Le réel est une pelote aux fils éminemment emmêlés, et les historiens le savent bien. Les romanciers aussi. Enzensberger, en décidant de retracer la brève vie de Durruti, le héros de l'Espagne anarchiste de 36 ne tente pas de dévider une longue ficelle tranquille, il tire dans tous les sens et joue la carte de la mosaïque, forme sûrement la plus honnête pour raconter un Homme.


Son "roman" se compose essentiellement de courts témoignages, émanant des diverses personnalités qui vécurent la Guerre d'Espagne. Le récit avance, sans temps mort, les versions se complètent, se superposent, se contredisent parfois, et l'on a l'impression d'être un enquêteur lâché au sein de la tourmente, essayant de comprendre ce qui fait le succès puis l'échec inévitable d'un rêve commun.


Avec un sens très sur du collage et de la synthèse, Enzensberger, qui intercale entre les témoignages quelques réflexions plus générales, réfléchit à l'étrange sort de la révolution anarchiste au sein de la lutte qui opposa Républicains et Fascistes quelques années avant la Guerre Mondiale. Car derrière la figure mythique de Durruti se dessine en ombre chinoise la tragédie d'une utopie broyée par le pragmatisme, la trahison, la lâcheté, la soif de pouvoir, le cynisme de tous ceux qui ne voulaient pas que les choses changent, ou au moins ne changent pas comme ça. Un goût amer reste en bouche, à suivre le destin de cette révolution avortée, l'affreux soupçon que tout ça était peut-être trop beau pour devenir vrai.

Chaiev
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le 31 août 2012

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le 31 août 2012

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