Le Duel
6.7
Le Duel

livre de Arnaldur Indridason (2011)

Le titre de champion du monde d’échecs est-il si prestigieux que cela ? A l’époque (Islande, été 1972), les Russes y tenaient et Spassky (le tsar) était l’héritier d’une vieille tradition. L’Américain Fischer se montrant particulièrement prometteur, la presse occidentale avait fait de l’affrontement des deux grands maîtres (Laugardalshöll, palais des sports de Reykjavik), un symbole de la guerre froide qui battait son plein. Symbole illustré par les caractères franchement opposés des deux champions. Spassky était d’un calme olympien alors que Fischer était apparemment un jeune capricieux qui faisait tourner les organisateurs en bourrique, avec des exigences de star, simplement pour faire le déplacement. Pour les observateurs occidentaux, cela laissait l’impression particulière que le « gentil » était du mauvais côté !


L’action du roman commence dans une petite salle d’un cinéma de Reykjavik, le Hafnarbio qui projette un western L’homme sauvage (The Stalking Moon) avec Gregory Peck. On remarque qu’il s’agit d’un film américain (la bande-annonce de Little big man est attendue par certains) et que le lieu n’est certainement pas choisi au hasard par Indridasson, puisqu’il a exercé la fonction de critique de cinéma. A la fin de la séance, un jeune homme est retrouvé mort, assassiné d’un coup de couteau en plein cœur. Il semble qu’il n’ait même pas eu le temps de réaliser ce qui lui arrivait. Une fois identifié, on réalise que Ragnar, ce jeune Islandais un peu simple d’esprit (suite à un accident domestique) a probablement eu la malchance de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. C’était un inoffensif cinéphile (attention, je ne dis surtout pas que les cinéphiles sont des simples d’esprit) qui s’amusait à enregistrer des dialogues, sur son magnétophone à cassettes discrètement posé sur ses genoux. Discrètement parce qu’il savait qu’il n’avait pas le droit de faire ces enregistrements. Mais il ne faisait de mal à personne. C’était juste un fou de cinéma comme d’autres sont fous de voitures ou des femmes.


Justement, dans la salle, une seule femme ! Pour un western me direz-vous. De plus, il semble que la femme n’était pas là spécialement pour le film, mais pour retrouver l’homme à côté de qui elle était assise. La difficulté est de retrouver tout ce monde. Heureusement, nous sommes en Islande, pays peu peuplé où beaucoup se connaissent, au moins de vue. L’enquête s’oriente donc vers les spectateurs de la séance, pour obtenir des informations sur ce qu’ils ont vu ou entendu. Certains se manifestent, d’autres sont retrouvés. Les informations glanées sont relativement maigres.


Dans le même temps, l’enquêtrice (Marion Briem, épaulée par un certain Albert qui n’appréciera pas qu’elle fasse un peu de rétention d’informations, alors qu’elle affirme lui faire entièrement confiance) est préoccupée par sa vie personnelle. Elle est obsédée par des vieux souvenirs de son enfance, quand elle allait à la pêche avec Athanasius et quand elle a été hébergée dans un sanatorium pour soigner sa tuberculose. Elle retrouve une vieille amie et elle discute avec un collègue qui lui apporte une information étonnante, à caractère politique.


Voilà qui donne une nouvelle orientation à l’enquête. La déclaration d’un témoin capital fait comprendre au lecteur que les choses sont bien plus complexes qu’une enquête pour meurtre en Islande. Il dit quelque chose comme « Vous avez compris de travers ». Enfin, il insiste pour que Marion attende quelques heures avant de tenter de boucler son enquête. On se doute que des vies sont en jeu, mais il faudra attendre la fin pour réaliser de qui il s’agit.


Ce roman d’Indridason n’est sans doute pas son meilleur, mais il est néanmoins de qualité, même si j’ai quelques doutes sur la traduction, car j’ai noté quelques tournures de phrases peu heureuses, des fautes de frappe et des mots manquants (édition brochée). Il comporte 48 chapitres pour un total de 309 pages, Indridason connaissant désormais parfaitement les ficelles du métier d’écrivain. De son intrigue complexe, il livre certaines clés avec parcimonie, se réservant le privilège des révélations déterminantes au gré des événements. C’est parfaitement logique que l’enquête soit d’abord celle concernant un meurtre local. Le duel Spassky-Fischer sert de toile de fond, mais on ne voit pas le rapport avec le meurtre. Le lien, indirect, n’apparaît que dans la deuxième partie. On réalise alors combien l’intrigue imaginée par Indridason est machiavélique. Il y est question de guerre froide, d’espionnage, d’amitié, d’amour, de trahisons et d’innocence piétinée. Le goût d’Indridason pour les liens entre le présent et un passé vieux de plusieurs décennies apparaît moins que dans d’autres de ses romans. Il est néanmoins question en 2011 (publication du roman) d’une histoire datant de 1972.

Electron
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le 26 févr. 2015

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