Fiche technique

Auteur :

Mathilde Ramadier
Genre : EssaiDate de publication (pays d'origine) : Parution France : 2 février 2017

Éditeur :

Premier Parallèle
ISBN : 9791094841419

Résumé : Parce que je ne vois jamais de contre-discours sur ce nouveau rêve californien mondialisé, sur son idéologie "totalitaire" et sa novlangue propagandiste. C'est à vingt-trois ans, en 2011, lorsque je suis arrivée à Berlin, que j'ai pénétré un peu malgré moi dans l'univers merveilleux des start-ups. J'ai travaillé pour une douzaine d'entre elles pendant près de quatre ans. Dans mon livre "Bienvenue dans le nouveau monde. Comment j'ai survécu à la coolitude des start-ups" , je dévoile leur idéologie "totalitaire", leur langage qui s'assimile à de la propagande, et dénonce ainsi le lavage de cerveau de ceux qui y travaillent trop longtemps -des jeunes de la génération Y pour la plupart. Ceux qui vivent une nouvelle forme de précarité qui ne dit pas son nom. Ceux à qui l'on fait croire que Google et Facebook sont les nouveaux messies, la Silicon Valley une Mecque ultra-désirable et les start-ups, les agents d'une nouvelle révolution. Le monde n'est pourtant pas meilleur depuis. Nous sommes en pleine campagne présidentielle et il est plus que jamais nécessaire d'enlever les lunettes roses, d'ouvrir les yeux sur la réalité qui se cache derrière ce nouveau rêve californien désormais mondialisé. Dans les médias, je ne vois jamais de contre-discours. On n'entend jamais les petites mains qui souffrent en coulisse. La start-up idéale, valorisée à plus d'un milliard de dollars, est d'ailleurs nommée "licorne", preuve de plus s'il en fallait qu'il s'agit bel et bien d'un fantasme. Avec le "pacte numérique" notamment, le gouvernement veut faire de la France une "start-up nation", on se donne pour but d'égaler les GAFA... Un vœu bien héroïque! On met les start-ups et leurs PDG sur un piédestal alors que 90% de ces entreprises échouent1 et qu'on ne s'intéresse pas aux petites mains qui œuvrent loin du feu des projecteurs. Certes, j'ai travaillé en Allemagne, où le code du travail n'est pas le même qu'en France, mais dans l'Hexagone, nous ne sommes pas à l'abri des CDD à répétition, des contrats précaires, des emplois déguisés sous des stages... La législation n'est que le terreau du phénomène, elle peut lui permettre de germer mais elle se fait vite engloutir: elle a en face d'elle des méthodes mondialisées et maintes fois éprouvées, ainsi qu'un discours de propagande redoutablement sexy, devenu universel. Le discours de propagande redoutablement sexy est devenu universel. Quand j'ai commencé à travailler pour des start-ups, je n'étais pas complètement naïve. J'étais déjà graphiste en freelance, j'avais travaillé dans une radio parisienne et pour plusieurs entreprises dont une grande agence de publicité. Je signais parallèlement mes premiers contrats d'édition pour publier mes bandes dessinées chez Dargaud et Futuropolis2. À Berlin, le seul secteur qui avait l'air vraiment dynamique était celui des start-ups. J'ai donc postulé, proposant mes compétences de graphiste et de conceptrice-rédactrice afin de compléter mes revenus et de m'intégrer dans mon nouveau cadre de vie germanophone et anglophone. Je n'étais pas totalement dédiée à ces emplois, je ne rentrais pas complètement dans le moule du startuppeur idéal, mais je m'y suis investie avec sérieux. Parfois, j'y ai cru. La distance que j'ai réussi à prendre avec le temps a fait de moi, sans le vouloir, une parfaite espionne. La désillusion m'a très vite gagnée. Si je n'avais pas eu d'autres activités passionnantes et rémunératrices en dehors de mes petits contrats pour des start-ups, je pense que la situation aurait été autrement plus tragique. Aujourd'hui, je travaille occasionnellement pour deux ou trois start-ups en tant que traductrice freelance et cela se passe bien. Je suis payée correctement, et pas avec trois mois de retard. Mon travail est respecté, j'ai des briefs compréhensibles et des retours constructifs. Mais cela représente seulement trois