Une anthologie de haïkus écrits exclusivement par des femmes, la plupart contemporaines. C'est donc supposer que ces voix féminines viennent offrir au haïku quelque chose d'un peu différent, d'un peu nouveau, qu'on retrouvera peut-être moins chez Bashō ou Issa (et la quatrième de couverture a justement ces mots : "une nouvelle richesse, empreinte d'une sensibilité exceptionnelle"). Il est vrai que jusqu'à présent les anthologies sont en grande majorité masculines.

On pourrait reprendre, pour s'amuser, la phrase de La Bruyère : "Les femmes sont extrêmes : elles sont meilleures ou pires que les hommes". C'est à peu près le sentiment que j'aie eu en lisant ce livre.
On retrouve d'abord, en particulier chez les Haïjins classiques, une inspiration et des thèmes plutôt traditionnels qui ne les distinguent pas toujours nettement de leurs homologues masculins (ce qui est, il va sans dire, tout à fait normal). Le plus souvent le regard est profond, mais ne parvient cependant pas tout à fait à toucher, à l'exception de quelques uns :

L'eau les dessine,
puis l'eau les efface,
les iris.
(Chiyo-ni)

Fleurs de glycine
Dans le brouillard printanier...
Toute ma vie, malade.
(Kazué Asakura)

Mais il me semble que c'est plutôt chez les Haïjins contemporaines que s'épanouit le mieux cette sensibilité féminine que le recueil cherche à mettre en avant. Je mesure bien, en souhaitant en parler ici, combien est gros de clichés l'idée d'un regard féminin sur les choses : il suffit à peine de l'évoquer pour que se bousculent en nous des impressions d'intimité, de douceur, de délicatesse, et qu'on imagine peut-être cette jeune fille amoureuse de l'amour, tournant dans ses doigts une fleur.
Je ne chercherai pas à démêler ce problème qui me dépasse totalement, mais force est de constater qu'en la matière, ces différents haïkus sont d'une beauté ravissante, qui me semble rarement (mais non jamais) atteinte par les Haïjins masculins - je pense néanmoins à certains poèmes d'Issa, ou à celui-ci d'Uejima Onitsura :

Cet automne
Je n'ai pas d'enfant sur les genoux
Pour contempler la lune.

Il faut donc investir de plein-pied le cliché d'une sensibilité féminine aux choses (du reste, la littérature japonaise est une littérature bien souvent féminine, dont les premiers feux - Le dit du Genji, Les notes de chevet - sont des écrits de femme) ; accepter ces haïkus sur l'amour, principalement : l'intimité des sentiments, les doigts que l'on passe dans ses cheveux, le rouge que l'on met aux lèvres en pensant à quelqu'un, les bras d'un amant que l'on regrette. Une fois ceci accepté, on sera disposé à lire ces poèmes que, personnellement, je place immédiatement au sommet de mes haïkus préférés.

Par leur beauté un peu classique, à demi-mot :

Bourrasques de neige -
Autrefois enlacée
Jusqu'à l'étouffement
(Takako Hashimoto)

Souvenirs
d'un amour regretté.
Fraîcheur du soir.
(Tsubaki Hoshino)

Ou encore celui-ci, déchirant, et si discret cependant :

Douce journée -
Un de nous deux
sera seul un jour
(Momoko Kuroda)

Et puis ces haïkus adorables et sensibles, qui me font penser à certaines lignes des Années douces de Kawakami, une autre femme :

Souhaitant être amoureuse,
Je fourre une fraise
dans ma bouche.

Je bois de la bière
Avec un homme
Qui ne m'embrassera pas
(Masajo Suzuki)

Lierres fanés sur le mur.
Mes cheveux nous gênent
pour nous embrasser.
(Yûko Masaki)

Nuits de fleurs de cerisier.
Un petit peu de mensonge
dans la réponse
(Madoka Mayuzumi)

Et je reste alors de longues minutes à profiter de ce "un petit peu" - "un petit peu de mensonge dans la réponse" - que je trouve tellement magnifique...
Nody
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le 15 août 2011

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