Trois lettres qui lui collent à la peau : P-O-P. Le génial argentin Rodrigo Fresán serait, bon vieux raccourci, « l'écrivain pop de sa génération ». Because écriture colorée, multiples références aux comic books et à la S-F, et une conception horizontale de la culture héritée des post-modernes (il n'y a pas de classification entre les genres, Proust = Philip K. Dick = Chandler). Pop quoi. Mais au temps du name-dropping comme ornement, l'adjectif pourrait sembler ambigu. « Franchement, balaye notre ami barbu d'un revers de main, Jane Austen avec ses scènes de bal, c'était déjà sacrément pop ». Le problème est ailleurs.

Le fond du ciel, son dernier roman, mérite plus que trois lettres pour le résumer. Le temps, l'espace, le récit y sont dynamités à sa manière habituelle et unique. Fresán convoque Kubrick, Rothko ou Vonnegut, condense la littérature pour lui rendre hommage et l'élève vers quelque chose d'encore inconnu. Le fond du ciel transcende absolument l'étiquette S-F (Fresán l'appelle son « roman-futuristique ») : tantôt politique, tantôt à la limite de l'essai, souvent totalement planant et prenant sans cesse le contre pied des codes du genre, il raconte finalement l'histoire d'amour impossible entre une femme peu ordinaire et trois geeks membres d'un club d'écriture.

Voilà peut-être la vraie ambition de Fresán : partir de la Pop, oui, mais pour créer son propre univers, vierge et totalement foutraque. Pour aller au-delà. Sur cette planète Greenarya (green area) peut-être, où les soldats ressemblent étrangement aux américains perdus dans Bagdad. Dans ce monde où deux tours s'écroulent pour sonner la fin des temps. Où le futur et le passé se confondent. A New York où Isaac et Ezra sont persuadés que leur prof de lycée est un alien. Où tous les monstres, les planètes et les histoires ne parlent jamais que de notre présent.

Car la science-fiction, vous l'aurez compris, n'est qu'un prétexte à écrire encore et toujours son amour pour la littérature. Quand on lui demande, un brin provoc, ce qu'il répondrait à ceux qui considèrent la S-F comme « la banlieue de la culture », il montre presque les dents : « je suis vraiment désolé pour vous les gars. Plus sérieusement, poursuit-il, la littérature ne se limite pas à un genre. Même Henry James a écrit une histoire de fantôme complètement dingue. Il faut arrêter d'imaginer qu'il y a d'un côté une culture aristocratique et de l'autre la culture mainstream ». Au moins, cette fois, c'est clair. Pop ou pas, Fresán dépasse les clivages et atteint avec l'ambitieux Le fond du ciel cette terra incognita qui n'a pas de nom.
bilouaustria
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le 27 nov. 2010

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