Dead Cities
7.7
Dead Cities

livre de Mike Davis ()

Ce petit livre de Mike Davis rassemble trois textes passionnants - nourris des travaux des historiens, de la littérature, de la photographie, ou encore d’études scientifiques ou biologiques - sur la destruction des villes et le rapport de la ville à la nature.


«Le cadavre berlinois dans le placard de l’Utah» évoque le «Village allemand», cette ville construite en 1943 dans le désert de Saltbrush dans l’Utah pour y être détruite – c'est-à-dire pour y tester les bombes incendiaires et «réussir» à mener à bien «le dernier grand projet de travaux publics du New Deal : la destruction par le feu des villes japonaises et allemandes». En quelques pages très denses et souvent terrifiantes, l’auteur raconte la genèse de ce «projet», et notamment les débats internes qui agitèrent les dirigeants politiques et militaires anglais et américains avant de décider de ces massacres, la méticulosité de la reconstitution de ce Village allemand sous l’impulsion des industries pétrolières, de l’armement et d’Hollywood alliés pour le projet, afin de véritablement tester l’efficacité de la propagation des incendies, les objectifs de rendement des bombardements et l’espoir délirant de susciter une révolte populaire antifasciste dans la population allemande qui conduisirent à cibler les quartiers ouvriers les plus densément peuplés, avec le «résultat» que l’on connaît.


«La cible de l’«opération Meetinghouse» - le raid aérien le plus dévastateur de l’histoire mondiale – était l’équivalent tokyoïte de Wedding ou du Lower East Side : le quartier ouvrier congestionné d’Asakusa. Le commandant de la cinquième division aérienne, Curtis Le May, considérait les Japonais de la même manière qu’un Heydrich ou un Eichmann les juifs et les communistes : «Nous savions que nous allions tuer de nombreux enfants et de nombreuses femmes quand nous avons brûlé cette ville. Cela devait être fait. […] Pour nous il n’y a pas de civils au Japon». […] L’enfer qui en résulta – Akakaze, le « vent rouge » en japonais – fut plus meurtrier qu’Hiroshima, tuant environ cent mille personnes.»


Partant des attentats du 11 Septembre et des prédictions de destruction apocalyptique de la ville présentes dans la littérature depuis un siècle, le deuxième texte aux résonances ballardiennes, «Les flammes de New York», met en lumière la fragilité de villes américaines coupées de leur environnement naturel en prétendant dominer la nature, devenues trop complexes et vulnérables, alors que leurs habitants, maintenus dans l’angoisse bien avant Septembre 2001 par ceux qui entretiennent et s’engraissent sur l’idéologie de la peur, rêvent d’une vie totalement sécurisée.


«Barry Glassner, un des maîtres du genre, a systématiquement démythifié quelques-uns de nos démons les plus communs – les jeunes hommes noirs, les dealers, la terreur du « politiquement correct », etc. – qui obstruent délibérément la possibilité d’une compréhension publique de problèmes sociaux tels que le chômage, l’échec scolaire, le racisme ou la faim dans le monde. Il a méticuleusement analysé la manière dont les peurs conjurées par les médias étaient des «expressions obliques» responsables du refus post-libéral de réformer les véritables conditions de l’inégalité. La peur était devenue la pierre angulaire du glissement droitier depuis 1980. Selon lui, les peurs des Américains «se choisissaient les mauvaises cibles» et les récents équivalents de la fameuse émission radiophonique d’Orson Welles sur la «Guerre des Mondes» ne faisaient que les détourner de problèmes bien réels. «Les martiens, insistait-il, ne vont pas débarquer.» »


Dans «Villes mortes : une histoire naturelle», Mike Davis montre enfin comment la nature bafouée reprend ses droits dans les villes bombardées ou dans les quartiers-ghettos nés de l’hyperségrégation à l’œuvre dans les villes américaines, quartiers cycliquement condamnés au déclin et à la destruction par les spéculateurs et des politiques publiques malavisées ou sous contrôle.

MarianneL
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le 17 janv. 2015

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