Beau comme une prison qui brûle, un titre lui aussi assez beau, évoque les Gordon riots, émeutes qui firent se mouvoir – c’est le sens d’émeute – Londres au début de juin 1780. Les livres sur les chapitres de notre histoire passés sous silence, quand ils ne concernent ni les ovnis, ni les coucheries prétendument déterminantes d’un hobereau de l’Angoumois entre 1402 et 1408, peuvent être intéressants. Et qu’un livre d’histoire soit orienté idéologiquement, ça me paraît naturel. Voire inévitable. (À la rigueur, autant que ce soit assumé.) Il n’y a qu’une compilation de sources qui puisse être entièrement objective.
Le premier hic avec ce petit livre, c’est précisément qu’il ne renvoie jamais à la moindre source. La liste des « principaux ouvrages consultés » figurant en fin de volume comporte cinq titres, dont deux contemporains des événements relatés, et aucun postérieur à 1959. Sans être spécialiste d’histoire, j’aime bien savoir sur quels documents s’appuie l’historien…
Du coup, le texte, publié pour la première fois en 1994, présente une histoire telle qu’on l’écrivait au XIXe siècle. Ce n’est pas le « roman national », mais c’est un roman. La où cela soulève un deuxième point gênant, c’est que Julius Van Daal – c’est un pseudonyme, oui ou merde ? – n’est pas Jules Michelet… Or, on peut chier à volonté sur l’auteur de la Sorcière, on ne lui reprochera pas de ne pas savoir écrire.
Au lieu de quoi, Beau comme une prison qui brûle oscille entre « style d’historien XXe » – et c’est un style terrifiant de laideur, je crois qu’il n’y a que les géographes qui fassent pire – et lyrisme poussif : entre «  Même si l’hystérie marchande n’avait pas encore atteint cette omniprésence qui écrase nos contemporains, le pillage, plus qu’un simple réflexe de survie des temps de disette, constituait déjà une arme de la critique qui allait bien au-delà de la “rapine” organisée en secteur de l’économie. » (p. 12) et « Le soulèvement de juin 1780 ne se priva pas de soumettre au pillage les caves à vin des dignitaires comme les distilleries d’eau-de-vie, d’imposer la gratuité des tavernes, d’organiser toutes sortes de débauches bachiques. Il fallait une cuite à la fête, et la gueule de bois – mitraille, potence, prison, moralisme – fut à cet égard particulièrement douloureuse » (p. 14).
À la rigueur, il aurait fallu aller clairement du côté du pamphlet, de la méchanceté, de l’outrance… Le caractère semble-t-il inédit des Gordon riots, qui apparemment mêlaient colère sociale, revendications religieuses et éthylisme, en laissait la possibilité. Beau comme une prison qui brûle eût ainsi eu du style.


En attendant, un passage tel que « L’extrémisme religieux, qui habillait depuis l’époque de Néron la critique sociale, a fait son temps. Les sectes protestantes, et toutes les auberges de l’irrationnel qui leur disputent la démission de l’esprit, n’auront plus désormais qu’à se faire concurrence sur le marché dérégulé des âmes. » (p. 52) est non seulement très discutable du point de vue de la scientificité dont il se réclame explicitement depuis que l’histoire – en particulier l’histoire « de gauche » – se revendique comme science, mais il ne fait que rebrasser des poncifs de la critique sociale utilisés ailleurs avec bien plus de vigueur et d’intelligence.
Si l’histoire engagée du prolétariat n’avait que des livres comme celui-ci pour se défendre, elle n’aurait pas besoin d’ennemis.

Alcofribas
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le 4 mars 2017

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