Ceci est le dernier livre écrit et publié du vivant de Robert Jordan. Ce nom résonne peu dans les oreilles francophones des lecteurs de Fantasy : desservi par une première traduction de mauvaise qualité, l’œuvre n’aura pas su s’étendre correctement au-delà de l’Océan Atlantique. Ainsi, « La Roue du Temps » n’a pas fait autant parler d’elle que « Le Seigneur des Anneaux », « Le trône de fer » ou encore « L’Assassin Royal »… Moins connu que « Les Chevaliers d’Émeraude », hélas… Sans émettre de jugement excessif ni de comparaison inopportune, ce onzième tome de cette saga me permet d’affirmer ceci :


La Roue du Temps est un monument de la fantasy contemporaine. Peut-être même de la littérature.


Suis-je subjectif ? Probablement. Il n’empêche que, même si on pourra trouver beaucoup de défauts à cette immense histoire – et je suis le premier à le reconnaître -, on ne peut qu’éprouver du respect pour l’univers que Robert Jordan aura dressé. Un univers fabuleux, riche, presque infini, qui ne cesse de surprendre après des milliers et des milliers de pages.


Tout semblait commencer par une énième copie du Seigneur des Anneaux. Qui aurait pu le blâmer ? À l’instar de tout genre, la Fantasy s’est construite en s’inspirant des meilleurs, pas ceux qui ont créé mais ceux qui ont contribué à le populariser. Robert Jordan appartenait à la génération d’après-guerre ayant grandi dans les USA en plein développement de la société de consommation, dans un contexte d’évolution des droits sociaux et de guerre du Viêtnam, et le Seigneur des Anneaux était très populaire chez les étudiants lorsqu’il en était lui-même un. Sans extrapoler, je pense que tous ces événements ont marqué son imaginaire, si bien qu’il a entrepris tardivement l’écriture. Et il n’aura arrêté qu’à sa mort.


J’avais déjà aussi lancé la réflexion sur les sagas de Fantasy jugées commerciales à cause de leur longueur excessive. Je l’affirme également : La Roue du Temps n’appartient à cette catégorie. Robert Jordan ne s’est pas attardé pendant plus de vingt ans sur son histoire, se vouant corps et âme à la tâche, pour un simple appât du gain. Il est passionné, et cette passion se transmet à travers chaque ligne, chaque mot de cette épopée. À travers chacun de ses milliers de personnages qui composent son monde dépassant la fiction. Il les fait vivre d’un habile coup de plume : on les aime ou on les hait, mais on n’en reste jamais indifférent. Tout simplement car ils s’inscrivent comme des êtres à part entières, presque mythologiques.


Knife of Dreams est l’aboutissement d’un amour, l’apothéose d’un récit qui aura vu défiler maintes batailles, moult complots. On a assisté aux luttes intérieures de Rand, on a encouragé les reconquêtes de Perrin, Egwene et Elayne, on a rigolé devant Mat et Nynaeve… Des acteurs d’un monde où la magie est au début exclusivement féminine, où des empires s’étendent dangereusement, où des peuples guerriers côtoient des bâtisseurs, où le combat entre le bien et le mal est magnifié, complexifié, nuancé par des personnages dont l’allégeance s’avère douteuse. Rarement une histoire classique n’aura été densifiée, portée au sommet par un style excellent et un background tout aussi intéressant.


C’est vrai, Robert Jordan affectionne le contemplatif. Il est capable, à l’instar d’un Tolkien, de s’attarder des pages et des pages sur le décor ou sur le ressenti des personnages. Mais c’est pour mieux préparer les moments clés, pour mieux amener les lecteurs sur l’intérêt de cette épopée intemporelle. Le rythme a assez ralenti à partir du tome 6 et l’histoire s’est montrée plus inégale même si j’ai beaucoup aimé les tomes 7 et 9. Le tome 10 était assez vide et presque sans intérêt pour l’histoire. Tous ont pourtant échafaudé la conclusion de bon nombre d’arcs narratifs, tous condensés dans ce tome. La satisfaction, le comble sont nés : Robert Jordan a récompensé les lecteurs pour leur assiduité.


Knife of Dreams respecte ses promesses : les péripéties s’enchaînent à un rythme haletant. L’ensemble des personnages, même si certains se situent davantage sur le devant de la scène (surtout Mat), connait un moment de gloire à l’écriture croustillante. Les éléments s’assemblent, fusionnent, se développement dans une parfaite cohérence. Ce tome, c’est le combat de Rand qui doit lutter contre les maux internes comme externes. Ce tome, c’est le combat de Perrin qui est prêt à tout pour secourir son amour de toujours. Ce tome, c’est le combat de Mat qui s’illustre comme général au-delà de sa réputation hérité à Ebou Dar. Ce tome, c’est le combat d’Elayne qui conserve sa position comme son royaume jusqu’à déjouer les complots. Ce tome, c’est le combat d’Egwene qui s’opiniâtre à rassembler les Aes Sedai de l’intérieur. L’action est présente, les batailles sont magnifiquement décrites, mais on n’oublie jamais leurs sentiments dans cette succession de complots et de trahison.


L’ultime sursaut… Robert Jordan a préparé tous les éléments nécessaires pour conclure les dernières intrigues avant la bataille finale : le retour de Moiraine, l’alliance de la Tour Blanche et de la Tour Noire, l’avancée du Seanchan plus divisé que jamais, les conspirations des Forsaken… Rien n’est oublié, jusqu’au plus infime personnage tertiaire, car tous participent à cette grandiose histoire.


Robert Jordan connaissait la fin de ce récit mais n’a jamais connu la publication des trois derniers tomes… Où qu’il soit à présent, j’espère qu’il est heureux du résultat, et j’espère que ce sera aussi le cas pour moi. L’aventure s’est achevée il y a dix ans pour lui. Sa saga a survécu au-delà de son créateur.

Saidor
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le 9 oct. 2017

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