A équidistance du reportage et de la fiction, Joy Sorman installe ses livres dans des univers précis : hier la foule de la gare du Nord, aujourd'hui la filière de la viande, n'hésitant pas à introduire du fantastique dans le prosaïque. Si l'origine de la filière dans les fermes et les prés de la campagne française croise souvent la littérature, sa finalité à l'étal du boucher l'inspire rarement... Mystère du cheminement de l'imagination, c'est une jeune romancière branchée qui s'y colle.

J'ai eu envie de lire ce roman pour deux raisons : fils d'éleveur, ce monde ne m'est pas étranger et, découvrant l'argument, je pensais bien y trouver une façon originale de traiter de l'un des paradoxes humains : nous aimons les animaux et nous les tuons pour les manger. Nos ancêtres en avaient le besoin vital - tu cueilles ou tu chasses -, la civilisation y a ajouté leur amour voire leur culte. De la peluche fusionnelle au steak dans l'assiette, voilà bien un "world paradox", constituant l'un des premiers traumas de l'enfance. Le roman le confirme : voir tuer un animal dans le confort de son milieu est une chose, visiter un abattoir industriel en est une autre, justifiant le choix d'une minorité de devenir végétarien. Bon, dit la majorité, je ne veux pas voir et vive la boucherie !

Pim, le héros du livre, n'est pas viandard, il est viande. Choisissant son apprentissage avec la part habituelle de hasard, son métier devient une passion puis tourne à l'obsession : ses copines en témoignent, le quittant effrayées qu'il comptât leurs côtes premières en faisant l'amour... Tailler une bavette prend un sens ambigu (on pense au film de Claude Chabrol, Le Boucher).

Ce n'est pas un grand livre mais c'est un livre "qui a du chien", que j'ai lu plaisamment. Il intègre l'explication de la transformation d'un animal vivant en tranches de viande, fait visiter Rungis, initie à la connaissance de la panoplie de couteaux du boucher, rappelle que la pratique bouchère parisienne est championne du monde, etc. Le tout épicé des fantasmes de Pim, d'une pointe d'humour aussi : l'une des boucheries mises à contribution s'appelle la boucherie Sanzot... Il y a du Tintin dans Joy Sorman !
PepperRd
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le 29 sept. 2012

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le 29 sept. 2012

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