start-ups sur une douzaine où j'ai travaillé, voire sur vingt-cinq si je compte celles que j'ai connues via des entretiens —à l'issue desquels je me suis enfuie en courant. “Les rémunérations sont très faibles dans les start-ups, sans compter que l'on doit souvent apporter son propre matériel de travail (ordinateur et smartphone). Parmi les employés, il y avait d'un côté les convaincus, qui rentraient parfaitement dans le moule et se sentaient à leur place, et de l'autre ceux qui le vivaient mal et ont parfois fait de vraies dépressions. Les contestataires et les sceptiques comme moi étaient largement minoritaires. Les rémunérations sont très faibles dans les start-ups, sans compter le fait que l'on doit souvent apporter son propre matériel de travail (ordinateur portable et smartphone). On disait qu'on avait une chance inouïe de travailler là, il était donc facile de nous convaincre d'apporter notre matériel. C'était un moindre mal! Je gagnais assez pour vivre sans chichis à Berlin mais je n'aurais pas pu survivre à Paris avec le même salaire. Surtout, les contrats précaires et limités dans le temps ne m'ont jamais ouvert les droits au chômage. Ce n'était jamais le problème de mes employeurs ni même celui des DRH, pour qui s'inquiéter de ces choses-là trahissait même un "manque d'ambition". Chez The Base*, en 2013, je touchais 960 euros bruts pour un poste de "country manager". Je payais 300 euros de loyer, car, par chance j'avais trouvé une sous-location avec mon compagnon. Je n'aurais jamais pu obtenir un vrai contrat de location. Chez les concurrents de Airbnb, on m'a proposé un poste de SEO manager (responsable du référencement) à temps plein pour 650 euros bruts par mois. J'ai refusé et leur ai ri au nez. Mais en 2011, il n'y avait pas de salaire minimum en Allemagne et tout cela était bien légal. Leur open space était plein à craquer de jeunes diplômés polyglottes. Le plus triste, au-delà de la précarité, c'est toute cette énergie gâchée. Quand je vois les "concepts" de nombreuses start-ups, je me demande si on ne devrait pas utiliser tous ces talents pour quelque chose de vraiment innovant et utile. Et humain, tant qu'à faire. Car l'héroïsme, ce n'est pas à la portée de tout le monde. J'ai appris récemment l'existence d'une start-up en France qui propose de livrer des repas en haut des pistes de ski. Oui, c'est vrai, on a tous un creux après quelques descentes en slalom. Mais est-ce vraiment avec de telles inventions que l'on "change le monde"? “Nous savons que ceux qui livrent des repas à vélo et les chauffeurs Uber ont en réalité des conditions de travail misérables, bien loin de la liberté promise sur le papier. Les conséquences sociales de tout ce que j'ai vu dans les open spaces de start-ups recoupent les méfaits de l'uberisation. Nous savons désormais que les petites mains qui livrent des repas à vélo et les chauffeurs Uber ont en réalité des conditions de travail misérables, bien loin de la liberté promise sur le papier. Certains chauffeurs Uber de San Francisco sont obligés de dormir dans leur voiture pour enchaîner les heures et parvenir à un salaire décent, parce qu'ils n'ont pas le temps (et donc l'argent) de rentrer chez eux en banlieue. Au fond, le travail n'a guère progressé depuis la condition des cochers au XIXe siècle. L'économie collaborative, les nouvelles technologies, l'esprit d'innovation sont des valeurs positives, mais elles sont à repenser. Avec plus d'humilité, de maturité et de respect. Et moins de licornes, de smileys et de Bisounours. “L'économie collaborative, les nouvelles technologies, l'esprit d'innovation sont des valeurs positives, mais elles sont à repenser avec plus de maturité et moins de licornes, de smileys et de Bisounours. Nous avons besoin d'un syndicat pour représenter tous les salariés des start-ups, et pourquoi pas des think tanks qui donneraient pour une fois la parole aux petites mains, pour discuter ouvertement de ces thématiques avec des gens qui ont fait l'expérience de cette misère sociale et de cet appauvrissement