L'Aveu
7.8
L'Aveu

livre de Artur London (1968)

Ce livre raconte à la première personne un procès de type stalinien en Tchécoslovaquie au début des années 1950, à travers les yeux d'une de ses victimes, Arthur London. Il comporte beaucoup de noms, mais c'est un témoignage sans appel sur la machine à broyer du Parti Communiste, qui veut vous faire avouer des choses, qu'elles soient vraies ou fausses, quitte à réécrire complétement le passé. Une véritable ingénierie du lavage de cerveau, qui touche d'autant plus que London avait une famille, dont il fut coupé pendant bien des années.


Le livre est découpé en 6 parties, de longueur inégales, qui suivent les différentes étapes du procès.


1 - Kolodeje.
Arthur London est un Tchèque communiste, qui s'est battu du côté républicain pendant la guerre d'Espagne. Il est vice-ministre des affaires étrangères du gouvernement Gottwald. Deux de ses anciens amis, Pavlik et Feigl, ont été arrêtés et ont disparu, et lui-même est souvent mis en cause et se sent espionné. Il retrouve Osvald Zavodsky, chef de la Sécurité d'Etat - un camarade de longue date. Ils y retrouvent Tonda Svoboda, Otto Hrodmako, Oskar Valesh, Josef Pavel - tous des anciens de l'Espagne. D'autres puissants viennent d'être purgés, ça sent le sapin. Depuis le procès Rajk, une chasse aux sorcières antérieures, où un certain Noël Field, agent américain, a parlé. Ossik prétend avoir toujours défendu London devant Koprjiva, un ponte de la Sécurité. London obtient une entrevue avec son supérieur, Shiroky. Il quitte son domicile, où vit sa femme Lise Ricol, une communiste française qui a le socialisme chevillé au corps, mais le 28 janvier 1951, une voiture de la Sécurité lui fait une queue de poisson et il est enlevé, les yeux bandés. Il reçoit des habits de prisonnier. Souvenir d'avoir été tabassé en 1931 pour tractage communiste. Interrogatoire par un homme, dont London saura après qu'il s'appelle Janoushek, et est connu pour sa brutalité. On lui demande d'avouer être payé par les services secrets américains. Flashback d'internement à Mauthausen. Comment il fait sa vie en France. Touché par la tuberculose, il obtint par Noël Field, directeur de l'Unitarian Service, d'aller dans un sanatorium en Suisse. Retour à Prague en 1949. Lors du procès Rajk, Field apparaît comme un des principaux boucs émissaires, avec des faits d'accusation invraisemblables. Plusieurs incidents mineurs sont utilisés pour tenter de trouver un lien entre Field et London. Retour sur le bureau forcé, les coups de fil anonymes à l'épouse. Le filet se resserre.
Nourriture : une gamelle posée à même le sol, dans laquelle il faut boire comme un chien. Obligation de marcher en rond dans la cellule, toute la journée. Besoin à faire dans un seau, menotté, sous la surveillance d'un gardien. Interrogatoires musclés, sous une lumière aveuglante, par un référent, Smola. On lui met sous le nez des rapports politiques sur ses camarades d'Espagne, il faut prouver qu'ils sont des trotskystes. Et les aveux de Zavodsky l'incriminant, signés. Sentiment d'isolement face à une vérité falsifiée, tordue dans un seul sens. Les référents ne prennent pas le nom de témoins qui pourraient démentir. Perte de la notion du temps, manque de sommeil, froid. Un gardien désobéit pour lui donner à boire en cachette. Protestation contre les méthodes employées, les responsables se dédouanent sur les gardiens. Aide d'interrogateurs soviétiques, comme en Hongrie. Souvenir de choses vues lors des purges à Moscou en 1936. Interrogatoires de plus en plus violents, insultes et coups. Derrière les référents, des chefs de groupe qui rendent compte aux responsables soviétiques détachés. Les dossiers sont expurgés avant d'être envoyés au Parti. Flashback sur l'Espagne, pour retrouver les souvenirs qu'on essaie de détruire. Liens avec André Marty, du PCF. Gottwald prononce publiquement une condamnation des volontaires tchèques en Espagne. Pendant ce temps, sa femme Lise se bat. le jour de l'arrestation, elle s'oppose à une perquisition. Envoie une lettre à la direction du Parti, et une à London. Il ne la verra que des années après sa réhabilitation.


2 - Ruzyn.


