Dévoreur
7.8
Dévoreur

livre de Stefan Platteau (2015)

Voilà une très belle revisite du mythe de l’ogre. On repart loin en arrière vers les bases jetées dans les récits Orphiques pour découvrir une modernisation fine et bien cauchemardesque. Cauchemar éveillé horriblement plaisant à lire -- fort heureusement.



En remontant le Mont Carmin, elle tente de chasser son humeur
morose en questionnant l'astre brillant. Lequel est-ce ? Ça ne
peut pas être Vâli, la nuit est déjà trop avancée pour le Vagabond.
Sans doute Kiarvathi ou Atun.



Un récit en deux temps ; d’abord avec Aube, histoire de planter le décor et de présenter les personnages principaux. Cette partie fait office de prologue de luxe ; le récit aurait peut-être même pu s’en passer mais, comme pour le récit de Manesh, le quotidien de ce monde en vaut bien le détour : il donne de la saveur et de la matière, de la profondeur et des sentiments. Les deux pans du récit créant ainsi une tension bien incarnée et au ressort d'autant démultiplié.



Il pose sur l'épaule d'Aube une main qui se veut amicale, mais pèse
comme cent livres de plomb. « Va, c'est l'heure de regarder le ciel !
Assieds-toi ! » Elle se force à sourire, mais le cœur n’y est pas. Il
lui désigne un banc adossé au mur ouest de la maison, celui qui
fait face à la vallée. Ils prennent place l'un à côté de l'autre comme
autrefois, mais un vide infini les sépare désormais. Quelque chose
s’est relâché ; elle ne reconnait plus l'homme assis à ses côtés. Elle
détourne la tête, trop troublée pour parler.



Le deuxième temps du récit est celui de Peyr Romo et de sa prudente progression vers son objectif. Prudente mais déterminée et semée d’embûches. Je ne vais pas donner de détails ni sur le lieu ni sur la confrontation avec son ancien ami – bin oui, pas moyen de l’éviter celle-là. Sachez seulement que Peyr est mage et que l’auteur en profite pour aborder plus ouvertement la magie des astres, pilier de son univers. L’ensemble du récit distille en fait des éléments sur les différentes pratiques de la magie : magie des esprits, des souffles et des astres (si j’ai bien tout compris). Jusqu’à l’épilogue qui, sous forme de questions et de conseils, nous fait immanquablement replonger en pensée dans le récit de Vidal mais aussi dans celui de Manesh.



Je vois que cette fois, tu es entré par la grande porte, comme un
invité honorable. Pourtant, je ne t’avais pas convié ! Ce n’est pas la
modestie qui t’étouffe, Peyr Romo, espèce de pompeux
magiocrate ! Où te crois-tu ? Tu es dans la maison d’un éveillé,
un ogre, un Légitime ! Qu’est-ce que tu dis de ça ? Etre l’avatar
du Dévoreur, ça vaut bien tes prétentieux titres de crache-rune
et mâche-plume ! Mais tu n’as pas encore assimilé les
convenances, tu ne comprends pas qu’entre nous, les règles
du jeu ont changé.



Le livre en lui-même est un petit bijou de façonnage. Et si le prix m’a initialement provoqué comme un petit bruit de grenouille écrasée dans la gorge, une fois touché l’ouvrage il ne restait plus l’ombre d’un doute : il devait être mien !


Un excellent deuxième livre pour le belge Stefan Platteau. Avec un personnage de Vidal incroyable dans sa transformation et dans la pleine acceptation de son revirement. Puissant et complètement horrifique que ce monstre classique rendu aussi humain ! Aube de son côté est un personnage sympathique et adorable de simplicité, de courage et de franchise mais qui ne peut pas grand-chose au final. Dommage, on aurait aimé voir ce personnage attachant avec un réel potentiel de résultat... Peyr, quant à lui, est un personnage très intéressant mais au charisme de moule ninja asthmatique – il provoque du plaisir intellectuel par ses connaissances et ce qu’il fait d'extraordinaire mais provoque très peu d’empathie pour ce qu’il est (du moins pas avant la toute fin du récit) ! Réflexion faite, c’est très certainement voulu, histoire d'équilibrer le personnage et de créer d’autres types de tension entre les personnages et chez le lecteur. Je vous laisse juge.


Une dernier élément qui a presque valeur de personnage dans ce récit : le Château de Sel. Avec de magnifiques évocations et une véritable présence qui donnent des images grandioses dans la tête.


Ce conte peut se lire sans connaitre Manesh mais est indispensable pour celui qui a apprécié ce dernier. Une très belle histoire dans un monde toujours plus riche et original.

Fredk
9
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le 6 oct. 2015

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Fredk

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