Un instant de doute ! Mais non, ce n'est pas un nouveau roman inconnu de Jane Austen. Suivant l'édition française, on trouve deux titres "le cœur et la raison" et "Raison et sentiment" pour le même roman "Sense and Sensibility". C'est Supérieurement intelligent !

Bref, l'édition que j'ai, c'est celle publiée en folio et dont le traducteur est un certain Pierre Goubert, responsable du titre "le cœur et la raison". C'est probable qu'il a dû inverser les deux termes car "la raison et le cœur" ne sonnait pas très bien. De ce fait, il trahit un peu l'idée de Austen

Pour Sens Critique, il y a donc deux rubriques pour un même roman, ce qui est normal et en même temps, c'est très nul.

Et si je parlais un peu du roman …

"Sense and Sensibility" est centré sur deux sœurs Ellinor et Marianne Dashwood qui n'abordent pas "l'amour" de la même façon. L'ainée, Ellinor, préfère se laisser guider par la raison tandis que Marianne, ne conçoit pas l'amour si ce n'est pas le cœur qui dirige le mouvement.

Ce n'est que la deuxième fois que je relis ce roman mais je me demande dans quelle mesure Jane Austen considère que Ellinor et Marianne ne sont que le reflet d'une même personne qui recherche quel est le meilleur équilibre entre la passion et la raison.

Il ne faut surtout pas oublier le contexte anglais de l'époque de Jane Austen qui fait qu'on ne peut pas lire le livre avec nos yeux du XX ou XXIème siècle.

La lecture des romans d'Austen montre que le droit civil est fortement orienté en faveur des hommes. Par exemple, le décès d'un chef de famille qui ne comporte que des héritières conduit à la recherche de l'héritier qui peut n'être qu'un vague cousin qui, si l'envie ou le besoin lui prend, peut exproprier la famille entrainant une double peine. C'est le cas au début du roman où l'héritier est John Dashwood, demi-frère d'Ellinor et Marianne, qui sous l'influence de sa femme Fanny, va pousser dehors sa belle-mère et ses demi-sœurs.

S'il est clair que la société est "masculine", il n'empêche quand même que les femmes, veuves ou pas, peuvent aussi jouer avec ces règles pour favoriser telle union pour des raisons exclusivement financières ou pour leurs propres intérêts. Tout ça pour dire que ce sont des éléments à toujours conserver à l'esprit quand on lit Austen car une décision "coup de cœur" sur le court terme peut parfaitement s'avérer catastrophique sur le long terme.

On observe à travers les personnages d'Ellinor et de Marianne, une subtile évolution. Ellinor éprouve une attirance pour Edward qu'elle tait et ne fait pas apparaître. Ce qui induit toute une série de quiproquos lorsque ses relations imaginent toutes sortes de combinaisons. Sa stratégie n'est pas sans risque car le silence peut lui faire perdre son objectif. Il arrive justement un moment où le cœur doit s'exprimer car ne peut plus cacher les sentiments enfouis. Quant à Marianne qui s'est enflammée pour un jeune homme beau et séduisant mais un tantinet volage (Willoughby), elle se rend compte un peu tard que la passion n'est pas si réciproque. Il y a un passage intéressant où Ellinor observe sa sœur lors des premiers contacts avec le jeune homme. Elle pense qu'elle s'y prend mal ou inprudemment car seul le cœur de Marianne parle et fait les questions et les réponses qu'acquiesce (informellement) le jeune homme. Après la rupture avec Willoughby, Marianne va peu à peu évoluer vers la stratégie d'Ellinor en mettant plus de raison même si au final elle finit par épouser un garçon plus âgé, pour qui elle n'éprouve pas une passion torride.

En définitive, le point de vue d'Austen n'est-il pas qu'il vaut mieux qu'un bonheur se construise sur la durée plutôt que sur une passion qui peut s'éteindre au bout de quelque temps ? Et ça, c'est un raisonnement qui reste valable même aujourd'hui.

Comme toujours Jane Austen ausculte la société anglaise de son époque en y portant un regard acéré qu'on apprécie notamment dans les dialogues faussement polis et pleins de sous-entendus d'Ellinor.

Roman très intéressant qui reste pour moi, légèrement en retrait "d'Orgueil et Préjugés". Ne serait-ce qu'à cause du twist final concernant Edward qui m'a toujours paru un peu tiré par les cheveux.

JeanG55
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Romans britanniques du XVIII au XXI ème

Créée

le 22 sept. 2022

Critique lue 21 fois

3 j'aime

JeanG55

Écrit par

Critique lue 21 fois

3

Du même critique

La Mort aux trousses
JeanG55
9

La mort aux trousses

"La Mort aux trousses", c'est le film mythique, aux nombreuses scènes cultissimes. C'est le film qu'on voit à 14 ou 15 ans au cinéma ou à la télé et dont on sort très impressionné : vingt ou quarante...

le 3 nov. 2021

23 j'aime

19

L'Aventure de Mme Muir
JeanG55
10

The Ghost and Mrs Muir

Au départ de cette aventure, il y a un roman écrit par la romancière R.A. Dick en 1945 "le Fantôme et Mrs Muir". Peu après, Mankiewicz s'empare du sujet pour en faire un film. Le film reste très...

le 23 avr. 2022

22 j'aime

9

125, rue Montmartre
JeanG55
8

Quel cirque !

1959 c'est l'année de "125 rue Montmartre" de Grangier mais aussi des "400 coups" du sieur Truffaut qui dégoisait tant et plus sur le cinéma à la Grangier dans les "Cahiers". En attendant, quelques...

le 13 nov. 2021

21 j'aime

5