Théorie de la tartine de culture : moins on en a, plus on l’étale

Titiou Lecoq écrit pour Slate, le journal que j’aime à détester. Et ce livre fait un peu cet effet là : sympa, bourré de bonnes intentions, assez prenant. Mais l'ensemble m'est détestable. Je vais donc m’attarder sur ce qui ne va pas selon moi :



  • Un style pauvre


J’ai lu des critiques vantant le style enlevé et contemporain... c’est du foutage de gueule ? Le style est particulièrement plat. Les histoires sont prenantes, mais les formulations sont convenues. Et le vocabulaire est très pauvre. On espère toujours que ça va décoller, qu’on va rentrer dans un roman, mais on reste au niveau du billet de blog narratif paresseux (et j’ai conscience que ce que je dis là est hautain et met dos à dos littérature et rédaction web... pour mieux traduire, je dirais : c’est écrit comme un roman de Marc Lévy ou une conversation de bar du quartier latin, sans jamais s’élever au niveau des critiques de Torpenn, ou d'un autre blogueur/SensCritiqueur/vlogueur talentueux.).



  • Du Web pour les Nuls


J’ai une bonne culture web et veux le faire savoir au néophyte, paf ! je vais incruster des références et des morceaux de penseurs du web célèbres...
Avec un pic pour la déclaration d'indépendance du cyberspace qui arrive vraiment comme un cheveu sur la soupe. Sauf que les personnages principaux sont tous des digital natives spécialistes du sujet. Ça donne juste de longues tirades totalement incohérentes dans le récit.
Le Web pour les Nuls, c’est ptet bien pour le grand public, mais les lecteurs.trices de Titiou étant premièrement issus de son blog, ils.elles n’ont pas dû apprendre grand chose non plus. Autant se faire l'article de Paul Binocle sur la Web Attitude, qui avait su capter l'époque de manière humoristique sans prétention.



  • Du libéralisme sociétal à pas d'éléphant


Progressiste convaincue, je vais ajouter des éléments narratifs hors norme sociale et les indiquer mine de rien dans le récit. (l’enfant fait avec un ami gay, les plans culs à répétition : le libéralisme sociétal effréné dans la lignée de Slate). Et en tête, le personnage principal qui est clairement une vision idéalisée de l'auteure elle-même.
Le progressisme, c'est très bien, mais le traitement de la thématique est tellement grossier... quand on regarde un spectacle de marionnettes, on ne veut pas voir les ficelles.



  • Des règlements de comptes malvenus


Les critiques du web sont nuls, surtout les psys. Je vais t’inventer un personnage de psy médiatique hypocrite : cliché ambulant du psy nul et anti-internet
Sans parler de la mère qui est encore plus stéréotypée. Le but est ici de décrier les psys qui n'ont vu Internet que comme un danger (visiblement, Serge Tisseron n'a pas sa place dans la bibliothèque de Titiou)
Même critique que le point précédent. C'est fait si grossièrement que le personnage est même fan de BHL.. C'est dire !



  • Une thèse gâchée par des personnages mal brossés


Le web c’est pas que du virtuel. Ca permet des rencontres fantastiques entre des personnes qui n’ont rien en commun
C'est la thèse principale du livre, le scénario n'étant que prétexte à mettre en avant cet aspect génial Internet.
C'est jouissif d’avoir quelqu’un qui l'a compris et le raconte (quoique cette vision idéalisée d'un âge d'or d'Internet permettant ces rapprochements est discutable)... Mais c’est mal fait, ça ne prend jamais. Même s’ils ont des vies différentes, les personnages ont tous une culture et un langage très similaires. Je ne sais pas si c’est volontaire (la culture web les unit, youhou) ou si c’est juste que Titiou Lecoq est incapable de donner du relief à ses personnages pour les différencier. Mais clairement, ils parlent tous de même manière et sont quasi-interchangeables sur ce point. L'inverse du propos du livre.



  • L'exécrable parisianisme ambiant



Avant il y avait la solution de l'épicier rebeu mais il avait fermé six mois plus tôt au profit d'un bar à sushis



Je passe sur les plaintes sur les prix des loyers ou sur ces « fauchés » qui se tapent plein de restos ou verres en terrasse. Que de considérations de la petite bourgeoisie parisienne (peu importe les galères de thunes plus ou moins crédibles, le mode de vie est bien là) qui ressortent malgré elle car ça semble être tout ce que l'auteur connait.
Et ce point décrédibilise totalement les thèses politiques du livre, qui étaient pourtant intéressantes. Le monde extérieur occulté au profit des petites considérations parisiennes, cette vision d'un internet ouvert et le progressisme prôné semblent encore plus déconnectés des réalités
C'est très frustrant car je suis d'accord avec quasiment tout sur le fond, et sur la forme j'ai envie de lui faire bouffer son papier.



  • Des étalages de culture gratuits


Je me suis bien documentée sur l'état de la technologie et la culture web en 2006 : paf, je vais caser tout ce que je sais même quand ça sert absolument à rien dans l'intrigue :



Evidemment, s'il avait trouvé la carte bleue de sa mère, il n'aurait pas hésité à se payer le MacBook qu'Apple venait de commercialiser



Et j'ai choisi ce défaut pour conclure car... plus encore que les précédents, j’ai exactement le même. Le ton universitaire qui ne sait pas s’empêcher de tout caser, même dans une fiction. Suffit de voir cette critique trop longue et scolaire en liste de points... et c’est d’ailleurs la conclusion de celle-ci : ce livre m’a beaucoup agacé parce que j’y ai trouvé les défauts de notre génération de digital natives. (et il faudrait pendre l’inventeur de cette expression et de l'abruti qui a eu l'idée de l'utiliser en français) et les miens en particulier.

BarbeDePlexiglas
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le 13 févr. 2018

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