La saveur douce-amère d’une marmelade à l’orange
Attention : titre trompeur ; les nouvelles rassemblées dans « La fée Amphète » ne traitent pas de trips babacoulesques stroboscopiques ni de descente aux enfers post-rave party. Peut-être sont-elles écrites sous l’effet d’un champignon hallucinogène, mais elles me semblent trop empreintes de lucidité pour cela. En revanche, s’il était encore besoin de prouver qu’humour et désespoir peuvent former un heureux ménage, la fée en question se pencherait assurément sur le berceau du petit.
Car l’humour est bien là, féroce, noir, délectable. Le désespoir aussi, plus subtil, sachant s’éclipser quand il le faut pour laisser la place à un coin de ciel bleu.
Arnaud Modat a la plume facile et l’utilise admirablement pour cornaquer notre ressenti au fil de ces tranches de vie un peu cabossées qu’un « je » complice nous assène. Nous vivons de l’intérieur ces chroniques de l’amour, de la mort, du rapport au père, du désamour. A l’exception notable de la « fée Amphète », où une gamine de huit ans, confondante d’innocence et de gravité, nous balade dans ses rêves de délicatesse. Les autres mettent en scène un homme, parfois un ado boutonneux, en proie à des doutes aussi existentiels qu’universels. Où et avec qui va se dérouler sa vie ? Comment respecter les dernières volontés d’un père qui n’en a jamais exprimées ? Psalmodier la Javanaise en s’accompagnant à la guitare suffit-il pour emballer ? Peut-on communiquer avec son père par télécommande interposée ? Ou vaut-il mieux se défier en combat singulier, façon western ? Voilà quelques-unes des questions abordées. A ces thématiques de fond viennent se superposer des pointes variées qui donnent du relief au paysage : un cynisme à rire ocre dans « A l’école des cornacs indiens », une mélancolie sage dans « Le syndrome du vélo d’appartement », une révolte salutaire dans « Au pied des grands volcans (éteints) », une tendresse inattendue dans « Western domestique ». On rigole aussi franchement, parfois, comme dans « Sa Majesté fulgurante » où se déroule une conversation hallucinée entre les pièces d’un jeu d’échec, ou dans « La tentation du cyclope » dont j’ai envie de vous laisser découvrir le véritable objet. Tandis que la conclusion de « Putain de cirque » vous fera peut-être verser une larme.
Un seul regret au terme de cette lecture achevée en une soirée : que la première nouvelle n’ait pas été la dernière. Parce que j’aurais préféré finir sur une note de légèreté. Qu’après toutes ces épreuves, on ait gagné le droit de dire : « Je suis prêt. »
« La fée Amphète » a la saveur douce-amère d’une marmelade à l’orange. J’espère avoir réussi à vous donner envie d’y goûter.