L'histoire commence avec June, quatorze ans, adolescente un peu perdue (comme tous les adolescents finalement) qui ne se retrouve pas dans le moule dans lequel semblent rentrer tous ses congénères. La jeune fille est rêveuse, poète, pleine d’imagination, en bref différente. Entre sa sœur qui est un exemple de réussite sociale au lycée, ses camarades de classe qui la regardent d’un drôle d’air et ses parents qui travaillent un peu trop, elle n’a plus que son oncle Finn (qui est aussi son parrain) pour la comprendre.


Alors June s’attache très très fort à cet oncle Finn, ce célèbre artiste peintre New-Yorkais, intelligent, beau, compréhensif et passionné. Il devient sa référence, son exemple, son mentor. Sauf que Finn meurt du sida (dès le premier chapitre, pas de surprise de ce côté là). Et June bascule dans un désespoir qui va très rapidement la conduire sans qu’elle puisse lutter, vers l’âge adulte. Là, elle va se heurter aux rancœurs de sa mère, au silence de son père, à la haine et au désespoir de sa sœur, à l’amour et l’amitié de l’ami particulier Toby, aux hurlements affamés des loups. Elle va aussi croiser, parmi une montagne de sentiments contradictoires, sa propre culpabilité, sa tristesse, ses regrets, ses peurs, son amour…


Et au milieu de tout ça il y a cette maladie qui inquiète qui laisse sa trace indélébile dans les cœurs et les corps. Mais le roman n’est pas pour autant un roman sur le sida, par contre, c’est sans aucun doute un roman d’apprentissage dans lequel la jeune adolescente passe à l’âge adulte sans y être préparée. La maladie ne fait que rendre plus complexe sa situation et sa compréhension des événements, mais elle lui ouvre également la voie à la tolérance, l’écoute et la compréhension. C’est ainsi que June apprendra à pardonner, à aider et à aimer.


Difficile de dire pourquoi ce roman est si incroyable. June, le personnage principal, n’est pas extraordinaire. C’est même une jeune fille plutôt normale, mis à part sa passion pour le Moyen-Âge et sa sensibilité à l’art médiéval, elle est comme toutes les adolescentes : peu sûre d’elle, complexée par son apparence et sa naïveté, en admiration devant sa grande sœur tellement plus belle et meilleure qu’elle, indifférente aux garçons mais quand même troublée par leurs attentions, à la recherche d’un moyen de grandir plus vite mais en manque des câlins de ses parents. C’est peut-être ce personnage qui fait qu’on se plonge avec tant d’enthousiasme dans ce roman.


On se retrouve dans cette jeune fille qui, sans être un cliché de l’adolescente (bien loin de là) en est un exemple réaliste et intemporel. On se voit marcher dans les bois en solitaire, à se raconter des histoires et on se voit aussi faire croire qu’on fume et s’étouffer à la première bouffée. Puis surtout, on se voit rester petite fille et toucher du doigt la maturité en essayant de faire la fierté de ses aînés.


Si je devais faire une liste des choses les plus marquantes dans ce roman, elle commencerait sans doute par la capacité de l’auteur à raconter avec beaucoup de tendresse et de subtilité la phase de deuil de cette jeune fille. C’est la raison pour laquelle à mon avis, réduire ce roman à une histoire qui parle du sida est un bien mauvais choix. Au-delà d’une évocation assez précise des sentiments confus de l’époque face à ce fléau, le roman est, comme je le disais plus haut, un roman d’apprentissage. Et cet apprentissage commence pour June par un deuil. C’est cet élément qui la fait grandir et l’oblige à sortir de son confort de petite fille.


Et je trouve que cette phase de deuil est très bien décrite. La complexité des sentiments de l’enfant, l’adolescente, la presque jeune femme est racontée de la plus belle des manières. Elle explique avec beaucoup de maturité ses sentiments de culpabilité, de regrets, de tristesse ou de jalousie. Elle partage ses incompréhensions et ses doutes avec beaucoup de pudeur mais avec une honnêteté désarmante.


Si je devais continuer ma liste, je parlerai de la relation entre les deux sœurs, June et Greta, de deux ans son aînée. J’ai l’impression de retomber à cet âge là, même si ma sœur et moi sommes bien loin de ces deux-là, les similitudes sont flagrantes. Encore une fois, tout est crédible, réaliste, vrai. La grande sœur est méchante et se moque de la petite qui ne grandit pas, et la plus petite est perdue devant le comportement de sa sœur qui semble ne plus vouloir être sa complice. Mais encore une fois, tout ça cache plus qu’il n’y paraît, et la justesse des sentiments et des émotions est encore une fois irréprochable.


On pourrait d’ailleurs reprocher à l’auteur de s’attarder un peu trop sur la description des ces sentiments à laquelle June s’adonne beaucoup, mais c’est à mon sens ce qui fait la force du roman. Parce que tout est juste.


Enfin, si je devais terminer cette liste par un troisième point, je ne parlerais toujours pas de ce sida, parce que ça n’est définitivement pas le cœur de cette histoire. Serait-elle d’ailleurs tellement différente si l’oncle Finn était mort d’autre chose ? Sans doute un peu, mais pas tellement, pas vraiment pour June en tout cas. C’est pourquoi mon dernier point serait plutôt l’amour.


Comme le dit la jeune fille « J’ai réfléchi à toutes les sortes d’amour qui existent. J’en ai trouvé dix sans effort. La façon dont un parent aime son enfant, la façon dont on aime un chiot, la glace au chocolat, sa maison, son livre préféré ou sa soeur. Ou son oncle. Il y a ces sortes d’amour et puis il y a l’autre sorte. Quand on tombe amoureux. »


L’amour est beaucoup plus au cœur du roman que le sida, parce que l’initiation de June passe aussi par sa capacité à comprendre et admettre ses sentiments. Et admettre ses sentiments revient à plonger en soi-même pour comprendre comment on en est arrivé là et à quel point c’est de notre faute. L’enfant June est une victime incomprise, la jeune fille June admet ses torts et ses tares et essaie de corriger le tir tout en vivant avec ses regrets et sa culpabilité.


Un bel apprentissage de la vie et un premier roman d’une justesse vraiment incroyable dans lequel je me suis totalement retrouvé malgré une vraie différence générationnelle (je naissais dans les années sida, j’étais loin d’y être ado). Espérons que cet auteur continuera sur sa lancée…


À lire aussi, avec plein d'autres, sur : http://www.demain-les-gobelins.com/dites-aux-loups-que-je-suis-chez-moi/

GobelinDuMatin
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le 22 nov. 2017

Critique lue 254 fois

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