Le 1er mars, transfert. Aux vrombissements, London déduit qu'on l'a changé de prison, à Ruzyn, près de l'aéroport de Prague. Lampe allumée toute la nuit, mêmes méthodes qu'avant. Hurlements voisins. Interrogatoires de 18 à 20 h d'affilée, debout. Pas de médecin, malgré la santé fragile de London. On force l'individu à raconter sa vie, en travaillant sa culpabilité. L'espionnage concerne tout lien avec un espion. Doubek, patron de la prison : "*Le seul moyen de prouver votre fidélité envers le parti, c'est de vous adapter à sa façon de juger actuellement des événements du passé*" (p. 160). Conversation téléphonique entre Smola et Zavodsky, à qui on promet un exil contre ses aveux. On charge London comme le chef d'une cellule trotsko-titiste clandestine. Pression en présence de Koprjiva et Doubek, mais London tient bon. Cachot. Effondrement de l'espoir en un recours auprès du parti. Souvenir de détention en France, avec Lise, en 1942. Son accouchement. Alors le Parti les soutenait... Tentative de suicide en jetant la nourriture. Poids 51 kg. Décision de tenir jusqu'au procès. Fausse nouvelle d'une demande de divorce de Lise. Flashback sur la M.O.I., la résistance en France, les libérations de camarades exfiltrés. Certains ont été tués par la suite : on accuse London de les avoir envoyés à la mort, ainsi que de centaines de Juifs, après avoir été retourné par la Gestapo à Mauthausen, pour travailler pour les Américains. Certains camarades s'autopersuadent d'avoir été les dupes de London. Menace de faire arrêter sa femme, en salissant le PCF. P. 215 : "Quand on peut imaginer être la victime d'une erreur judiciaire ou des intrigues d'une fraction, on trouve en soi la force de lutter. Mais ici, prendre conscience que c'est le Parti qui a décidé votre perte, voir son sort réglé par une mécanique, vous écrase du poids de votre impuissance". Peur de devenir fou. London est retiré des griffes de Smola, dont la brutalité frontale ne donne rien, et passe aux mains de Kohoutek, qui dit qu'on reprend tout depuis le début. Nouveau carrousel, cynisme affiché. En juillet, à bout, London signe de timides aveux. Pendant ce temps, sa femme essaie de lui écrire, mais se heurte au mur. On ne permet à London de lui écrire que des lettres où il reconnaît ses fautes. Lise est perdue, écrit à Slansky, est reçue par Köhler, qui lui conseille de partir en France. Elle perd son logement et son travail de reporter, elle doit travailler à l'usine.


3 - Changement de conspiration.


Changement de méthode : London doit écrire sa biographie. La vocation communiste, la rencontre avec Kroupskaya et les vieux communistes, Bela Kun. Le référent s'endort, London en profite pour s'asseoir. On s'en rend compte et le référent est puni. London tente des aveux absurdes, pour qu'on se rende compte de leur inanité, mais ils sont repris tels quels. On pousse à avouer, en disant que ce PV n'est pas destiné au procès, mais à la paperasserie. Les rédacteurs proposent des formulations pour "améliorer" la déposition. Les PV discréditent au maximum les Juifs. On pousse à charger Slansky, que Kohoutek accuse d'avoir fait arrêter London. Ce dernier rapporte ses trois rencontres avec le ponte du parti tchèque. On lui fait réécrire ses souvenirs. On l'assure qu'on ne fait que la partie à charge contre lui, mais qu'il y aura une partie à décharge. Perte des repères, combat pour des bouts de phrase, perdu d'avance. Interrogatoire de contrôle de Koprjiva, non satisfait car London change ses réponses. Répit quand Kohoutek prend des vacances. Pendant ce temps, Lise a écrit à Gottwald, a même été interrogée par un cadre russe qui l'a bercée de belles paroles. Au retour de Kohoutek, les interrogatoires reprennent pendant douze autres mois (huit sont déjà passés). On ne garde que l'essentiel des réponses, ce qui peut incriminer : les noms. On répète les séances du procès, les futures questions du président, à réciter par coeur. Confrontation avec Slansky, deux automates brisés. Idem face à Eduard Goldstücker et Bedrich Geminder, deux autres victimes. Le procès arrivant, Kohoutek dit savoir du procureur que London ne prendra que 15 ans de prison. Le prétendu avocat de la défense parle comme les référents. Souvenirs des procès de Moscou, de l'effarement qu'ils lui inspiraient, notamment le témoignage de Krestinski.


