L'ouvrage de Piñeiro Claudia, Elena et le roi détrôné, contenant 172 pages, fut paru en 2007 dans son pays d'origine : l'Argentine, sous le nom d'Elena sabe, puis en janvier 2011 chez Actes Sud dans la catégorie « Lettres latino-américaines ». D'origine argentine, il fut traduit de l'espagnol par Claude Bleton.
Piñeiro Claudia, née en 1960 à Burzaco, dans la province de Buenos Aires, est une romancière, dramaturge et auteur de scénarios pour la télévision, récompensée de nombreuses fois dans le monde. Elle a écrit plusieurs romans, pièces de théâtres, histoires pour enfants et une œuvre pour les jeunes lecteurs. Tous ont été publiés dans son pays d’origine et seulement trois d’entre eux ont atteint la France grâce à Actes Sud : Les Veuves du jeudi (2009), qui a été récompensé par le prix Clarí, Elena et le roi détrôné (2011), récompensé en Allemagne par le prix LiBeraturpreis, et Bétibou (2013). Son premier roman a été également adapté à l’écran et a connu un grand succès à Buenos Aires. Romancière à succès, le fil de liaison de ses œuvres reste le même : elle révèle les choses cachées, celles que l’on n’ose pas s’avouer et qui restent enfouis derrière notre existence, derrière des principes, des concepts et une façon de penser généralisée.
Et Elena et le roi détrôné n’échappe pas à son regard perspicace. Écrit dans une époque où les préjugés sont à l’honneur, elle réussit à présenter un roman psychologique, loin d’une enquête policière à laquelle on s’attendait sur la quatrième de couverture. On suit une femme d’une soixantaine d’années atteinte de la maladie de Parkinson dans une journée très importante pour elle. Celle qui va lui permettre de prouver que sa fille ne s’est pas suicidée, grâce à l’aide d’une femme ressortit du passé.
Cette œuvre, traitant de la vie, de la mort, de la maladie et ses méandres et de dettes ancrées pendant toute une existence, donne à se demander si les préjugés nous atteignent tous, si une maladie pourtant si connue recèle encore des mystères que seules les personnes atteintes de ce mal connaissent, et si ce que l’on pensait être réalité n’est qu’un vaste mensonge envers soi-même. Voilà de quoi nous allons parler dans plusieurs paragraphes mélangeant synthèse de l’œuvre en elle-même et son analyse.

Tout d’abord, on remarque que l’œuvre se divise en trois grandes parties par rapport aux prises du comprimé de Lévopoda dans la journée. On se retrouve d’abord le matin, avant même qu’Elena, la sexagénaire atteinte de Parkinson, ne parte de chez elle. Ressassant les lieux importants où elle va devoir passer dans Buenos Aires, elle attend que son corps puisse se mouvoir à nouveau grâce à ce comprimé qui est synonyme de vie pour elle. A l’inverse d’Elle. Comme Elena dit « le Parkinson, c’est Elle, l’autre, la salope », qu’elle compare si bien avec son cerveau qui ne répond plus, ne sert plus à rien sans l’aide de la Lévopoda et l’absence de la dopamine, essentielle pour que l’ordre venant de son cerveau atteigne ses membres « un roi détrôné qui ne gouverne plus ». Et elle se répète sans cesse une même litanie « Elle, la salope, pas Elena mais sa maladie, le messager et le roi détrôné », qui lui rappelle qu’elle est à la merci d’Elle. Puis une autre pensée vient l’envahir, la tâche qu’elle va devoir accomplir : trouver qui a tué sa fille, et cela, grâce à l’aide d’une certaine Isabel dont on ne sait rien. Elle se rappelle où la trouver, dans quelle maison, se trouvant à « Soldado de la Independencia ». Se rappelant le chemin à faire, Elena parvint enfin à lever son pied pour partir ensuite en direction de la gare où son train de dix heures l’attend.
