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On a dit de Macron récemment qu'il était d'extrême centre, avec ce titre, J Tirole nous fait la même impression : économie, le mot le plus employé par la droite après sécurité, et bien commun qui renvoie à une gestion communautaire voir communiste, bref, plus gauchiste tu meurs. On a senti un flottement similaire lors de la remise de son prix, les médias ne savaient pas trop de quel bord le positionner, tentons de trouver une réponse.


La lecture manque assez souvent de limpidité et de pédagogie, quelques schémas ou graphes supplémentaires auraient bien mieux illustrer les propos. En outre, un sentiment de vague règne sur l'ensemble du texte, une phrase souvent contredisant la précédente.


Dès l'avant-propos, un point fait tiquer : "l'échec des économies planifiées" en parlant du communisme. On peut tout à fait entendre qu'elles puissent avoir échoué, mais par extension, on peut trouver tout à fait regrettable qu'il n'y ait aucune partie historique dans cet ouvrage, comme si notre système était le seul qui n'ait jamais existé...


Les biais cognitifs est un point que les économistes aiment bien aborder, ça permet de justifier leur autorité, à titre de rappel et d'exemple, celui des accidents de voiture et d'avion : on a plus peur de prendre l'avion que la voiture alors que dans les chiffres démontrent que la voiture tue plus que l'avion, l'exemple est encore plus cinglant en comparant voiture et terrorisme... Alerter des biais cognitifs est louable et permet d'expliquer nos comportements souvent non rationnels, mais ne pas s'interroger sur leur origine relève d'un tragique manque de curiosité, surtout quand elle est facile à trouver... Le sensationnalisme des médias au hasard.
La suite du premier chapitre suscite la même gêne : l'auteur commence à s'interroger sur la limite entre admissible et non-admissible au sein de la sphère marchande, outre le don d'organe, les assurances décès, on nous amène à réfléchir à la prostitution par exemple... Réfléchir en théorie à ces différents thèmes est intellectuellement stimulant, mais leur principal moteur demeure l'indigence, or la première tâche morale d'un économiste est de la faire reculer.
Première alerte de déconnection à la réalité enclenchée.
Ce n'est qu'après que J Tirole mentionne les inégalités comme entrave au bon fonctionnement de la société. L'auteur nous fait à ce moment l'honneur d'une bel enfoncement de porte ouverte : le travail et la réussite économique sont rarement couplés, merci pour cette magnifique évidence.


Le chapitre sur l'économiste dans la cité est un bon rappel générique du compliqué travail de chercheur, avait-il sa place dans un livre nommé "économie de bien commun"? Peu probable.


J Tirole nous rappelle ensuite les deux grands apports récents du monde économique : dilemme du prisonnier et asymétrie de l'information, pourtant si à tout hasard un expert lit ces lignes, ces deux points ne sont-ils pas similaires?
Continuant son histoire théorique récente, l'auteur regrette que l'économie soit un peu trop restée dans sa tour d'ivoire voyant l'être humain comme le fameux homo economicus, lui-même est conscient des limites de ce modèle et dresse une liste de tous ce qui sépare le modèle rationnel de la réalité dans laquelle nous évoluons : paresse, procrastination, altruisme (en fonction du prestige associé) et là magie, l'oubli qui fait vraiment tâche, pas de marketing...
Probablement tous les patrons ont, au cours des 20 dernières années, ouvert un département marketing (à mon sens, le terme moderne et dynamique pour propagande capitaliste), la publicité est l'un des plus gros budgets mondiaux (plusieurs centaines de milliards de dollars), mais visiblement, ça n'intéresse pas les économistes...
Alerte de déconnection à la réalité niveau 2...


Le chapitre sur l'Etat moderne permet enfin de faire tomber les masques : diminution des dépenses, diminution du nombre de fonctionnaires, on voit mieux où on veut en venir.
Les paragraphes sur l'autorité des agences est également très surprenant, l'auteur les défendant car elle ne tombent pas dans l'électoralisme (mot qui déjà dénote un mépris de la démocratie), il loue ainsi la politique globale de la BCE... Le brexil n'avait pas encore eu lieu sans doute, l'auteur en profite pour rejeter la responsabilité de la crise des subprimes sur les gouvernements et non sur les banques arguant que ce ne serait pas arrivé avec des agences indépendantes ce que je demande sérieusement à voir.
M. Tirole veut donc un Etat arbitre et pas un état planificateur, seulement ce n'est pas avec des arbitrages qu'on va régler le problème du réchauffement climatique...


