J'aime les beaux livres et, plus encore, j'aime les beaux projets. Rien d'étonnant, donc, à ce que ma curiosité ait été piquée lors de l'annonce de la sortie de cette France Steampunk, somme du travail de deux gros spécialistes du genre (Etienne Bariller et Arthur Morgan) et du photographe Nicolas Meunier. Le livre, en effet, présente deux aspects intéressants : il a la bonne idée de combiner fiction et image, mais en plus il met en scène des personnes directement issues de la communauté Vaporiste de France, avec leurs similitudes et (surtout) leurs différences. Autant le dire de suite, je n'ai absolument pas été déçue, et je recommande vivement la lecture de ce livre aux passionnés de Steampunk comme aux personnes voulant juste découvrir le mouvement.


Le résumé (rapide) de l'histoire est le suivant : le livre est présenté comme étant la publication des carnets d'André de Favard, témoin des événements ayant pris place lors de la Commune, entre Mars et Juin 1871. Envoyé en France avec l'agent britannique Edward Parrow, dans le but d'accomplir une mission d'espionnage de grande envergure, Favard a consigné dans ses carnets son voyage dans l'Hexagone, et décrit les aventures qu'il a vécu à Paris, en Bretagne, à Lille, Lyon, Toulouse et Marseille. Le twist, ici, est que l'Europe de Favard et de Parrow n'est pas exactement celle que nous connaissons : pour eux, Napoléon Ier a gagné Waterloo. Son fils, l'Aiglon, est devenu l'Empereur des français et c'est lui qui est responsable de la défaite de Sedan. Mais surtout, leur monde est doté de tout un panel technologique très en avance sur son temps...


Les carnets de Favard, donc, sont ici publiés pour les lecteurs contemporains, agrémentés de photos reconstituant plusieurs scènes ou présentant certains des personnages évoqués. Et c'est un choix que j'ai trouvé personnellement très malin, et exploité de façon cohérente.


L'avantage du carnet de voyage, c'est qu'il permet à son narrateur ne se poser en plus qu'un simple observateur. Et étant donné que l'action se passe à un moment très mouvementé de l'histoire, il est très intéressant d'avoir les pensées de Favard, de pouvoir lire l'impact émotionnel qu'ont tous ces événements sur lui. C'est d'autant plus intéressant qu'il est un personnage qui est rapidement passionné par les idéologies progressistes portées par la Commune, ce qui permet donc de les aborder de temps à autre, par petites touches, sans pour autant casser le rythme de l'aventure.


Les 6 parties qui composent le carnet ont des ambiances bien à elles, qui permettent de constater à quel point l'univers du Steampunk est riche : un peu de folklore chez les bretons, un peu plus de réalisme historique à Paris, un retour au médiévisme pour Lille, du mysticisme à Lyon, de la science à Toulouse, de l'orientalisme à Marseille... il y a de quoi satisfaire à peu prêt toutes les sensibilités, tout en restant admirablement unifié. C'est d'ailleurs le principal point fort du livre, cette capacité à proposer vraiment de tout sans pour autant s'éparpiller – une chose qu'on ne retrouve pas forcément très souvent.


L'histoire en elle-même est un peu classique sur la forme, mais elle raconte des choses très intéressante sur le fond. J'ai déjà parlé de la Commune et des mouvements sociaux qui lui sont liés, mais il y a aussi des touches de réflexion très intéressantes sur la relation entre l'homme et la machine, ou sur ce qui fait qu'un homme peut être porté par un idéal « supérieur » à son propre instinct de survie. Ce n'est pas forcément explicité de façon directe, mais ça permet justement aux lecteurs qui désirent se focaliser sur ces points de le faire, et pour ceux qui préfèrent les péripéties et l'action de les occulter sans pour autant être dérangés.


Certains trouveront peut-être que le livre ne prend pas le temps de poser un univers très détaillé, et qu'il balaye assez rapidement la plupart des aspects technologiques qui sont évoqués (la Grande Machine, l'armement, les transports). Sur ce point là, c'est hélas une affaire de goûts mais j'avoue avoir beaucoup aimé ce choix et l'avoir trouvé logique étant donné que nous sommes censés lire des carnets, et donc connaître partiellement l'univers dans lequel Favard évolue. Les quelques descriptions sont suffisamment habiles pour ne pas nous donner l'impression de faire dans l'explication pure et dure, et plus que le panel technologique c'est bien l'atmosphère et les êtres humains qui nous sont présentés qui rendent l'ensemble « Steampunk ».


Je ne peux enfin pas terminer cette critique sans parler du second gros travail du livre, à savoir les photographies de Nicolas Meunier : elles sont tout simplement magnifiques. J'aime beaucoup le fait qu'elles mettent en scène non pas des acteurs, mais bien des membres de la communauté avec leurs propres costumes, armures et gadgets. C'est un très bel hommage à toutes ces personnes qui font vivre le mouvement au quotidien, et c'est une belle façon de découvrir leur propre travail. Les mises en scènes sont très travaillées et superbes (j'ai ainsi appris qu'une des photographies mettant en scène Louise Michel était basée sur une image d'époque). Tout comme l'histoire, elles sont très diversifiées, alternant portraits, scènes de groupes, photos en intérieur, en extérieur, très saturées ou au contraire en sépia. J'apprécie aussi beaucoup les contrastes qu'on peut avoir à certains moments, et qui mettent très en valeur certains matériaux.


Bref vous l'aurez compris, j'ai vraiment beaucoup aimé le résultat de ce pari très ambitieux. L’œuvre de fiction qu'est la France Steampunk se révèle être une très bonne vulgarisation du mouvement et donc quelque chose de facile à lire pour un débutant. Mais elle satisfera aussi les connaisseurs un peu plus exigeant grâce à sa richesse insoupçonnée : peu d'ouvrages peuvent se vanter de posséder une telle double casquette.

Sigynn
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le 12 sept. 2015

Critique lue 909 fois

Sigynn

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