intellectuel. J'attends que le dialogue social soit favorisé et que d'autres voix que la mienne soient entendues, car je ne suis pas la seule à vouloir témoigner de mon vécu. À l'intérieur des start-ups, je n'ai jamais vu la moindre trace de remise en question de la part des dirigeants. Chez Vesta*, deux collègues ont démissionné en même temps que moi pour les mêmes raisons, nous avons souhaité en faire part à la DRH afin d'aider l'entreprise à évoluer. Notre action, loin d'être belliqueuse, n'a jamais été prise au sérieux et j'ai même appris que le PDG en avait ri. Trois personnes démissionnaires sur un effectif de trente, cela représentait pourtant 10% des employés, une part non négligeable. “Nous avons besoin d'un syndicat pour représenter tous les salariés des start-ups, et pourquoi pas des think tanks. Les "bonnes" start-ups existent sans doute, mais elles sont très rares. Personnellement, j'attends encore. Ce n'est donc pas la licorne que je recherche, mais le mouton à cinq pattes! Des initiatives comme Kununu.com en Allemagne et aux États-Unis sont en train d'éclore. Sur cette plateforme, les (ex-)salariés peuvent évaluer leur entreprise (rémunération, qualité de vie au travail, perspectives d'évolution) anonymement, sous forme de petites étoiles, de classement et de pourcentages. J'espère que d'autres verront le jour en France et ailleurs. Pour une fois, les rôles soient inversés: ce ne sont plus les PDG, les managers (et les clients) qui notent les petites mains, comme je l'ai vu dans toutes les start-ups où j'ai travaillé. Et si c'était cela, la vraie disruption? (Extrait du livre "Bienvenue dans le nouveau monde. Comment j'ai survécu à la coolitude des start-ups": "Le sentiment d'incertitude de la génération Y est exacerbé dans ces nouveaux cadres de travail, rythmés par une concurrence féroce et la pulvérisation de tout ce qui pourrait s'apparenter de près ou de loin à quelque chose de durable. À force d'entendre d'un côté que c'était mieux avant et que ce serait bientôt pire, ou, au contraire, que tout allait super bien parce qu'on était en train de tout révolutionner, j'ai fini par me demander où finirait la génération Y si ce n'est à la fin de l'alphabet. J'ai décidé de partir de mes expériences sur le terrain pour cartographier cette impasse et mettre au jour le double discours qui les enrobe toutes : on nous fait croire qu'un monde nouveau dont nous serions les héros est advenu alors que nous sommes toujours bel et bien bloqués dans le présent avec des œillères grosses comme nos iPhone dernière génération. Pour décoder les ressorts de cette vision du monde, j'ai interrogé le langage. J'ai donc décidé de raconter mes expériences sans en suivre la chronologie, mais en me focalisant sur les idiomes ou les concepts qu'elles incarnent ou révèlent. Car, en vérité, les startups s'arment d'une véritable novlangue destinée à dissimuler la loi de la jungle dans une brume de « cool ». Comme toutes les langues, elle n'est pas seulement un liant, un outil de communication, elle déploie également tout un imaginaire autour d'elle, apporte de nouveaux signifiants qui contribuent à bâtir des repères communs... mais qui peuvent aussi faire croire à des choses qui n'existent pas. Derrière l'utopie riche de promesses humanistes vendue par la startupsphère se cache en réalité un ultralibéralisme féroce et encore trop peu redouté : un mélange de fascination pour les technologies de l'information, dont les progrès sont fulgurants, et de soumission perverse à la nouvelle économie et aux réseaux sociaux dans lesquels l'individu, sa parole, ses aspirations et son esprit critique n'ont plus de place. Seul l'ego a encore un rôle à jouer. On le drague à coup de compliments et d'injonctions exaltés pour le convaincre qu'il est important, qu'il mérite une place de premier choix, qu'il est, lui aussi, de tout son être, le symbole vivant d'une révolution en marche.") merci http://www.huffingtonpost.fr/mathilde-ramadier/lavage-de-cerveau-et-exploitation-de-la-generation-y-dans-startups_a_21872735/