On passe ensuite à la gouvernance d'entreprise, un peu à l'image des chapitres gouvernance quand on lit les rapports d'actionnaires, ce sont toujours les mêmes tire-bouchonnades entre actionnaires, dirigeant, comité de surveillance, investisseus, long/court-terme...N'y a-t-il personne pour comprendre que ce système est ultra-concentré entre un petit nombre de personnes et que c'est par conséquent un système autoritaire? On a passé l'essentiel de ces deux derniers siècles à combattre l'autoritarisme politique et quand il émerge au niveau économique, on ne trouve aucun intellectuel/économiste pour le dénoncer...


Mais tout ceci n'était qu'un vaste préambule, attaquons les problèmes.


Premier : le climat.
Le chapitre dresse un constat d'échec dans les négociations internationales, personne ne veut vraiment faire un effort, et quand un effort est fait, il est gommé par des avantages fiscaux ailleurs, les compagnies pétrolières ont commencé à payer la taxe carbone en France mais ont eu autant d'allégements fiscaux...
Ce qui gêne dans ce chapitre est le grand absent : la société civile. En effet, ce sont l'ensemble des associations qui ont été les plus actives pour faire prendre conscience du problème au cours des dernières décennies, sont-elles mentionnées? Non, les combats de Greenpeace ou de WWF peuvent parfois paraître caricaturaux, mais ce sont grâce à ces ONG qu'il existe une volonté publique de vouloir faire changer les choses.
M. Tirole en parle-t-il ou leur rend-il hommage? Non. Déconnection à la réalité ou syndrome de tour d'ivoire, on ne sait pas.
Pourtant il semble clairement que nos gouvernements ne trouveront pas une solution au réchauffement climatique (et pas seulement parce qu'ils sont chamailleurs, mais surtout parce qu'à mon sens, ils sont complètement corrompus par les industriels).
Autre point plus grave : n'est envisagé que la tarification carbone comme solution laquelle est dans une impasse diplomatique depuis 30 ans... Là aussi, discuter avec la société civile permettrait sans doute d'envisager d'autres solutions comme la décroissance par exemple, mais sans doute ce concept est-il encore trop impie pour des économistes orthodoxes comme M. Tirole.


Le chômage
L'auteur nous propose de faire supporter à l'entreprise les coûts de l'assurance chômage quand elle licencie, en effet aujourd'hui, le chômage est payé par le gouvernement autrement dit par tout le monde, dans ce nouveau système, les cotisations seraient revues à la baisse puisque chacune paye pour ses propres licenciements, c'est une proposition intéressante, mais j'ai du mal à voir en quoi cela résoudrait le chômage (j'ai même l'impression que ça freinerait encore les embauches...) à court terme (parce que à long terme, pour reprendre Keynes, on sera tous morts...).


L'Europe/Grèce
Aucune réelle solution ne nous est proposée, l'auteur tergiverse durant tout le chapitre entre "on les aide" et "tant pis pour eux". La suppression des dettes est vraiment à peine évoquée.
En admettant que la situation se résume à cette seule alternative, l'auteur ne nous aide guère sur les critères pour choisir, pourquoi il faut parfois abandonner comme Obama qui a "abandonné" la Californie ou Detroit (mais qui a généreusement aidé ses banques)? Ou pourquoi vaut-il mieux faire comme l'Argentine qui a aidé ses régions déficitaires (avec les conséquences que l'on sait)? l'Allemagne fait d'ailleurs parfois pareil avec ses régions, nous rappelle-t-il.
L'auteur semble néanmoins défendre un régime chômage et retraite assez robuste et généreux comme moyen d'enrayer les crises quand elles surviennent.


