« Nous sommes un peu les fantassins de l’industrie pharmaceutique,
nous qui combattons en première ligne sur le front de la recherche
médicale pour défendre vos droits inaliénables, parmi lesquels se
trouvent la vie, la liberté et la recherche des antidépresseurs. »



Ouvrons en préambule de cet article une parenthèse égotique. Si l’on fait exception de Alan Moore, je ne prise guère les aventures de super-héros. Au pire, je trouve qu’il s’agit d’un substitut aux tendances fascistes tapies en chaque être humain, au mieux une distraction un tantinet immature. Je sens que je vais me faire des amis, mais j’assume. Tant pis. Comprenez donc bien qu’il m’a fallu puiser dans mes ressources de bienveillance, encouragé en-cela par quelques commentaires positifs, pour me lancer dans la lecture de Héros secondaires de S. G. Browne. Bon, je ne regrette pas un seul instant cette entorse à mes préjugés. Le roman de l’auteur américain apparaît en effet comme une histoire hilarante, sous-tendu par un esprit critique et caustique de première bourre. C’est simple, j’ai eu à plusieurs reprises le sentiment de lire du Terry Pratchett, dans la meilleure acception de la comparaison.


Quid de l’histoire ? Lloyd, Vic, Charlie, Frank, Rand et Isaac forment un groupe atypique malgré leur apparence anodine. Les Super six comme ils aiment à se considérer, même si la presse les a affublés de surnoms pour le moins ridicules. Depuis peu, ils se sont en effet découverts des capacités surnaturelles. Llyod plonge les passants dans une irrésistible somnolence, Randy déclenche des crises d’eczéma cauchemardesques, Charlie provoque des convulsions, Vic des vomissements, Frank une prise de poids express, faisant péter toutes les coutures des vêtements, enfin Isaac suscite des érections inopinées et prolongées. Ce phénomène est-il un effet secondaire des divers tests médicamenteux auxquels il prêtent leur concours contre rémunération ? Peu importe, les voici dotés de super-pouvoirs d’un genre particulier.


Après une période d’effroi, nos apprentis super-héros se piquent au jeu, décidant d’entamer des rondes nocturnes dans les parcs de New-York, afin de faire perdre leur goût pour la malfaisance aux fâcheux qui enquiquinent les clodos et le citoyen lambda. Une activité qui leur permet également de regonfler leur estime de soi. Mais bon, tout cela reste quand même petit joueur comparé aux exploits des super-héros de papier. Ils en sont d’ailleurs bien conscients. Et, si de grands pouvoirs entraînent de grandes responsabilités, ils suscitent aussi de grands périls, comme nos piteux redresseurs de torts vont le découvrir.


Héros secondaires détourne avec un mauvais esprit jubilatoire les codes des récits de super-héros et super-méchants. Le traitement mi-vachard, mi-attendri des personnages contribue pour beaucoup au plaisir de lecture. S.G. Browne met en scène une belle galerie de bras cassés, frappés du sceau du nonsense et du burlesque. Parmi ceux-ci, on retient surtout le narrateur, Llyod Prescott, qui lorsqu’il ne vit pas de la charité d’autrui, sa grande trouvaille consistant à inviter les badauds à l’insulter contre quelques pièces ou billets, se contente d’encaisser l’argent versé pour ses prestations médicamenteuses expérimentales. En sa compagnie, on en apprend ainsi beaucoup sur l’existence des cobayes professionnels, mais également sur la nature des essais, souvent d’une absurdité étonnante, et enfin sur la palette des effets secondaires auxquels il s’expose. On découvre également un marché des médicaments gangrené par la recherche du profit forcenée, sous prétexte d’améliorer la qualité de vie de la population.


À ce sujet, le regard de S.G. Browne sur la société américaine et l’industrie pharmaceutique oscille entre le sarcasme et un certain accablement, dont il prend ici le parti de se moquer. Le récit est ainsi jalonné de piques satiriques sur la sur-médicamention contemporaine, mais on s’amuse aussi beaucoup des interactions entre les personnages, un parfait échantillon de losers finalement très ordinaires. L’auteur américain accouche enfin de trouvailles drolatiques très réjouissantes, notamment le jeu Hé, doc’, c’est quoi ce médoc ? dont on ne peut que goûter l’humour grinçant de la plus belle eau.


Sans vouloir faire dans l’auto-médicamentation, on ne peut au final que conseiller Héros secondaires, une lecture divertissante dont le seul effet secondaire connu, consiste en une inflammation des zygomatiques. On a connu pire…


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leleul
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le 3 oct. 2018

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