En 1805 le dernier ennemi de Napoléon est la mer, pas l’Angleterre. Les dix années suivantes il n’aura pas l’occasion de retenter ce rêve, et ses captivités dans l'île d’Ebe et l'île de Sainte-Hélène seront judicieuses puisqu’il ne craint rien plus que la vue de ces flots, lui qui est né pourtant en Corse. 
Début 1805 Napoléon passe tant de temps à s’occuper des frégates et des chaloupes qu’il aurait presque fini par oublier les terres s’ils n’avaient des camps de baraquements le long de la Manche et que des marins ne pouvaient suffire pour conquérir l’Angleterre. Penser à la mer et non plus à la terre lui donnait l’impression de progresser dans ses rêves, de parvenir encore à viser plus haut. Avec un peu plus de temps il aurait fait inventer l’avion à marche forcée.
Napoléon est l’un de ces hommes qui auraient largement bénéficié de vivre une dizaine de décennies, cette long perspective leur aurait permis de planifier leurs plans avec plus de tranquillité, de ne pas les précipiter. En 1805 l'Italie n'est pas encore organisée, ses richesses toujours pas mises à profit, que Napoléon est contraint de faire face à une nouvelle coalition. Le pillage méthodique et propre met beaucoup de temps et l'Italie n’en a pas eu assez.
Napoléon envoyait tant d’estafettes qu’il devait s’énerver de gaspiller tant d’hommes qui auraient pu former des bataillons supplémentaires. Il restait la plupart du temps à la Malmaison, ce qui ralentissait le trafic de sa correspondance puisqu’il n’était pas à Paris-même, ce léger plaisir d'être à la campagne et de ralentir un peu le processus impérial devait le tourmenter.
Dès 1805 il comprend que l'empire français est trop grand et la seule manière de dépasser cette crainte, tout en continuant à maintenir une vitesse élevée de décisions, est d’agrandir l’empire.
Napoléon s’emploie à connaître jusqu’au sort du moindre bataillon pour son projet de débarquement et même ses garnisons, plus il connaît le détail de ses troupes moins il en retient la sublime impression de grandeur parce qu'elle n'est plus juste un nombre mais des hommes dont il connaît les noms des officiers, il passe tant de temps à s'occuper de ses troupes qu’il ne se rend plus entièrement compte de leur grand chiffre, et ils les appellent la Grande Armée avant tout pour impressionner l’ennemi.
Le mouvement c'est l’armée et Napoléon va jusqu'à ordonner à son ministre des Cultes l’envoi de trois sœur de charité à Brienne, c'est un architecte de population, il l’ordonne de telle manière à ce qu’elle soit la plus efficace.
En avril 1805 lorsqu’il visite Troyes et d’autres villes durant son voyage jusqu'à Milan il devait regretter que chaque ville de France n’ait pas subi une bataille révolutionnaire, ce qui leur aurait valu le droit légitime d’avoir un arc de triomphe, si chaque habitant avait subi la guerre ils seraient encore plus attachés à lui.
Ces quelques jours à l’est du pays sont comme des vacances de noces avec la France avant que Napoléon ne parte en guerre, il se demande encore si ce n’est pas trop tôt, est conscient des milles vices de l’administration et de l’économie, sait qu’il aurait pu être un très bon roi administrateur, qu’en quelques décennies il aurait fait de la France le pays le mieux prospère du monde, mais il a le malheur d'être empereur, de désirer la conquête.
Il ne supporte pas la Suisse et la Belgique parce que sous le Directoire ce n’est pas lui qui y a remporté de grandes victoires, il aimerait presque pousser le hasard des champs de bataille dans ces contrées pour devenir le dernier en date à avoir levé la patte sur elles.
Où qu’il aille il devait avoir dans ses bagages toute la cartographie du monde, pas seulement de l’Europe mais du monde, ses moindres villages et rivières, garder à portée de main le moindre arpent qu’il lui reste à conquérir.
Napoléon aurait été si heureux avec une armée et un peuple de robots, à la condition qu’ils soient moins ambitieux et téméraires que lui bien sûr, il aurait été sûr de leur soutien, n’aurait pas craint de défection, aurait conquis les nations d’hommes avec ces robots fidèles.
L’Europe lui aurait laissé quelques décennies de plus qu’il aurait formé un parfait quadrillage de son territoire, les rues et les forêts parfaitement découpées, chaque famille ayant un nombre exact d’enfants, nés selon les besoins calculés du pays.
Si Napoléon refuse en mai 1805 que son frère Jérôme côtoie encore son Américaine c'est qu’il considère sa propre famille comme une lignée monarchique, qu’il connaît trop l’Histoire pour ne pas craindre qu’un de ses frères veuille le détrôner, il doit leur apprendre à obéir et à être persuadés que tout le génie des Bonaparte ne se tient que dans le cerveau de Napoléon.
Le 13 juin 1805 quand il rend visite au camp de Castiglione, qui était le champ d’une de ses premières victoires il y a dix ans, il doit comprendre enfin que son voyage en Italie est une manière de lui redonner espoir en son talent militaire qui n'a pas servi depuis plusieurs années, il se tient là où il combattait, observe ces armées qui ont de nouveaux visages tandis qu’il n’a perdu que ses cheveux. Il n’a qu’un souhait, une grande victoire par ville, et l'Europe se souviendrait de lui pour toujours.
Je ne veux passer l’Adige ni le Rhin (19 juin 1805, Correspondance générale 10303), il ne rêve plus de traverser les fleuves mais les mers, après avoir abattu l’Angleterre il aurait très bien pu se contenter d’agrandir l’empire colonial et de laisser les frontières européennes intouchées, conserver sa grande France et multiplier les colonies, être un grand marchand, accélérer la colonisation du monde.
Il passe le mois de juin à se rendre compte qu’il ne connaît pas le Piémont ni la Ligurie, que conquérir n'est pas connaître, qu’il n’avait pas eu le temps d’admirer, c’est une seconde conquête, sans adversaire.
En temps de paix il lutte avec la lenteur des correspondances, la lenteur des transmissions ou autrement dit le Temps devient son ennemi ultime, mais s’il avait vécu au temps d’internet il en serait devenu fou, en aurait profité pour ordonner au moindre de ses sujets à chaque seconde, ce n'est pas trois heures de sommeil qu’il aurait pratiqué mais une demi-heure tant il se serait imposé de travail supplémentaire.
Il lutte contre l’Autriche depuis maintenant dix ans, il ne pouvait pas se permettre d'être ce grand conquérant qui n’aura jamais eu qu’un seul ennemi, il a la secrète envie en septembre 1805 d’avoir bientôt affaire aux Russes.
La guerre le repose des affaires civiles, qu’il laisse en suspens, même lui ne peut pas avoir assez de temps et de rapidité pour s’occuper à la fois de battre l’Europe et de bien administrer son pays, et puis il est à court d’argent en temps de guerre.
Picab
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le 12 janv. 2018

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Pierre Cabot

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