Haïti dans les années 1930. Hilarion Hilarius, un pauvre hère, tente de survivre dans un pays d’une extrême pauvreté et aux inégalités criantes. Affamé, il bascule dans la honte. Sa probité cède le pas à l’instinct de survie : il commet un vol. Pris, il est roué de coups et condamné à un mois de prison.
C’est là qu’il connait Pierre Roumel, un bourgeois bien plus âgé que lui, emprisonné pour ses idées politiques. L’homme est communiste et dirige le tout nouveau parti : une référence claire et un hommage à Jacques Roumain – journaliste et autre écrivain de talent – qui fonda le PCH en 1934, fut emprisonné deux ans par le gouvernement de Sténio Vincent avant d’être contraint à l’exile.
A son contact, Hilarion Hilarius apprend la lutte des classes. A sa sortie, ces nouvelles idées ne le quitteront plus. La misère n’est plus pour lui une fatalité. Sans adhérer au parti, il sympathisera avec ses membres encore très peu nombreux. Notamment avec le docteur Jean-Michel, un bon samaritain qui a à cœur d’aider son prochain au mépris de sa propre sécurité. Car il ne fait pas bon de contester et de braver l’autorité. Si François Duvalier et ses cruels tontons macoutes n’arriveront au pouvoir qu’en 1954, l’ambiance n’est déjà plus à la franche rigolade. Emprisonnements, tortures, espionnage de tous par tout le monde, peur atavique des petites gens, tyrannie de tout homme investi d’une certaine autorité, pillage des fonds publics et des terres agricoles par la classe dirigeante, famines, épidémies (paludisme)… Pour le bon nègre (le mot n’était pas une insulte), les coups pouvaient venir à tout instant et de tous côtés.
Grâce à son personnage, Jacques Stephen Alexis dresse un constat accablant de son pays et en profite pour égratigner la République dominicaine voisine auprès de laquelle les opprimés cherchaient refuge : le livre s’achève sur l’atroce « massacre du persil » du 2 octobre 1937 lorsque Rafael Trujillo, alors tyran officiel, ordonna l’élimination des travailleurs haïtiens qui s’éreintaient dans les plantations de canne, faisant de 15 à 30.000 morts (ne chipotons pas sur l’imprécision de la fourchette et contentons-nous de retenir que les machettes des assassins ont été terriblement efficaces et que le sang a coulé à flots écarlates).
Au cœur d’un pays où la religion vaudou est omniprésente – à tel point que les bons nègres refusaient le mariage catholique, religion d’état qu’ils ne reconnaissaient pas – Jacques Stephen Alexis signe bien plus qu’un roman. Ce livre est aussi un fabuleux document ethnographique sur la vie en Haïti. Ouvrant sans cesse des parenthèses, l’auteur décrit la vie quotidienne, les fêtes, les danses, les chants, les us et autres coutumes, le vivre et le couvert. La religion, les superstitions, les révoltes populaires, la terreur, l’emprisonnement ou l’exode. La déforestation qui engendre les glissements de terrain et l’érosion des sols. Ce coton qu’on s’entête à cultiver. Les terribles sécheresses qui alternent avec des inondations non moins catastrophiques.
Un livre grâce auquel on apprend beaucoup. Un livre qui regorge d’informations. Trop sans doute. Les apartés sont à mon avis trop nombreux et hachent considérablement le déroulement de l’histoire qui n’est plus qu’un prétexte. Beaucoup de longueurs et malgré mon intérêt, je n’ai jamais été tout à fait captivé.
BibliOrnitho
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le 28 avr. 2014

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