Impurs
6.8
Impurs

livre de David Vann ()

Les liens "impurs" selon David Vann

Il y a un peu plus de deux ans, David Vann publiait son premier roman chez Gallmeister. Plébiscité par la critique et les lecteurs, « Sukkwan Island “ a marqué les amateurs de littérature américaine.

Ce livre, qui contait l’histoire d’un père et de son fils partis vivre sur une île sauvage au large de l’Alaska, a retourné bien des estomacs. Sa qualité manifeste lui a d’ailleurs valu le Prix Médicis étranger 2010.

Après avoir publié un deuxième roman l’année passée ( ‘Désolations’), vient de paraître, toujours chez l’éditeur adepte du ‘Nature Writing’, le troisième roman d’un auteur déjà culte : ‘ Impurs ’.

Fini le froid de l’Alaska. Adieu les cours d’eau glacée. Avec ‘ Impurs ’ (‘ Dirt ’ dans le titre original), David Vann nous transpose au sud des Etats-Unis, dans la fournaise californienne. L’autre ‘pays’ de sa famille. Car si l’Alaska propre à ses deux premiers romans creusaient le sillon de la figure du père, c’est sur les traces de la famille maternelle que revient ici l’auteur.

On y suit Galen, jeune homme de 22 ans, resté vivre chez sa mère, une femme particulièrement à l’ouest. Si ce personnage énigmatique revêt des allures de Tanguy, c’est bien malgré lui. Il souhaiterait partir et étudier. Mais couvé comme il l’est par sa génitrice, il ne trouve d’évasion que dans les lectures répétitives de ‘Jonathan Livingston le goéland’, du ‘Siddhartha’ de Hermann Hesse ou du ‘Prophète’ de Khalil Gibran.

A travers ce personnage perpétuellement en quête de sens, Vann dresse un constat amer du monde tel qu’il est :

‘ Les humains avaient créé les modes de vie les plus merdiques. Maisons de retraite, voiture, asphalte, coincés dans les déserts comme ici, des endroits où l’on ne pourrait supporter de vivre un jour de plus. Ils auraient été plus avisés de continuer à se balader tout nus sans rien inventer. ’ (p.145)

Et aux yeux de Galen, la vanité des hommes est sans fond :

‘ Il était possible d’avoir une image complètement différente des humains. Pas d’âme, pas de transcendance, pas de vie passée, rien que des animaux ayant appris des tours plus intelligents. Tout cela en vain. ’ (p.252)


Hormis sa mère, le reste de la famille de Galen n’est guère mieux : une grand-mère qui perd la boule, une tante vindicative qui ressort des squelettes du placard et une cousine lascive. Lorsque tout ce beau monde part faire une virée dans les montagnes, les choses prennent une étrange tournure.

‘ Sa famille, un fardeau. Il aurait mieux valu qu’aucun d’eux ne naisse jamais. ’ (p.249)

Pour cette petite ‘mafia’ – comme la nomme si bien Vann – cette excursion loin de tout a des allures de purgatoire et des airs de règlement de compte. C’est écrit, ce lieu est le point de non retour.

Cela constitue un des éléments romanesques propres à l’auteur américain qui enclenche ici la phase finale d’une tragédie qui a pris racine il y a bien des années de cela, quand le grand-père, disparu depuis, battait sa femme. Mais son spectre rôde toujours. ‘ L’origine de la violence est masculine ’ note Vann (Tansfuge, numéro 66). Cette violence est le terreau de la famille. Il en sera également le caveau.

Entre deux bucoliques virées pédestres, Galen tente de garder la tête hors de l’eau au sein de cet environnement féminin qui se délite peu à peu. Il jongle entre sa fascination transcendantale pour la nature et celle plus libidinale envers sa cousine.

Cette dernière campe parfaitement le rôle de la salope sadique. Elle joue avec la frustration de Galen sans pudeur. Elle jongle avec ses pulsions avec la même aisance qu’elle meurtrit sa verge. Elle n’éprouve que mépris pour ce mâle penaud sur lequel elle sait avoir le contrôle.

Comme dans ‘ Sukkwan Island ’ le lecteur est ici en présence d’un récit en deux temps. Dans la deuxième partie de ce livre, Galen se retrouve face à sa mère. Le ton se durcit :

‘ Au pays des cinglés, dit Galen. C’est là que tu vis depuis un moment. Regarde-toi, avec ton putain de thé et tes sandwichs. Réfléchis une seconde, qui s’amuse à faire semblant toute la journée ? C’est qui, qui s’amuse à faire semblant toute la journée ?’ (p.153)

Pour cette femme en perdition totale, son fils fait office d’ultime rempart. Elle l’avait mis au monde et protégé pour qu’il devienne le rédempteur de la masculinité. Il devait gommer les méfaits des hommes en général, mais surtout ceux de son propre père si violent, si absent.

‘ Ton prénom vient de celui d’un docteur, Galen. Un médecin de la Grèce Antique. Tu étais censé aider les gens. Tu étais censé être différent. ’ (p.208)

Mais Galen n’est qu’un homme. Il a beau s’échiner, nulle échappatoire n’est possible.

David Vann est un tragique. Ses romans sont emprunts de douleur, de fureur et de l’acte impie, irréversible, qui plonge les acteurs de cette fresque dans les limbes du désespoir. Lire ‘ Impurs ’, c’est avaler du sable en plein cagnard. Vann signe une fois de plus une merveille de roman aussi brutal que psychologique.
SuperLibraire
8
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Créée

le 11 avr. 2013

Modifiée

le 6 mai 2013

Critique lue 655 fois

5 j'aime

Anthony Boyer

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