"La dévastation et l’attente est un dialogue écrit par Heidegger à la fin de la seconde guerre mondiale. Il n’est donc pas innocent.

Il est précisé qu’il se passe dans un camp de prisonniers en Russie. La scène est donc le fruit de l’imagination de Heidegger qui écrit depuis l’Allemagne, au moment où il retrouve son village natal.
Mais, avant le texte, juste avant le début de la lecture de ce dialogue imaginé, de toute pièce, par Heidegger, une présentation nous suggère que les deux personnages inventés ne sont peut-être, en fin de compte, que des projections des deux fils de Heidegger. Celui-ci n’a plus de nouvelles d’eux depuis qu’ils ont été mobilisés en 1941 sur le front russe. Ils furent même prisonniers dans un camp en Russie.

L’analogie est donc évidente. On aurait du mal à imaginer comment Heidegger n’aurait pas écrit ce dialogue en inventant cet échange entre ces deux fils dans ce camp, si loin de lui. Après tout, ce serait une des réactions les plus humaines, au cœur de tout ce mal inhumain qui prend l’Europe à cette époque. Qui n’en aurait pas fait de même ? C’est entendu, n’allez pas vous imaginer autre chose que Heidegger s’imaginant ses fils s’entretenant ensemble.

Pourtant, ce qui pourrait poser problème à cette lecture un peu rapide et facile, qui ne demande pas trop d’imagination, c’est que les deux personnages qui discutent n’ont pas de prénom. Je ne veux pas dire par là qu’Heidegger cacherait leur nom en leur en donnant d’autres, comme pour tenter de nous semer. Non, ces deux personnages n’ont pas de nom. Du moins, aucuns ne nous sont donnés. Est-ce encore à dire qu’Heidegger laisse à notre imagination de leur trouver un nom comme si l’on participait un peu, par ce chemin-là, au dialogue ? Car, après tout – et surtout après ce dialogue – on imagine bien qu’ils ont tous deux noms et prénoms auxquels ils répondent. Mais, de ce camp de prisonniers, rien ne les appelle par leurs noms – et surtout par Heidegger.

Doit-on céder à la facilité qui consisterait à dire que sans noms, sans histoires, et donc sans visages, ces deux interlocuteurs sont comme des représentants, ou du moins peuvent permettre une représentation de quelque chose de plus vaste qu’eux? Autrement dit, Heidegger, en évitant toute description individualisante, particularisante, et on serait tenté de dire presque humanisante – la question de savoir s’il s’agit bien d’humains doit rester poser à tout jamais – procède-t-il à une abstraction universalisante ? S’agit-il simplement pour lui de mettre en avant le propos du dialogue et de ne pas trop déterminer ses personnages pour ne pas empêcher les projections du lecteur ?

Il se peut bien que « l’allusion transparente » dont parle la présentation ne soit qu’un mirage de lecteurs à demi tentés par une interprétation romancée et biographique de ce dialogue.

Mais ne soyons pas non plus de mauvaise foi – ce texte contient déjà suffisamment d’impolitesse comme nous l’avons vu -, Heidegger aurait pu parler de tout autre chose, inventer une histoire bien différente de celle de ses fils. En ce sens, à un certain niveau, à un niveau pas très imaginatif, le dialogue se laisse facilement présenter comme le fruit de l’imagination de Heidegger soucieux pour ses fils."

[...]
Zarathoustra93
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le 15 mars 2014

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