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Jean fonde non pas la religion, mais la mystique chrétienne. Déjà, les affinités gnostiques de son évangile réclamaient une connaissance supranaturelle, une expérience vécue par un simple mortel, qui pût lui donner le sens de l'existence, des évènements, du Monde et du Cosmos.

D'où, tout naturellement, la rédaction d'un texte qui permît de discerner l'ordre caché du monde à travers la furie brouillonne et détestable des évènements terrestres. L'obscurité maléfique qui caractérise le vécu des hommes en ce bas-monde ne peut être dissipée que par la Lumière Divine (Voir l'évangile de Jean et la Parole du Christ : « Je suis la Lumière du Monde »). De ce fait, introduire de la clarté dans l'illisible ne peut provenir que de Dieu qui tient la main du scribe : c'est le schéma de la « Révélation », qu'on retrouvera dans le Coran.

Justement, « Apocalypse » signifie à peu près « enlèvement du voile », donc « dévoilement ». Descendant dans les niveaux de la psyché où le sens est matérialisé par des symboles et des archétypes, Jean livre à la civilisation occidentale le texte fondateur de toutes les ferveurs eschatologiques, de l'esprit millénariste, et des terreurs dernières.

L'Apocalypse, en tant que « dévoilement », n'est pas obligatoirement eschatologique. Elle peut « dévoiler » le sens d'évènements ponctuels sans pour autant se référer à la fin du monde. Ainsi, dans l'Ancien Testament, des textes proches du ton de l'Apocalypse ne portent pas ce titre, tels les livres d'Ezéchiel et de Daniel. Et, si l'Apocalypse de Jean est la seule à avoir été retenue dans les écrits canoniques du Nouveau Testament, elle a beaucoup de petites sœurs dans les écrits apocryphes.

Mais là, il s'agit non seulement de fonder l'histoire sacrée dans l'optique d'une interprétation théologique (genre promis à un grand avenir dans le monde chrétien), mais également d'annoncer le futur, les monstruosités et les cataclysmes qui vont accompagner le délitement inévitable de ce monde abject, et le retour du Christ en Gloire qui fixera le sort de chacun, bons et mauvais, à la fin des temps.

La civilisation occidentale n'a guère retenu, derrière le mot « Apocalypse », que la notion-gadget de « fin du monde » catastrophique, à la fois signe de lucidité (les civilisations sont toutes mortelles), de culpabilité (le monde n'est châtié que si le Mal y règne), et source d'inspiration pour narrations grandioses et blockbusters.

Jean aurait écrit ce texte à l'extrême fin du premier siècle, alors que l'empereur Domitien l'avait exilé à Patmos, une île de la mer Egée à une cinquantaine de kilomètres de la côte turque actuelle. Selon d'autres opinions, Jean aurait travaillé lors des persécutions antichrétiennes de l'empereur Néron (66-67).

La furie prophétique de ce texte grandiose se traduit par l'évocation d'images puissantes, dont deux mille ans de commentaires n'ont pas épuisé les énigmes. On soulignera qu'en dépit des errements obstinés des commentateurs de type nostradamique, il est peu probable que l'on puisse tirer des enseignements de ce texte pour notre avenir à nous (et encore moins le dater), mais que Jean écrivait pour donner un sens à ce qu'il vivait personnellement, quitte à vouer à la damnation les gens qu'il n'aimait pas. C'est de bonne guerre, Dante n'a pas agi différemment par la suite.

La célébrissime « Bête », dont le nombre est 666 (XIII, 18), serait l'empereur Néron (666 est la valeur numérique des noms « César Néron » en hébreu). Babylone, la cité de perdition, est, bien entendu, Rome, capitale de l'Empire. La Femme, Mère de l'Enfant mâle (XII) serait Marie, mère de Jésus. L'Apocalypse fonde le millénarisme chrétien en annonçant la libération de Satan après mille ans (XX, 7).

L'intérêt remarquable de la vision mystique de Jean est de métamorphoser le temps : du temps vécu, linéaire, mécanique imbrication de causes et de conséquences, il oppose le temps simultané, où le drame cosmique vit en même temps toutes ses étapes, et où la fin est déjà écrite depuis les origines. L'Agneau immolé, Jésus, par son sacrifice, révèle le contenu du Livre où sont consignés l'ensemble des évènements passés, présents et à venir. On note que cette vision soutient puissamment toutes les conceptions théologiques qui affirment la prédestination de tous et de chacun.

Le côté « apocalyptique » provient du fait que la rupture des Sept Sceaux du Livre annonce une série de calamités terrifiantes pour les humains. La Famine, la Mort, l'Epée, la Peste, les Fauves, les Tremblements de Terre, les Eclipses, les Etoiles filantes, la Tempête, la Grêle, le Feu, le Sang, une Masse Embrasée, des Globes de Feu, des Vents de Sable, des Sauterelles, des Scorpions, des Chevaux de Guerre, toutes ces images propres à susciter une salutaire épouvante sont décrites par Jean.

La beauté de ce texte soulève le lecteur par sa richesse visionnaire et les énigmes dont chaque mot est porteur ; l'art occidental a puisé des œuvres d'une force numineuse dans le trésor de formes et de couleurs présenté par Jean : « sept lampes d'or », une sorte de fils d'homme », avec « sept étoiles dans sa main droite et une épée aiguë à deux tranchants sortant de sa bouche » (chapitre I), la description du « Trône », du Tétramorphe et des vingt-quatre Anciens (chapitre IV), la liste des élus (chapitre VII), le livre de l'Ange à dévorer (chapitre X), la bête qui monte de l'Abîme (chapitre XI), la femme vêtue de soleil, avec la lune sous ses pieds et une couronne de douze étoiles sur sa tête (image reprise avec ferveur dans les traités d'ésotérisme et d'alchimie, pour figurer, soit Isis, soit Sophia), le combat de Michel et du Dragon (chapitre XII), la bête montant de la mer avec dix cornes et sept têtes et sur ses cornes dix diadèmes (chapitre XIII), les sept bols de la fureur de Dieu (chapitre XVI), Babylone, la Mère des prostituées, assise sur la Bête (les apocalypses médiévales rendent cette vision avec cette naïveté crue qui génèrent mieux l'épouvante que les détails les plus réalistes) (chapitre XVII), la fin du monde marchand et mercantile (voilà qui devrait plaire à beaucoup d' « indignés » !) (chapitre XVIII), le Jugement dernier, la libération de Satan, qui soulève Gog et Magog (chapitre XX), le Jugement Dernier, l'entrée dans l'éternité et l'immobilisation du Temps (chapitres XXI et XXII).

Le feu qui anime ce texte, sa richesse plastique, son emportement vengeur continuent à embraser le cœur de tous ceux que soutient une espérance eschatologique. Il devenait nécessaire de placer à la fin de la Bible canonique un Livre qui donnait un tableau si redoutable de l'histoire sacrée.
khorsabad
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le 11 févr. 2012

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khorsabad

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