de discours montrent assez les contradictions de la France vis-à-vis de la colonisation.

• Le 4 février 1791, la Convention vote l’abolition de l’esclavage. Le discours de Louis Pierre Dufay, colon et député de Saint-Domingue, est plein d’enthousiasme révolutionnaire, de même que les interventions d’autres députés qui appuient sa proposition d’abolir l’esclavage : il s’agit de détruire les préjugés racistes sur les noirs asservis, dont le parti esclavagiste cherche à faire redouter la violence ; mais il s’agit surtout d’appliquer sans plus tarder les principes universalistes des Lumières et l’article premier de la Déclaration des Droits de l’Homme. Mais le discours de Danton donne l’impression que tout en reprenant le ton enthousiaste des orateurs précédents il se montre plus cynique : certes, tout concorde pour exiger cette abolition, mais il est urgent d’attendre et de renvoyer en commission la réflexion sur les modalités d’application… Et surtout, il s’agit porter un coup à l’empire colonial du rival anglais.


• Contradiction encore quand, alors que s’amorce le mouvement vers l’indépendances des colonies françaises en Afrique, Senghor à l’Assemblée nationale condamne la timidité de mesures accroissant l’autonomie des colonies, mais surtout pointe l’hypocrisie de l’universalisme revendiquée par la France coloniale : c’est au nom de ce principe qu’elle « balkanise » l’Afrique, pour reprendre l’expression de Senghor, afin de freiner la constitution d’une unité africaine qui menacerait l’universalisme plus général prôné par la France ; mais alors, pointe habilement Senghor, pourquoi n’applique-t-elle pas ce principe en accordant aux colonies un nombre de députés proportionnel à leur population ? Mais le futur président sénégalais ne réclame pas pour autant l’indépendance, mais une nouvelle définition, plus universelle en quelque sorte, de la nationalité française, dans le cadre d’un nouveau modèle fédéral.


• Contradiction enfin, quand en Christiane Taubira fait reconnaître la traite négrière comme un crime contre l’humanité : elle parle de nécessaires réparations, mais on sait qu’il n’en sera plus question. L’action législatrice devient donc seulement devoir de mémoire, incantation, réparation symbolique. Cela se voit d’ailleurs dans le style de Christiane Taubira, certes puissant, mais qui souvent sacrifie la clarté du langage juridique à la grandiloquence lyrique.


Ainsi, ces discours ne témoignent pas seulement de la façon dont la France a traité les esclaves et les populations noires de ses colonies, loin de la métropole, pourrait-on dire : ils montrent comment ce passé continue de nourrir le débat sur l’universalisme républicain et la citoyenneté.


Ascyltus
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Journal de lecture 2024

Créée

le 7 févr. 2024

Critique lue 4 fois

Ascyltus

Écrit par

Critique lue 4 fois

Du même critique

Mémoires de deux jeunes mariées
Ascyltus
9

Critique de Mémoires de deux jeunes mariées par Ascyltus

Balzac est un des écrivains les plus inégaux qui soient. Ainsi, dans ces Mémoires, il peut écrire des choses tout à fait ridicules, comme : « L'Abencérage n'a pas sourcillé, la coloration de son sang...

le 3 nov. 2022

5 j'aime

Simone - Le voyage du siècle
Ascyltus
7

Veil que Veil

Près de trois heures après la fin de ce film, il continue à me plonger dans la mélancolie ; je me disais au moment où commençait le générique, que j’aurais besoin d’une distraction légère ce soir,...

le 31 oct. 2022

5 j'aime

1