"La chanson des gueux", livre magnifique du Nobel égyptien Naguib Mahfouz, est une sorte de conte à étages, la chronique d'un homme et de sa descendance.

A l'origine était Ashur, enfant trouvé dans un recoin d'un quartier populaire et qui à cause d'une épidémie, fuira un jour sa demeure avec femme, enfant et âne. Après la longue épreuve -initiatique ?- du désert, de retour dans la ville, il deviendra an-Nagi (le Victorieux), chef de clan protecteur des plus misérables. Adulé et glorieux, il disparaîtra une nuit après sa quotidienne promenade dans la tekkiya où vivent les derviches, sans qu'on sache jamais ce qu'il est devenu.

Ainsi naquit sa légende, dont sa descendance reçut à la fois les bienfaits et le poids. De génération en génération, de coups du sort en paresse et lâcheté, la puissance et les vertus d'Ashur se diluèrent jusqu'au jour où un dernier descendant releva le nom et le souvenir.

Le récit de Naguib Mahfiouz, construit en courtes séquences, est intemporel: les indices sont rares pour décider si la chronique court dans les dernières décennies ou dans des temps très reculés. L'important est ailleurs, dans le combat des êtres contre la nuit qui les menace et les attire à la fois, contre cet "inconnu" caché au fond de leurs vies et de leurs âmes. Les descendants d'Ashur, comme Ashur avant eux, marchent contre le vent. Poussés par leur ambition de gloire, de force généreuse et de pureté et freinés par la tempête de leurs passions.

"La Chanson des gueux", pleine des odeurs de ruelles et de boutiques orientales, raconte des hommes et des femmes en quête d'un morceau d'éternité. Beaucoup disparaissent, comme Ashur, dans un grand mystère. Ce conte des mille et un jours d'une lignée est quelque chose comme légendaire. Ce qui nous dépasse est à l'intérieur de nous et c'est à la frontière du réel et de l'improbable que se jouent souvent nos destinées.
coupigny
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le 24 janv. 2015

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