4 - Procès à Pancrac


20 novembre 1952. Lecture du long acte d'accusation par le procureur Urvalek, retransmis à la radio et filmé, pendant 3 h. Interrogatoires de London, Schvab, Zavodsky, Geminder. Les familles n'ont pas été informées de la tenue du procès. L'un des accusés, Shling, se retrouve en caleçon tellement il est maigre : bref moment d'hilarité. Après sept jours, réquisitoire, puis la défense, tout aussi incriminante. Contre toute attente, les sentences sont pour moitié des peines de mort, pour moitié (dont London) de la perpétuité. Les référents sont introuvables. Les 11 condamnés à mort écrivent avant de mourir des lettres à leur famille et à Gottwald clamant leur innocence. Elles ne seront pas envoyées avant 1968.


5 - Les miens.


Mars 1953, un juge promet d'obtenir une entrevue avec la famille. Il lui fait passer une lettre de Lise qui divorce mais sollicite une rencontre avec les enfants. Visite le 8 avril, rue Bortolomejska. Les enfants font beaucoup de bruits, pour permettre aux parents d'échanger quelques mots à l'insu des gardiens. Il lui explique être innocent, mais elle ne mesure pas ce qu'il a pu subir. Il apprend la réhabilitation des médecins du complot des blouses blanches. Lise déménage, avec l'épouse d'un autre accusé. Elles sont engagées par SDK - Sokolovo, métallurgie lourde. Le directeur, Karel Berger, les prend sous sa protection. Mais les collègues les évitent. Choc d'entendre la confession de son mari à la radio. Elle écrit une lettre enflammée, à chaud, pour féliciter Gottwald, puis prend du recul. Se bat pour ne pas être exploitée au travail. Le collectif vote son exclusion, elle se bat.
A la prison, London reprend des forces, et les conditions s'améliorent. Il a le droit d'écrire, a des sanitaires. En juin, il est transféré au commando de travail, c'est-à-dire mêlé aux autres détenus, avec Löbl et Hajdu. Revirement contemporain du soulèvement de Budapest. Dès septembre 1949, Rakosi, le leader hongrois, informait Gottwald qu'une purge toucherait son appareil en utilisant le procès Rajk. London apprend que sa fille se voit barrer la voie des études à cause du passé de son père. Lors d'une entrevue, Lise obtient un détour par leur maison : London peut revoir ses beaux-parents.


6 - La vérité vraincra.


Par l'atelier, London se fait fabriquer une boîte à tabac au couvercle creux, pour faire passer des feuillets d'une réhabilitation écrit qu'il veut écrire. Il écrit en faisant semblant de lire un livre. La mère de Lise, Fernande, arrive et est effondrée des conditions de vie de la famille. Lise demande un visa pour la France, ils décident d'un code pour savoir si la demande sera accordée. Mai 1954, transfèrement à Léopoldov, Slovaquie. Prison-forteresse depuis 1700. Une visite tous les 5 mois, une lettre tous les 3 mois. En octobre, transfèrement à Prague, dans un parloir grillagé, pour voir Lise, qui annonce un départ dans deux jours pour la France. Graves problèmes de santé de retour à la prison. Le 20 octobre, interrogatoire devant un procureur, à propos de Pavel : London défend son innocence et demande la révision du procès Slansky. Lise écrit à Zapotocky, le successeur de Gottwald. Transfèrement à Pancrac, dans la section des condamnés à mort. Lise mobilise Aragon et Triolet auprès de l'ambassadeur tchèque, parle avec Ilya Ehrenbourg. Entre au PCF.
En mai 1954, un trio de pontes du parti vient écouter le récit de London, mais lui dit de patienter. Entrevue avec Kotal, vice-ministre des prisons. C'est en fait pour prépare une entrevue avec sa femme, venue pour 15 jours. Lise obtient une entrevue avec le ministre Barak, qui fait mine de tout découvrir et lui demande de reporter son départ, ce qu'elle fait. Obtient la détention de son mari au sanatorium de Plesh. Le rapport de London est déposé et précède de quelques mois celui de Khrouchtchev lors du XXe Congrès de février 1956, dénonçant les crimes staliniens. Le même mois, London obtient sa liberté.


Douze ans après.


Cet appendice écrit en 1968, lors du printemps de Prague. London a été témoin de l'arrivée des chars russes.

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le 31 oct. 2017

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