Guidance, coaching personnel, spiritisme, kabbale, chamanisme... Les nouveaux gourous ont le vent en poupe. Récemment, le gouvernement a annoncé des mesures contre le retour en force de la superstition à l'école, et entend réguler ce marché juteux. En luttant contre la désinformation et parfois les dérives sectaires, l'état espère rétablir l'esprit républicain. Car le sectarisme étant un "sécessionnisme" (Emmanuel Macron) il constitue une alternative au mode de gouvernance. Nous nous attacherons surtout à tenter de décrypter les bases théoriques de ces nouvelles formes de spiritualité à partir de cas observés et à partir d'une bibliographie restreinte.

Pour mon article, j'ai écouté pendant plusieurs années des podcasts et des vidéos sur la plateforme de streaming YouTube allant parfois jusqu'à fréquenter des personnes appartenant à cette mouvance polymorphe. Je ne citerai personne afin de préserver leur relatif anonymat et afin de ne pas faire de publicité à ce qui s'apparente parfois, mais pas toujours, à des sectes telles que les définit le Code Pénal.

J'évoquai plus haut le caractère polymorphe de cette mouvance. En réalité, ses bases théoriques puisent dans un matériau complexe de références qu'on pourrait qualifier de syncrétisme religieux. Tout comme la Theosophie de Blavatsky ou l'Anthroposophie de Steiner en leur temps, le New Age des années 60-70 réalisa une synthèse, loin des canons proposés par les religions institutionnelles. La période de trouble dans laquelle nous situons la résurgence de formes de spiritualité alternative correspondrait à l'effondrement du catholicisme en France autour de 2013, du protestantisme aux Etats-Unis, potentialisée par l'explosion d'internet et des réseaux sociaux. La chute des religions institutionnelles aurait laissé penser que la population occidentale s'orienterait vers un matérialisme. Au contraire, avec l'effondrement des spiritualités traditionnelles de l'Occident chrétien*1, le phénomène de reconversion touche une infime minorité, avant tout les classes moyennes autochtones, c'est-à-dire l'homme-souterrain*2, celui-là même disposant d'une bonne culture générale inculquée par sa scolarité mais dont l'ascension sociale fut compromise par des facteurs qu'il serait trop longs d'expliquer dans le présent article. Héritiers du rationalisme critique de Descartes et de Fontenelle, les nouveaux gourous syncrétisent à tour de bras via des numéros de passe-passe, entre d'une part les spiritualités orientales (Hindouisme, Bouddhisme), d'autre part un romantisme qui ne dit pas son nom. Le lien entre ces deux chapelles pouvant être Savitri Devi, soit un exemple selon lequel l'Occident post-chretien accapare une pensée exogène, non-traditionnelle, autre résurgence de l'exotisme romantique. Il faut mâtiner ce constat de psychologie américaine (positivisme de Seligman) et le tableau est fin prêt pour l'analyse. J'appellerai neo-New Age cette période s'étalant des années 2010 au début des années 2020.

J'écrivais que les nouvelles spiritualités étaient tributaires de l'exploration de la conscience inaugurée par Descartes. En effet, celui-ci a déconstruit les certitudes rationnelles (en premier lieu le sujet rationnel pensant) d'un coup dont la conscience occidentale ne se redressera pas. Et même si c'était pour reconstruire ensuite la science, ses continuateurs ne croiront qu'à moitié à son sauvetage in extremis de Dieu. Le dernier acte de la liberté infinie, c'est l'œuvre de Jean-Paul Sartre qui remplira ce rôle. En deconstruisant la morale ordinaire et en fondant les nouvelles certitudes sur le bon sens, René Descartes se trouve face au paradoxe de rejeter le bon sens pour mieux le fonder. Il ouvre ainsi la voie aux Lumières, lesquelles formulent une critique de la superstition (jusque là liée au catholicisme) qui atteindra son climax dans un déisme épuré. Les nouvelles spiritualités arrivent après la Mort de Dieu, et se trouvent face au paradoxe suivant : nier le caractère violent des religions institutionnelles tout en rétablissant une forme de superstition primitive : croyance aux âmes, aux esprits, revenants, fées et lutins que le matérialisme aurait passé sous les fourches caudines de la raison.