Par la suite, il est décrit la façon dont est morte Rita, la fille unique d’Elena et de son défunt mari : Antonio. Âgée d’une quarantaine d’années, elle vivait encore chez sa mère afin de l’aider pour toutes les taches quotidiennes, même les plus minimes. La maladie ne permettant plus à Elena de faire grand-chose, ne serait-ce qu’aller aux toilettes seule ou de se couper les ongles. On nous montre alors que c’est la maladie qui contrôle sa mère, que cette dernière ne peut qu’observer et non plus agir. Ce quotidien impitoyable est très bien décrit, tant du côté de Rita que de sa mère. Au fur et à mesure, l’auteur décrira avec une vérité poignante ce que vivait cette femme revêche qui n’appréciait pas sa situation mais qui continuait malgré tout à s’occuper de sa mère presque 24h/24h, même pour les tâches les plus ingrates et le calvaire des médecins, mutuelles et autres organismes permettant à Elena de suivre son traitement. Piñeiro Claudia à mit alors en avant le parcours du combattant que vivent les malades et leur famille pour prouver leur situation afin qu’on les aides. Aujourd’hui, les procédures ne sont plus aussi simples, pour certifier que l’on est réellement malade, trop de choses sont demandées alors qu’ils doivent déjà vaincre ou supporter leur maladie, et l’auteur dénonce cela. Un peu plus tard (pages 98 à 106) on apprendra même la « bataille » qu’a dû mener la quinquagénaire pour permettre à sa mère d’obtenir un certificat d’incapacité afin d’avoir ses médicaments. C’est une vie difficile, pleine de contrainte avec sa mère, son travail à l’école paroissial, sa relation avec Roberto Almada, employé de banque et fils d’une coiffeuse nommée Marta, ou Mimi. Mais c’est surtout sur le plan mère-fille que l’auteur s’est fixé durant tout le récit.
Ce fut donc sur la pensée de sa fille retrouvée morte, pendue au cloché de l’église, et pendant un jour de pluie, qu’Elena se dirige vers la gare en marchant lentement, la tête penchée vers le sol et le dos voûté. Sa maladie la ratatinant au fil du temps et la faisant ressembler de plus en plus à une grand-mère. L’auteur à voulu nous mettre au même niveau qu’Elena et cela est très bien réussi, notre point de vue est très restreint. On suit le même parcours que la sexagénaire, nous ne sommes pas valorisés par rapport à elle. J’ai particulièrement aimé cette façon de voir qui nous mets encore plus dans le récit et nous fait également plus ressentir ce qu’Elena vit jour après jour et qui ne l’empêche pourtant pas d’avancer, d’atteindre la gare puis de réussir à s’asseoir dans son train avec difficulté. C’est à partir de ce moment là, qu’elle laisse son esprit vagabonder dans ses récents souvenirs sur le décès de sa fille, l’enterrement, les réactions des gens qu’elle trouvait totalement fausses puis le début de l’incompréhension. Personne ne la comprenait, personne ne voulait croire que sa fille ne s’était pas suicidée.
Ensuite, nous entamons la deuxième partie avec le troisième comprimé à midi. Nous suivons Elena à la sortie du train tandis qu’elle part chercher un taxi pour l’emmener chez Isabel, tel un robot avançant sur une ligne toute tracée, elle avance sans dévier ni se retourner, ne s’occupant pas des autres. On trouve une autre preuve du peu de liberté que la maladie lui donne, Elle n’accepte pas d’écart à l’encontre d’Elena et celle-ci le sait. L’auteur montre encore plus le calvaire que vit la sexagénaire. De nouveaux souvenirs resurgissent alors : les problèmes de « femmes » de sa fille puis l’enquête qu’elle avait suivie avec conviction et qu’elle avait poussée au maximum. Puis elle réussi avec grande satisfaction à trouver un taxi et à y entrer, après maintes difficultés physiques. C’est à ce moment là qu’elle va devoir supporter un chauffeur bavard et alcoolique qui commence à lui raconter sa vie. Mais qu’importe, Elena prend son comprimé et retourne une nouvelle fois dans le passé, repensant aux difficultés qu’avait eu sa fille avec sa mutuelle, à la gentillesse émouvante de la doctoresse et de l’avocat de l’Institut de l’infirme, à l’innocence de Roberto et de sa mère qu’elle ne supportait pas, et qui ne l’aimait pas non plus, d’ailleurs. Elle se revit alors se faire pomponner chez Mimi alors que sa fille était en train de mourir dans l’église. Elle sait qu’elle n’aurait pas dû accepter cette idée venant de Rita mais elle avait cédé, pour elle. Encore une fois, l’auteur change le temps. On se retrouve d’un coup à la place de Rita puis d’Elena. On voit différents points de vue et au fur et à mesure on découvre des fragments du passé juxtaposé à la réalité. Cet exercice d’écriture est particulièrement réussi et je trouve qu’il ne « casse » pas le récit en passant de l’un à l’autre. L’écrit est fluide et bien mené.
