Constat d'échec et communautarisme. Décevant.

Attention, ce n'est absolument pas un travail sociologique ayant une quelconque valeur scientifique. C'est un reportage écrit dans un beau style, avec un narratif qui se déroule sur l'évolution de la banlieue de Trappes, des années 1970 à nos jours.


Je vais faire précision, avant de commencer. J'ai enseigné en collège en Essonne, dans une banlieue qui n'était pas la pire, mais qui n'était pas la meilleure. Avec des affaires de drogue, de violence. Un gamin qui s'était retrouvé à Fleury après avoir passé son brevet, un autre mort à cause d'un cachet frelaté qu'on lui avait refilé. Et j'ai vécu la minute de silence pour Charlie. C'était des années exigeantes, mais formidablement enrichissantes au niveau humain. J'avais un public pas acquis à conquérir, des ponts à créer. Ce fut probablement le moment de ma vie où j'ai été le plus utile à la société. Ceux qui ont vécu toute leur vie en province ne comprendront jamais vraiment le charme particulier que peut avoir la banlieue parisienne.


Et le livre d'Ariane Chemin et Raphaëlle Bacqué, j'espérais qu'il propose une vision différente, vue de l'intérieur, de ces banlieues. Or ce n'est pas le cas. Ce que je retrouve dans ce livre, en-dehors des chapitres du début sur la genèse de cette banlieue ouvrière dont le PCF voulait faire un modèle, c'est une compilation de ce que la presse dit sur les banlieues depuis des années. C'est bien écrit, c'est prenant, mais il faudrait sortir de cette image de banlieues abandonnées à la radicalisation, et malheureusement, plus on avance dans ce livre, plus l'image habituelle, anxiogène, se referme sur le lecteur.


J'avais hésité entre acheter ce livre et celui-ci, qui est un coup de gueule contre cette image négative des banlieues. J'aurais peut-être dû miser sur Territoires vivants de la république. En fait, je pense que l'idée a dû germer chez Bacqué et Chemin en croisant souvent le nom de Trappes dans l'actualité politique. Du coup elles ont décidé de faire une sorte d'étude dessus. Mais le résultat final donne l'impression d'une compilation d'articles ayant touché Trappes, avec des portraits locaux pour mettre un peu de liant.


Au vu du titre, j'espérais une monographie qui donnerait beaucoup la parole aux habitants. Mais le point de vue est biaisé. Pourquoi ? La réponse saute aux yeux dès les premiers chapitres.


Le livre est écrit sous forme de courts chapitres de 10-15 pages (le format addictif par excellence), avec souvent la même structure : on commence in medias res, sur un événement marquant, histoire d'accrocher, puis on rappelle le contexte avant d'amener au dénouement, si possible avec un élément qui lie vers le chapitre suivant. Technique de feuilleton journalistique bien (trop ?) rodée.


Et par quoi commence-t-on ? Par le récit d'un gamin dont la main a été gravement blessée parce qu'il essayait de traverser la voie du RER avec un copain qui y a laissé la vie.


Un certain Jamel.


Oui, Debbouze.


Est-ce pour accrocher le lecteur ? On va donc voir la naissance des squares de Trappes, ces barres d'immeubles centrées sur un carré de verdure, à travers l'évolution de la famille Debbouze, des bidonvilles des années 1960 aux immeubles multiculturels des années 1970, avant la descente aux enfers et les réhabilitations des années 1990. Puis après les Debbouze, on va suivre les itinéraires de trois autres enfants célèbres de la cité : Omar Sy, Anelka, La Fouine.


Alors bien sûr, il y aura aussi des portraits de locaux, mais ce sont des notables : l'ancien maire communiste, l'assistante sociale qui est devenue une institution, l'animateur qui révèle le talent de Jamel pour l'improvisation, la proviseure du collège Gagarine, les tablighis, à ne pas confondre avec les salafistes, le libraire islamique.


Mais au fond, mis à part dans les premiers chapitres sur l'ancienne Trappes et dans le chapitre sur l'école (un peu rapide à mon goût), on n'entre jamais vraiment dans cette communauté. Et le livre se perd dans des fausses pistes, comme le désamour entre Jamel et sa banlieue, qui lui reproche de gagner du fric sur les stéréotypes de la téci.


Et surtout, à partir des années 1990-2000, le livre décrit l'évolution récente de Trappes comme le fait la presse : décompte de voitures brûlées et des morts lors des émeutes de 2005, critique voilée de la stratégie de Benoît Hamon aux législatives, favorable aux musulmans, reconstitution dramatisée du fait divers de ces 4 jeunes Trappistes chopés en Turquie alors qu'ils partaient faire le jihad. Retour sur Charlie, sur la minute de silence mal respectée après le Bataclan, sur les délires sur Bilal Hamon et les cafés réservés aux hommes.


En pointillé, plus on se rapproche de notre époque, plus on ne voit qu'un aspect : le danger du repli communautaire. Comme si cette banlieue, dont la diversité a fourni un nombre de talents exceptionnels, avait cessé d'être un lieu de brassage et de vitalité.


Alors que je suis persuadé que ce constat d'échec, sur lequel le livre se ferme, est profondément faux. Que les gens de Trappes ne vivent pas dans une ambiance de totalitarisme salafiste. Qu'ils ont des moments de joie qu'on ne peut trouver ailleurs. Mais pour les voir, il aurait fallu aller au-delà des entretiens individuels avec des notables ou des anciens devenus people. Il aurait fallu sonder... la communauté.


Pour résumer, je suis déçu car j'attendais trop de ce livre. J'espérais trouver une analyse sociologique profonde, éclairante pour ceux qui ne connaissent pas la banlieue parisienne, de ce que c'est que d'y vivre, et de la manière dont elle se transforme. J'ai trouvé un narratif qui suit celui de la presse depuis une vingtaine d'années. Ho, avec de-çà de-là un portraît qui fait mouche, mais presque un peu trop.


Il faudrait que cette mode du story-telling venue des Etats-Unis passe et que l'on retrouve le goût de l'analyse des ressorts et des causes, comme le faisait Montesquieu. Cela donnerait des livres peut-être moins prenants, plus exigeants, mais moins interchangeables.

zardoz6704
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le 3 janv. 2019

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La communauté
michel13012
8

savoir tout sur la naissance d'une communauté

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