Ma vie avec Clint
Clint est octogénaire. Je suis Clint depuis 1976. Ne souriez pas, notre langue, dont les puristes vantent l’inestimable précision, peut prêter à confusion. Je ne prétends pas être Clint, mais...
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Henri est un ami lointain. Les Toulouse-Lautrec prétendent descendre des comtes de Toulouse, la dynastie de féodaux écrasée par Louis IX. Le temps a passé, le grand-père d’Henri, Raymond Casimir de Toulouse-Lautrec-Monfa, dit le prince noir de Toulouse, menait encore grand train. Ce beau et orgueilleux ténébreux vivait pour la chasse. Il mourut de froid en décembre 1871, seul, dans un ravin gelé, la jambe brisée, alors qu’il avait renvoyé ses piqueux au château afin qu’ils déjeunassent. Le père affectionnait tout autant la traque, mais il y joignit une passion pour le déguisement. Alphonse (1838 - 1913) se voulait anticonformiste. Il désaltérait son faucon à l’eau bénite, traversait la place du Capitole sur un fil tendu, lavait son linge dans un ruisseau à Paris entre deux passages dans des maisons-closes. Henri dira : « Il suffit que papa paraisse pour que l’on désespère de se faire remarquer. » Privés de toute influence politique par leur refus de la république, les derniers aristocrates brûlaient les reliefs de leur fortune dans la licence et la provocation. Henri n’était pas le rebelle, banni par sa famille, abondamment décrit.
Le Comte Alphonse de Toulouse-Lautrec conduisant son mail-coach est une merveille. Henri n’a que dix-sept ans. Très inspiré des peintres animaliers, il nous livre quatre splendides chevaux, l’orgueil de son père. Ce dernier a pris les reines. Assis et confiant, le cocher observe le travail de son maître. Alphonse remonte la promenade des Anglais ; Nice est certes moins embouteillé qu’aujourd’hui ; au grand trop. La barbe est hirsute, le regard fier, le geste précis et l’attitude décidée. Henri ne cache pas son admiration pour ce père insupportable. La calèche est croquée de quelques lignes rouges, l’impression de vitesse saisissante, l’attelage bondit vers nous.
Si j’ai peu connu ma grand-mère, je me souviens d’une de ses confidences. Elle me conta une histoire qu’elle tenait de son propre grand-père. Adrien (1849 - 1921) était lié à l’un de ses cousins et voisins. Ce dernier-ci était un géant fantasque, mais privé d’héritier mâle. Il eut enfin un fils. Une merveille. Les photos nous montrent un adorable bambin. Hélas, une maladie génétique fragilisa ses os et brida sa croissance. Le fils tant désiré était un nain. Il montra un don précoce pour le dessin et pour l’ironie, talents encouragés par la famille. « Dindes sur canapé » est une toile très réussie, représentant ses tantes. Il monta à Paris, il connut les lieux où l’on s’amuse, dessina danseuses, demi-mondaines et prostituées. Il se fit un nom dans l’affiche. Il aimait raconter à la famille qu’il avait testé tous les fixateurs, pour ses œuvres, le meilleur étant à base de (son) sperme ! Vous avez reconnu Henri. Il ne s’épargna pas. Syphilis, alcoolisme (il coupait son absinthe au cognac) et tuberculose auront tôt fait de l’achever. Il s’éteignit chez ses parents en 1901. Ses derniers mots sont pour Alphonse : « Je savais, papa, que vous ne manqueriez pas l'hallali. » Le père appela son cousin Adrien. Ils vidèrent la chambre de l’artiste et brûlèrent les travaux jugés provocants. Dommage.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Comte_Alphonse_de_Toulouse-Lautrec_conduisant_son_mail-coach
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le 15 juin 2017
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