L’Ogdoade est la huitième des sphères célestes, et l’Énnéade est la neuvième. Dans la vision gnostique, c’est dans ces sphères que résident les entités divines qui doivent régénérer le fidèle, et faire de lui un homme nouveau, directement inspiré par l’Intellect divin. À ce niveau d’initiation, l’exposé doctrinal théologique ne sert plus à grand-chose. Il faut exercer l’âme à s’élever en pratiquant des prières de louange. 
D’un autre côté, en s’élevant jusqu’à l’Ogdoade et l’Énnéade, on a dépassé la septième sphère (l’Hebdomade), qui représente la sphère de la plus lointaine planète visible du système solaire à l’époque (Saturne). Donc, du fait que l’on outrepasse l’ultime sphère planétaire, on se libère de toute influence astrologique, et c’est là un moyen d’acquérir une liberté spirituelle véritable.
Aussi, le dialogue maître-disciple qui constitue ce texte est-il essentiellement une pédagogie de la prière : les prières sont entrecoupées de visions extatiques, qui sont autant d’indices de l’élévation spirituelle.
Cet écrit présente une forte parenté avec des textes du Corpus Hermeticum : le maître qui enseigne est appelé à plusieurs reprises « Hermès » ou « Trismégiste ». Par ailleurs, c’est dans un décor purement égyptien que le maître invite le disciple à déposer le récit de sa vision, gravé sur une stèle, dans un sanctuaire du dieu Thot, le Dieu-Scribe, dont le personnage d’Hermès Trismégiste est une épiphanie.
On reconnaît dans cet écrit la révolte gnostique contre l’entropie spirituelle qui s’est manifestée dans l’histoire de la création, depuis le Dieu Inengendré jusqu’à la pauvre humanité matérielle et souffrante, vouée à la mort. L’initié gnostique doit refaire ce chemin en sens inverse, de la matière vers la Divinité, en passant par l’étape de l’Adam primordial, qui possédait encore la qualité d’Autogène (il ne possède ni père ni mère, étant le premier homme, donc il passe pour s’être engendré lui-même, ce qui est une qualité divine). Au moment de la mort, l’âme s’élance vers le haut, et, en passant par chacune des sphères planétaires, y abandonne une passion ou un vice particulier, en affinité avec cette sphère planétaire. Parvenue à l’Ogdoade et au-delà, elle partage le sort des esprits supérieurs qui chantent des hymnes à Dieu.
Mais, puisque le candidat à l’initiation n’est pas encore mort, le moyen d’y parvenir est de découvrir son propre double divin, de préférence avec l’aide d’un individu initiateur, aisément assimilé à Hermès Trismégiste. Ce double divin n’est pas du tout corporel, et l’initié ne réussit pas tant qu’il se représentera lui-même comme un corps matériel. Il faut que la représentation de ce double divin perde tout attribut matériel, et se rapproche ainsi de son essence intellectuelle-divine. Il est intéressant de voir que l’âme de l’Enfant, au moment qui précède immédiatement son incarnation, est supposée être encore exempte de tous les vices et de toutes les passions du corps. On ne peut s’empêcher de renvoyer en ce sens à la parole du Christ (Évangile de Matthieu, Chapitre 19, verset 14 : « Laissez les petits enfants, et ne les empêchez pas de venir à moi; car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent. » ). C’est par la prière répétée que l’on se lie et s’unit aux âmes supérieures, et que cette initiation peut s’accomplir.
En tout état de cause, « il est impossible à ce qui est corps de signifier l’incorporel ». Même le fait de citer le nom de Dieu dans une prière est une erreur spirituelle, car Dieu n’a ni forme ni nom. Seule l’oraison silencieuse, la prière sans mot, exprimée par la conscience pure, peut honorer Dieu. Voilà pourquoi on trouve dans ce texte (56, 17-22 ; 61, 10-15) de très étranges séquences de voyelles, qui signifient le « démontage » du langage articulé humain commun : cette perte presque complète de repère linguistique connu (mais il reste les sons) éloigne le candidat à l’initiation des habitudes humaines, et le rapproche de l’attitude de silence intérieur nécessaire à la prière efficace. Comme le texte original est en copte, il faut en plus se placer dans la logique de cette langue pour tenter de résoudre l'énigme de ces vocalisations magiques.
L’Ogdoade peut donc être considérée comme une « frontière » mystique entre l’humain et le divin ; elle constitue un véritable « hymen » au sens sexuel, en tant que membrane qui sépare le hylique (la nature matérielle) du noétique (l’Intellect transcendant divin) ; elle est le lieu où les âmes rencontrent les Anges.
En pratique, le texte est un dialogue entre « Hermès » (le Maître à travers qui se transmet la Lumière de l’Ogdoade) et le « Fils » (le disciple en posture d’initiation). Deux « visions » de la Lumière ineffable ponctuent ce dialogue : la première vision succède à un baiser entre le Maître et le Disciple (écho des mariages sacrés, *ieroi gamoi*, des Mystères antiques), comme si le souffle divin passait par la bouche du Maître pour être infusé dans celle du Disciple ; la deuxième vision succède à un moment où le Fils a procédé à une prière totalement silencieuse, dépourvue de mots, silence qui semble être la condition d’accès au Monde d’au-delà de l’Hebdomade.
Le texte se termine avec une curieuse consigne : il faut graver le compte rendu de la vision en hiéroglyphes sur une stèle de couleur turquoise, encadrée de gardiens à tête de grenouille et d’autres à visage de chat, ce qui nous place d'emblée dans un hiératisme égyptien. L’imprécation finale, comme dans l’Apocalypse de Jean et de nombreux autres écrits, réserve l’usage et les bénéfices de l’ouvrage à qui le lira dans une intention pure, et appelle la malédiction des dieux sur les autres.
khorsabad
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le 13 janv. 2017

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