C'est l'hindouisme qui apporte la justification que tout est dieu, et que toutes les voies spirituelles se valent (relativisme). Peu importe le chemin, ce qui compte c'est l'arrivée. Une théologie rudimentaire pourrait objecter que si tout est divin (=en dieu, panentheisme), l'ensemble ne saurait se résumer à une de ses parties. En effet, soit 3=Dieu, si 3 = 1+1+1, 1 est divin mais 1=/=3. Les nouveaux syncrétismes appellent leur kenose (abaissement du divin dans la matière) : "pouvoir intentionnel" dans une phénoménologie confuse, celui-ci affranchirait des "croyances limitantes". Question : l'être humain est-il omnipotent ? Est-il omniscient? C'est encore une fois à René Descartes et plus encore au constructivisme sartrien que nous devons cette définition infinie de la liberté. Nous devons aussi à l'effondrement de la religion institutionnelle (en premier lieu le catholicisme) l'affaiblissement de l'aura divine de Dieu. Car divinisation de l'homme et humanisation de Dieu, c'est tout un.

Ces considérations sur la nature de Dieu et la nature de l'homme ne sauraient épuiser la richesse inventive du sectarisme neo-New Age. Pas plus que critiquer un point de doctrine est une tentative maladroite de réhabiliter l'idée traditionnelle de Dieu. Le dernier point qu'il reste à aborder, c'est l'individuo-globalisme*3. Nous avons commencé à le voir avec le panthéisme confus des apôtres du neo-New Age. Cependant, sa spécificité réside dans son paradoxe. L'individuo-globalisme est la pensée selon laquelle l'individu a les ressources en lui pour s'élever au niveau de la conscience globale. Il réalise la synthèse de l'individualisme et du cosmisme, l'individu global est cet individu isolé, ayant besoin d'un système de croyance partagé, une autre forme de la conscience souterraine. Il articule ainsi un "discours du développement personnel, psychique, intérieur, bref individuel d’un côté, et de l’autre, l’importance accordé au développement durable, humain, cosmique, bref global."


L'individualisme positif s'accompagne d'une condamnation du "mental" cogitant. Derrière ce terme vague, leg de la philosophie bouddhiste, on réactive une forme de diabolisation (Mental = Satan) manichéenne, oubliant que tout est formé à partir d'une unique substance, que le flux de pensées est parcouru par le flux de vie de même que les sensations, les émotions et les contemplations. Comment Lamartine aurait-il pu écrire ses méditations poétiques ? On oublie que bien et mal, joie et peine font partie d'une seule Vie tragi-comique. Quant à l'ego ou le sujet, objet de tous les scandales, on lui fait un procès, encore faut-il que la critique de l'ego ne soit pas un nouveau masque pris par celui-ci.


Loin d'être un indicateur de bonne santé , la richesse inventive héritée du romantisme occidental (a la fois post et anti-Lumieres) de l'inviduo-globalisme (que j'ai appelé neo-New Age) serait plutôt compris comme le dernier acte de la décadence de idée de Dieu, symboliquement, c'est le moment de la Passion où on decloue le Christ pour le faire descendre de la Croix et qu'il ne reste plus que son cadavre, la peinture d'Holbein dans l'Idiot de Dostoïevski. Il ne s'agissait pas pour moi de "cracher dans la soupe" comme on dit, mais de relativiser la posture omnisciente de ceux s'improvisant savants. A titre personnel, je ne suis pas non plus exempt de contradictions, et je ne jetterai pas la pierre aux adeptes de méthode Coué (même si celle-ci est fondée sur un volontarisme libéral que le déterministe que je suis refuse). Par ailleurs,.c'est un milieu qui semble chaleureux et accueillant. Qu'on ne s'y trompe pas, l'automne décadent à de sublimes couleurs, il n'en est pas moins l'automne.

1/ Emmanuel Todd - La défaite de l'Occident

2/ Dostoïevski - Carnets du sous-sol

3/ Raphaël Liogier - https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2009-1-page-135.htm#:~:text=Comme%20toute%20dogmatique%2C%20l'individuo,dans%20les%20ann%C3%A9es%201950%20%5B26%5D

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le 13 févr. 2024

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