Premier volet du cycle d'Ender, qui comprend à ce jour cinq romans et deux nouvelles, La Stratégie Ender nous présente un protagoniste principal pour le moins inhabituel en la personne d'Andrew Wiggin, appelé à écoper du surnom d'Ender – c'est-à-dire « le Terminateur » en anglais : celui par lequel la guerre contre les Doryphores doit enfin trouver sa conclusion définitive. Un protagoniste inhabituel car, comme le précise justement le résumé de la fiche, Ender n'a que six ans : on a vu des sauveurs du monde plus conventionnels que ça. Ajouté à ceci qu'Ender est un surdoué et le tableau est presque complet.


Car ce qui pèse le plus sur Ender au début de ce récit ne concerne pas vraiment son âge ni même la mission pour laquelle on le forme. Non, son principal problème c'est qu'il est un « Troisième » : cadet d'une fratrie de trois dans un monde où le nombre maximum d'enfants par couple se borne à deux en raison d'une loi de restriction des naissances. En fait, Ender est surtout un enfant non désiré, à la fois par ses parents, qui ne l'ont conçu qu'à la demande de l'état, mais aussi par la société dans son ensemble qui voit d'un mauvais œil l'autorisation exceptionnelle qu'ont reçu ses géniteurs pour sa conception hors norme...


Or, l'académie militaire qu'il intègre n'est jamais qu'une reproduction à échelle réduite de cette société qui ne veut pas vraiment de lui, ce que ses camarades de promotion se chargent de lui rappeler à la moindre occasion – et comme les soldats en formation ne brillent pas vraiment par leur sens de la diplomatie... Ender doit donc vite apprendre à se défendre, contre les menaces immédiates et identifiables au premier coup d'œil que sont les autres élèves, comme celles que trament dans l'ombre des gens vraiment puissants pour faire de lui ce stratège suprême seul capable de sauver la race humaine de la menace des Doryphores.


Autant d'adversité suffirait bien sûr à rendre fou n'importe qui mais Ender parvient malgré tout à tenir le coup. Ou du moins, à tenir à peu près le coup. Car Orson Scott Card nous dresse surtout ici le portrait d'un enfant peu à peu transformé en monstre par une éducation inhumaine : le thème central du récit se trouve dans cette perversion de l'innocence pour la survie d'un plus grand nombre terrorisé par un ennemi implacable au point de régresser jusqu'au stade de la fourmilière où l'individu ne compte plus – bien plus que dans les passages d'entraînement militaire aux fausses allures de Starship Troopers (R. Heinlein ; 1959)...


En filigrane de l'enfance sacrifiée sur l'autel de la guerre, on trouve aussi une des premières évocations des jeux vidéo dans une œuvre de science-fiction littéraire, c'est-à-dire une représentation avant la lettre de cette dualité entre réel et virtuel qui préoccupe bien des gens de nos jours – et surtout chez les commandants d'unités de drones de combat qui voient de plus en plus de soldats pilotant ces appareils ne plus faire la différence entre la guerre et une forme pour le moins pernicieuse de jeu électronique – je grossis à peine le trait... Le roman saura d'ailleurs en tirer un avantage inattendu, mais hélas seulement en clin d'œil.


En s'adressant à l'enfant qui habite chacun de nous, Orson Scott Card réalise ici un véritable coup de maître : à travers cette description de l'avilissement progressif d'une innocence, il nous rappelle surtout combien notre humanité reste fragile...


Récompenses :



  • Prix Hugo, catégorie roman, 1986

  • Prix Nebula, catégorie roman, 1985

  • Prix Science Fiction Chronicle, catégorie roman, 1986

LeDinoBleu
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Science-fiction

Créée

le 16 juin 2011

Critique lue 6.2K fois

33 j'aime

6 commentaires

LeDinoBleu

Écrit par

Critique lue 6.2K fois

33
6

D'autres avis sur La Stratégie Ender - Le Cycle d'Ender, tome 1

Du même critique

Serial Experiments Lain
LeDinoBleu
8

Paranoïa

Lain est une jeune fille renfermée et timide, avec pas mal de difficultés à se faire des amis. Il faut dire que sa famille « inhabituelle » ne lui facilite pas les choses. De plus, Lain ne comprend...

le 5 mars 2011

45 j'aime

L'Histoire sans fin
LeDinoBleu
8

Un Récit éternel

À une époque où le genre de l’heroic fantasy connaît une popularité sans précédent, il ne paraît pas incongru de rappeler qu’il n’entretient avec les légendes traditionnelles qu’un rapport en fin de...

le 17 août 2012

40 j'aime

Capitaine Sky et le Monde de demain
LeDinoBleu
8

Pulp (Science) Fiction

La science-fiction au cinéma obtient rarement l’assentiment des amateurs du genre dans sa forme littéraire, parce que cette dernière privilégie les idées et les émotions au spectaculaire et aux...

le 31 juil. 2011

33 j'aime

8