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(*proverbe africain)

Voici l’œuvre majeure du prix Nobel égyptien Naguib Mahfouz, plus de mille cinq cent pages consacrées au quotidien d’une famille bourgeoise du Caire. Les titres des trois romans – Impasse des deux palais, Le palais du désir, Le jardin du passé – sont inspirés du nom des rues dans lesquelles l’auteur a passé sa jeunesse. Dans cette ville en pleine effervescence, les hommes sont dehors, respectés, puissants. Quant aux femmes, elles sont condamnées à la réclusion et à l’obéissance. C’est pourtant cet univers clos, symbolisé par la puissance indéfectible de la maison, qui fascine Naguib Mahfouz, et qu’il s’attache à reproduire.

Le foyer est un lieu sacré, dans lequel les êtres se retrouvent, s’appartiennent, se définissent. De cette collectivité unie et contrastée se détachent des personnages hauts en couleurs. Définie par la figure paternelle et austère d’Ahmed Abd el-Gawwad, dont l’extrême exigence pèse sur les paroles et les actes de chacun, la famille de La trilogie prend forme au fil des ans. La mère, Amina, est une femme effacée et attentionnée, qui régit en silence la maisonnée. Ses filles (la belle Aïsha, et la caractérielle Khadiga) grandissent, se marient et quittent inéluctablement le domaine familial pour ceux de leurs maris. La vie continue pour les fils : alors que Yasine se dissout dans la débauche, Fahmi est victime de son engagement politique, et Kamal se berce d’idéaux littéraires. Tandis que la ville mute, envahie par les Anglais, les personnages s’enfoncent dans leurs voies singulières. La décrépitude du père, sa déception quant à ses enfants, signalent l’affaissement d’un pays et d’une génération toute entière.

Le style de Naguib Mahfouz, d’une richesse et d’une préciosité rares, donne vie à ce monde exotique. Avec finesse il construit des êtres attachants, qui chacun à leur manière illustrent une idéologie, une tension, une passion. Et toujours, dans cette fresque passionnante, les liens du sang demeurent indéfectibles.

Extrait (les premières lignes qui ouvrent La trilogie):

Sur le coup de minuit, elle se réveilla comme à son habitude à cette heure de la nuit, sans le secours d’un réveil quelconque, mais poussée par un besoin tenace qui s’obstinait à lui faire ouvrir les yeux avec une ponctualité sans faille.

Un instant elle resta à la frange des choses, livrée à la mêlée des phantasmes et des picotements de la perception consciente, jusqu’à ce que, au moment d’ouvrir les paupières, dans sa crainte que le sommeil ne l’eût trompée, l’angoisse l’étreigne.

Elle secoua légèrement la tête et ouvrit les yeux sur l’obscurité dense de la pièce. Pas le moindre indice pour lui permettre de se faire une idée de l’heure présente : en bas, la rue ne s’endormait pas avant les premières lueurs de l’aube. Les bribes du bavardage nocturne des cafés, comme les voix des boutiquiers qui lui parvenaient au tout début de la nuit, se confondaient avec celles encore perceptibles à minuit, et de là jusqu’à l’aurore. Dès lors, nul repère auquel se fier hors l’intuition intime, sorte d’horloge consciente, et le silence qui enveloppait la maison.



(traduit de l'arabe par Philippe Vigreux)
Alphonse
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le 2 mars 2015

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