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"De toutes les campagnes de Napoléon, celle d'Italie et celle de France sont les plus belles", écrivait Chateaubriand, pourtant loin d'être le plus fervent admirateur du conquérant corse. C'est à la deuxième que s'intéresse le romancier Michel Bernard dans cet ouvrage assez court (un peu moins de 250 pages) et sobrement intitulé Hiver 1814.


Encore un traité sur les batailles napoléoniennes ? Non point, le sujet étant plus original qu'on ne le croit. Ces quelques quatre mois de combat sur le sol national sont en effet loin d'être les plus connus, coincés entre le désastre russe de 1812, le sursaut allemand de 1813 et le dénouement belge de 1815. Pourtant, le grand écrivain malouin plus haut-cité ne s'y trompait pas en y voyant, à bien des égards, le chef-d'oeuvre d'un stratège aux abois, tombé de son piédestal et contraint de faire beaucoup avec peu de moyens.


Ce parallèle avec sa toute première prestation en tant que commandant-en-chef, à peine dix-huit ans plus tôt dans la plaine du Pô, Michel Bernard aussi ne manque pas de l'établir. Pour l'aigle devenu phénix comme pour ses oisillons, cet Hiver 1814 est marqué tout entier du sceau de la nostalgie : "La neige sur la plaine et les vols de corneilles et de corbeaux, semblables à ceux d'une autre année, dans un autre pays, à l'autre bout de l'Europe, levaient des souvenirs mélancoliques chez les vétérans." Comme on les comprend ! Vingt ans de batailles glorieuses, autant de noms attribués pour l'éternité à des ponts et boulevards parisiens, tout cela pour se retrouver à batailler sur les hauteurs de Montmartre, pour la survie-même de "l'Empire".


Comment a-t-on pu en arriver là ? Cette question n'intéresse pas franchement le romancier, qui la laisse volontiers aux cohortes d'historiens s'étant penchés sur l'incroyable destin du Petit Corse. Non, le propos de son Hiver 1814, en plus d'un récit enlevé et méticuleux de la centaine de jours séparant la traversée du Rhin par les troupes coalisées prusso-austro-russes de leur entrée dans Paris, c'est bien cette Sehnsucht qui traverse ses protagonistes entre deux échanges de boulets ou charges de cavalerie, à commencer par l'Empereur des Français en personne, qui revient sur les lieux de son apprentissage du métier des armes.


C'est en effet dans la grise quiétude champenoise, dans la froideur des murs de l'austère château de Brienne, que le jeune cadet Napoleone di Buonaparte, tout droit débarqué de sa Corse natale, devint "La Paille au Nez" sous les rires moqueurs de ses condisciples hexagonaux, mais aussi qu'il commença à écrire la légende celui qui deviendrait à jamais Bonaparte le tyran pour les uns, Napoléon l'Empereur des Rois pour d'autres. Trente ans plus tard, le voici de retour sur la terre de son adolescence, foulée par des armées ennemies trois fois supérieures en nombre. "Il jouerait son destin aux dés de la guerre sur le sol où plongeaient les racines de sa jeunesse."


On l'aura compris, la plume de Michel Bernard est élégante, old-fashioned et minutieusement documentée. À mi-chemin entre le travail de son homologue Patrick Rambaud sur La Bataille et celui de Max Gallo sur sa trilogie napoléonienne dirais-je, mais sans le souci de s'inscrire fermement dans les pas de Balzac du premier et, dieu merci, sans la lourdeur ni la grandiloquence du second. Il y a de quoi s'émerveiller du talent du romancier à apporter une certaine hauteur de vue à cet événement capital de l'histoire européenne, tout en ne quittant jamais vraiment l'entourage de l'Empereur de plus en plus esseulé. Les coups d'éclat de Montereau, Champaubert et Vitry-le-François, le sacrifice des Marie-Louise, la défection de Marmont, tout cela est vécu depuis les yeux et les oreilles de Napoléon, on vibre et se met à espérer avec lui, on s'émerveille du génie de ce diable d'homme, en son heure la plus désespérée.


Du moins, jusqu'à un certain point. Remarquablement bien écrit et construit de bout en bout, Hiver 1814 n'en fait pas moins penser à une illustration de Jacques Onfroy de Bréville ou à un tableau de Detaille ou Meissonnier. Michel Bernard a beau parvenir à brosser un portrait immaculé du théâtre d'opérations dans toute son ampleur tout en restant à hauteur d'homme, son style navigue à la limite de l'hagiographie, son approche à la limite du panégyrique.


Je dis bien "à la limite", car malgré son empathie pour Napoléon, le romancier ne perd pas de vue tout le caractère futile, voire absurde, de ce dernier coup de dés de l'Empereur. "L'armée était comme un bateau désamarré que son capitaine croyait diriger alors qu'il n'était qu'entraîné par les courants de haute mer et chassé par des vents contraires." Si son écriture des événements de Fontainebleau se démarque dieu merci de l'imaginaire traditionnel notamment véhiculé par le film Waterloo de S. Bondartchouk, on ne peut pas en dire autant de son traitement du cas Marmont ou du portraits des adversaires coalisés (le surnom du Feld-Maréchal Blücher s'écrit "Vorwärts", et non "Worwartz").


Mais ces quelques écueils inhérents à une étude traditionnelle et très franco-française de la geste napoléonienne n'enlèvent en rien au plaisir de se plonger dans Hiver 1814, un récit haletant et remarquablement bien documenté d'une période méconnue du grand public, que la très belle plume de Michel Bernard devrait, souhaitons-le, contribuer à révéler au grand jour. Lorsque même son futur adversaire et vainqueur, le duc de Wellington, dit que "l'étude de cette campagne de 1814 m'a donné une meilleure idée de son génie que n'importe quelle autre", on se dit effectivement qu'il y a de quoi se pencher sur l'avant-dernier baroud de Napoléon !

Szalinowski
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le 3 sept. 2020

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