Enfin, on se retrouve dans la troisième partie avec le quatrième comprimé l’après midi, et l’arrivé d’Elena chez Isabel après quelques difficultés d’orientations par le chauffeur qui s’en est allé très rapidement. C’est avec émotion et nostalgie que l’on voit la sexagénaire retrouver la maison de cette femme qu’elle avait rencontré il y a 20 ans, lorsque sa fille l’avait amenée, à moitié inconsciente, chez elle. On va apprendre alors que leur intervention empêcha Isabel d’avorter et que depuis ce jour, Elena croyait que cette dernière lui était redevable. Et c’est avec autant d’émotion qu’elles se retrouvent et qu’elles parlent, s’expliquent les choses. Mais alors qu’Elena pense son objectif atteint, qu’Isabel allait lui prêter ce « corps » qu’elle ne possédait plus, elle apprend que ce qu’elle croyait être vrai n’est qu’illusion. Cette dernière ne lui était pas redevable, au contraire, depuis vingt ans elle vouait un souhait qui c’était réalisé : que Rita meurt. Elle ne voulait pas devenir mère, elle le savait, mais par l’intervention de Rita, elle l’est devenue et elle ne l’accepte toujours pas. Tout le monde était contre Isabel et tout ce qu’elle a due faire, c’est supporter sans rien dire. Et là, l’histoire se répétait. Elena vient à son tour disposer du corps d’Isabel contre sa volonté mais cette fois, elle ne se laisse pas faire « comme votre fille, qui ne me connaissait même pas, votre fille qui n’a pas osé être mère mais qui a disposé de mon corps comme si c’était le sien, comme vous aujourd’hui, qui n’êtes pas venu solder une dette mais commettre le même délit, vingt ans après ». Les croyances d’Elena s’évaporent alors, elle ne sait plus quoi répondre, quoi comprendre, et tout ce qu’elle est capable de faire c’est d’écouter et de caresser le chat d’Isabel alors qu’elle pensait ne pas les aimer. Maintenant, Elena ne sait plus quoi faire, ce qu’elle croyait être vrai était faux depuis le début et elle commence à croire que sa fille s’est finalement bien suicidée en écoutant les arguments d’Isabel qui l’amène à cette vérité. Elle s’est voilée la face depuis le début, elle le sait, et maintenant que lui reste-t-il ? Elle ne sait plus quoi faire maintenant à part continuer à vivre. Ce retournement de situation nous mènent alors à penser que ce que l’on pensait être vrai ne l’est pas toujours.

En somme, grâce à un style narratif, l’auteur arrive à juxtaposer, croiser les trois femmes maîtresses du récit et réussi à impliquer la maladie d’Elena comme une quatrième personne venant perturber le tout. On ressent les mêmes sentiments que si l’on était atteint nous même de Parkinson, grâce à l’effet très réaliste, franche et clair de la façon de décrire et d’expliquer le calvaire qu’est de vivre avec cette maladie qui fait des ravages. Mais également l’envie de croire en la conviction d’Elena sur la mort de sa fille, que l’on suit tout au long de ses efforts, surhumains pour cette dernière, jusqu’à ressentir le même trouble, le même sentiment de bouleversement quand elle apprend que ce qu’elle croyait vrai était faux depuis le début. Ce qui vient à nous faire penser qu’à force de croire tout savoir, on se trompe souvent.
Pour conclure, cette œuvre, que je croyais simplement expliquer ce qu’est Parkinson, m’a fait penser autrement quand j’ai posé mon livre et que j’ai réalisée que ce que l’on croit être vrai ne l’ait pas forcement et que l’auteur était allé encore plus loin que les simples « descriptifs » de la maladie, elle me la fait vivre.
zhenli
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le 5 févr. 2015

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