Enfin un livre qui nous épargne la psychologie de comptoir sur le régime de Pyongyang! Comme tout bon essai, celui-ci nuance la réalité, en partant de l’interrogation de la Boétie : expliquer comment un peuple peut se laisser asservir et même chérir la main qui le frappe. La réponse apportée par l'auteur en passera par l'histoire de la Corée, ses mythes (mont Paektu, Tangun...), sa philosophie (Confucius, bouddhisme...) et surtout ses drames (occupation japonaise et position stratégique aux portes de l'ex-URSS) pour montrer comment le pays a servi de terreau fertile aux dictatures. Ce passage par l'histoire mythologique et réelle du pays permettra également de montrer comment le régime joue subtilement de ses références culturelles pour se maintenir au pouvoir, ainsi que de développer une thèse qui, de prime abord, aurait de quoi surprendre : Kim Il-Sung a instauré une monarchie absolue de droit divin.


L'ouvrage, s'il ne nie pas les origines staliniennes de la dictature de Pyongyang, rejette en bloc les interprétations classiques qui font du régime un avatar du communisme. Un exemple particulièrement visible en est le Juché, la philosophie de Kim Il-Sung, qui a comme particularité de ne jamais être clairement définie. Son but est ailleurs : en faisant des Kim les seuls interprètes fiables de cette doctrine, elle leur donne une légitimité qui ne saurait être remise en cause. Et en prônant une indépendance de la république populaire démocratique de Corée, le régime fait discrètement oublier que l’isolationnisme du pays fut une conséquence de sa mise à l'écart par l'ex-URSS, non un choix délibéré. On comprend donc que le communisme ne sert que de verni, comme à peu près tout ce que la propagande produit de culture, pour permettre aux Kim de se maintenir au pouvoir. Car comme le dit l'auteur, ils n'ont le pouvoir que parce qu'ils l'ont, n'ayant pour eux ni le talent, ni le bilan, ni la légitimité d'un vote ou d'un titre. Il faut bien, alors, trouver des moyens de donner le change.


L'essai regorge de grilles d'analyse de ce genre. Néanmoins faut-il nuancer son propos, surtout dans les premiers chapitres. Il est assez douteux de dire qu'un pays est "fait", culturellement parlant, pour engendrer des dictatures. L'auteur ne dit pas explicitement cela, mais en sous-entendant que la culture coréenne a une part de responsabilité dans ce qui se passe, on en oublierait presque que les coréens n'ont eu le choix a aucun moment. L'essai est par ailleurs intégralement concentré sur les Kim, et l'on referme la dernière page avec une certaine difficulté à ne pas être obsédé, à notre tour, par l'image de la dynastie rouge. En fin de compte, l'ouvrage nous fait assimiler ce que la propagande dit : les Kim sont la Corée du Nord. Il aurait été intéressant de montrer d'autres points de vue, qui ne se centreraient pas sur le pouvoir, de s'attarder un peu sur les tyrans, innombrables et plus petits, qui contribuent à maintenir tout cela en place.


Une dernière critique en guise de conclusion serait le profond pessimisme de cet ouvrage. On comprend que les Kim joueront perpétuellement l'alternance entre une promesse de réunification et la menace d'une guerre nucléaire, sans jamais adopter l'une ou l'autre, les deux menaçant de déchoir la dynastie. Il sous-entend également que le petit dernier des tyrans est de la même trempe que son père, et qu'il ne compte certainement pas lâcher le pouvoir. Certes, il s'agit là de la réalité, mais le régime est-il pour autant immortel? Toutefois, outre ces quelques remarques, le livre est excellent et les clefs de compréhension qu'il donne sont trop nombreuses pour que je ne vous le conseille pas. Allez-y, c'est d'la bonne!

Pulsar
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le 29 mai 2017

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