La finance
Tout comme le chapitre sur l'Europe, celui sur la finance ne nous éclaire pas vraiment sur les tenants et les aboutissants de la crise financière, le manque de pédagogie est particulièrement marqué ici, qui doit surveiller les agents financiers et comment? A quel moment les activités des banques deviennent-elles dangereuses? Et même des questions plus violentes sont soigneusement écartées : a-t-on vraiment besoin de ces agents financiers (surtout quand ils prennent des risques inconsidérés en sachant pertinemment qu'ils seront remboursés)? Néanmoins, l'auteur semble défendre une intervention et une régulation plus importante, ainsi l'idée toute bête qui consiste à garder une action au moins un an pourrait être appliquée (cela oblige l'acheteur à bien étudier car il ne pourra revendre brutalement en cas de crises).


La stratégie industrielle
Là encore, l'ouvrage fait montre d'une certaine banalité, oui il faut arrêter les investissements onéreux dans des industries obsolètes, oui il faut maintenir et aider les PME, oui, il faut davantage impliquer le privé dans ces projets de financements, rien de bien transcendant.
Plutôt que de remplir des pages, il aurait plutôt fallu consacrer un sous-chapitre à chaque secteur : ferroviaire, approvisionnement électrique, téléphonie, les autoroutes (non mentionnées), santé... Là, aucun support ne nous est fourni pour décider d'une privatisation ou d'une nationalisation (en fait, l'auteur laisse sous-entendre que tout est privé...)


Digital/Nouvelle technologie
Ce chapitre est également assez creux et banale et lève un amalgame quelque peu inacceptable pour un prix nobel, nous avons droit à une description des marchés bi-face en pleine explosion : un journal qui d'un côté fait affaire avec les annonceurs et de l'autre avec ses lecteurs, un fabricant de console qui d'un côté fait affaire avec les créateurs de jeux vidéos et de l'autre avec ses acheteurs, une plate-forme musicale qui d'un côté fait affaire avec les groupes de musiques et de l'autre vend cette musique à ses clients... Stop, freinage, réflexion, dans les deux premiers cas, les 3 intervenants ont trois métiers différents, dans le dernier, la plate-forme n'est qu'un intermédiaire/distributeur... J'entends tout à fait que les deux métiers se recouvrent partiellement, mais les logiques sont tout de même différentes et faire l'amalgame entre les deux, c'est regrettable.
Le reste du chapitre est un peu à l'aune de l'ensemble de l'ouvrage, enchainant beaucoup de banalités pour quiconque s'intéresse un peu à l'actualité...
Oui, le big data est dangereux surtout sur les systèmes de santé mettent la main sur toutes les informations possédées par nos réseaux sociaux préférées.
Parler d'Uber sans faire un vrai et complet chapitre sur le système réputationnel aurait là aussi permis de donner à l'ouvrage plus de nouveauté et d'originalité.
Mais là encore, l'auteur nous fait partager son inquiétude sur les inégalités et là encore, ce ne sont pas des inquiétudes que nous attendons mais des solutions... Si même un prix Nobel ne peut proposer d'alternatives, c'est que notre Histoire est donc vraiment en train de prendre un tour fataliste et dramatique.


En conclusion, pour un ouvrage de vulgarisation, on est face à un texte souvent confus et qui ne propose pas suffisamment de solution.


Quelques mots sur les absents :
Le bien commun, jamais réellement défini, on ne sait jamais vraiment de quoi on parle, parle-t-on de la planète, des entreprises publics ou du fait d'avoir une voiture? Sans définition, la question de sa gouvernance n'est jamais réellement abordée.
La politique économique n'est pas non plus vraiment abordée avec la souveraineté monétaire qui va avec, on sait que la Chine et les USA maintiennent à dessein leur monnaie à un faible niveau, la monnaie étant également un bien commun, elle aurait pu mériter quelques remarques.
Les problématiques de dette font régulièrement la une des journaux avec ce terme si politiquement correct de restructuration, sous quelles conditions ces annulations peuvent-elles envisagées? En quoi des annulations globales sont inenvisageables?
Autre sujet qu'on retrouve régulièrement en une des journaux : la décentralisation, qu'est-ce qui conditionne le fait de devoir diviser une entreprise de dimension nationale en sous-ensemble régionaux?
Enfin dernier point et sans doute le plus inacceptable, de quelle manière faire davantage solliciter les humains, les électeurs, les gens afin de rendre l'ensemble de ce système plus démocratique? En écrivant des ouvrages plus utiles peut-être.

CorsairePR
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le 10 août 2017

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