Avec un titre si prometteur, je m’étais attendue à une réflexion pointue, aux croisements de la lutte pour les droits des femmes et ceux de l'environnement, dans une position politique forcément décoloniale et anticapitaliste.


Bon.


La couverture est jolie.


Mais en ce qui concerne le contenu, l'analyse est très faiblement poussée avec un argumentaire peu pertinent et mal articulé, quand il n'est pas carrément intoxiqué par une pensée encore très soumise aux injonctions patriarcales. Oui, c’est un comble.


Première surprise : pas d'analyse qui croiserait les impacts de la colonisation, l'exploitation des ressources précieuses des pays africains et la place particulière de la femme dans les sociétés africaines. Ou dans celles d'autres pays du Sud.


Très descriptive de situations concrètes illustrant la vie économique des classes moyennes sénégalaises et des travailleuses précaires, l'auteure se perd souvent dans des comparaisons mal à propos et nous assène subitement des statistiques et des éléments chronologiques qui n'ont pas particulièrement de lien avec ce qu'elle vient d’énoncer. Les conclusions de ses opinions semblent ensuite nous tomber dessus sans qu’un raisonnement logique et cohérent ait pu les développer.


Malheureusement, c’est surtout son approche de la place de la femme qui me fait mal aux mâchoires. Là où je m’attendais à une posture féministe matérialiste, je découvre avec perplexité ce qui pourrait être l’illustration du féminisme différentialiste. Il ne s’agit à aucun moment de déconstruire le concept de genre, il faut au contraire maintenir des représentations bien différenciées de l’Homme et de la Femme, et principalement chercher à améliorer le stéréotype féminin, notamment vers plus de reconnaissance sociétale.


A partir de là, on n’est plus surpris de cette posture essentialiste visant à justifier la place de la femme en tant que membre d'une communauté principalement familiale : l’épouse, la fille, la mère, la soeur, la belle-fille ou la belle-mère. L'émancipation en tant que personne humaine n'est même pas envisagée en dehors de la structure familiale traditionnelle. Néanmoins, pas d’analyse très élaborée autour de la polygamie, dont les conséquences dans la vie quotidienne des femmes concernées sont pourtant largement décrites.


Réflexion très superficielle et douteuse sur les violences faites aux femmes, alors qu’il y aurait toujours beaucoup à dire quand on choisit d’aborder ce sujet. Pas de mention des mutilations génitales faites aux petites filles dans de nombreux pays africains. Et lorsqu'elle évoque les viols, l'auteure fait basculer une partie de la responsabilité sur les femmes !


En revanche, une position violente et sans aucune argumentation claire, en défaveur de l'homosexualité, essentiellement l'homosexualité féminine. Citons directement l’auteure pour se faire sa propre appréciation : « L’une des violences faites aux femmes est l’homosexualité qui représente une réaction face à la société et à des règles, mais elle est en fait un comportement au détriment de la féminité ».


Globalement, la réflexion à propos du corps de la femme reste superficielle. Au mieux, il est envisagé comme un simple apparat qu’il faut orner et modifier pour éviter les discriminations que sont l’âgisme et le colorisme. Au pire, c’est un outil de séduction permettant de se faire une place derrière un homme ayant réussi à obtenir une position de réussite dans la société. Citer à ce propos Adolf Hitler pour justifier de la pertinence de l’écoféminisme en lien avec le pouvoir et la réussite sociale n’est qu’une maladresse de plus qui nous fait déplorer le manque de finesse de l’auteure.


On ne manquera pas également de relever une position ambiguë, jamais clairement développée, sur le droit à l’IVG. Mais après lecture du reste du contenu, on se fait rapidement une petite idée de ce que l’auteure aurait pu en dire.


Enfin, l’auteure prend régulièrement une position très jugeante et moralisatrice à l'égard des femmes soumises au système, et en particulier des femmes qui se prostituent. Avec un discours contradictoire qui regrette l'absence de solidarité entre femmes, tout en admettant la compétition et la jalousie comme allant de soi. La compréhension de l’emprise du patriarcat semble échapper à l’auteure qui reste également encore prisonnière de certaines facilités de pensée : « la femme qui se laisse aller à [ne pas entretenir sa maison/ne pas être habillée décemment/ne pas chercher activement du travail/se prostituer/ne pas porter plainte en cas de viol] est quand même une grosse fainéasse ». Et cette citation qui brille par son érudition est de moi-même.


Bref.


J’aurais donc pu mettre un zéro pointé à ce livre, mais comme je suis la première personne à l’avoir ajouté dans la banque de données de Sens Critique, j’imagine que ça aurait influencé son rejet total. Or, il y a quand même deux choses positives que je retiens de cet ouvrage.


Le premier point positivement très intéressant et très constructif de ce livre, c’est le regard très détaillé que l’auteure porte sur le travail de la femme. Le travail précaire et le petit commerce y sont très bien décrits, avec tous les impacts qu’ils ont sur la santé des travailleuses et de l’environnement. L’auteure valorise énormément la femme en tant que travailleuse. Les efforts et sacrifices que la femme fournit dans son travail devraient lui attribuer une dignité reconnue par toute la société. Cette dignité semblerait être à son apogée avec l’entreprenariat, que l’auteure encourage pour les femmes comme voie royale vers l’émancipation.


D’une manière plus globale, l’exploitation des femmes dans le milieu professionnel ne semble pas envisagée par l’auteure comme une violence systémique.


Le travail invisible de la femme est également largement mis en évidence, mais jamais critiqué. Et pour cause, même si la femme devrait être reconnue en tant que gestionnaire de la vie domestique et familiale, la répartition des tâches reste genrée, et ce serait donc dans la nature de la femme d’être l’épouse et la ménagère.


Le second point qui m’interpelle et qui m’a beaucoup mise en difficulté à la lecture de ce livre, c’est la réelle bonne volonté de l’auteure à vouloir à la fois défendre les droits des femmes et les droits de l’environnement, qui est pourtant à de nombreuses reprises incompatible avec certaines de ses propres opinions ou son manque de condamnation radicale quand elle constate des faits qu’elle désapprouve. L’auteure semble considérer que l’activité professionnelle est la clé ultime de l’émancipation féminine, la femme libre étant une femme qui travaille pour subvenir aux besoins de sa famille et belle-famille, toute la communauté s’articulant autour de la travailleuse qui en contrepartie gagne son respect.


Les systèmes dans lesquels naissent et se perpétuent les inégalités ne sont pas questionnés, même quand les inégalités sont pointées par l’auteure. Et bien que de nombreuses situations concrètes soient détaillées, l’essentiel du livre est surtout descriptif et manque d’analyse en profondeur. J’en conclus donc qu’on peut encore être soi-même largement prisonnière des pièges du patriarcat alors même qu’on s’évertue à vouloir le combattre et plutôt que de sévèrement juger une auteure parce que son féminisme ne serait pas aussi radical que le mien, je vais quand même saluer avec indulgence son travail et les premières pistes qu’il apporte à une future réflexion sur le patriarcat à travers les différentes cultures et l’écoféminisme comme réponse et mouvement aux différentes crises actuelles.

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le 13 avr. 2019

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