On est à Paris, en 1962. Le porteur de cartable, c'est Omar, un sale gosse de 10 ans. Avec son père, il est tout fier de faire partie de la cellule locale du FLN, comme collecteur. Parce qu'Omar, il rêve d'une Algérie indépendante et de la grande maison que son père a promise à sa mère. Et il rêve de son chiotte et de sa douche, sans avoir à descendre plusieurs étages. Porteur de cartable, c'est un honneur, même que Messaoud, le chef local du FLN, il lui a promis un poste de ministre en Algérie quand ils auraient l'indépendance.


Bref, Omar vit tranquillement sa vie de petit rebelle de 10 ans lorsque Raphaël débarque pour foutre la merde. Alors ça, c'est la tuile. D'une Raphaël lui pique l'appart' d'en face, celui que son père s'est humilié à aller réclamer et qu'on lui a refusé. De deux, le Raphaël est un pied noir, l'ennemi juré. De trois, Raphaël, ce « petit naufragé de l'histoire » s'attire la sympathie de Thérèse Ceylac, l'institutrice dont Omar est fou d'amour. Bref, à peine débarqué, il fait chier. Et en plus, il veut gratter l'amitié.



« C'est foutu pour les pieds-noirs. Il va falloir que tu t'intègres
dans ce bled et c'est pas facile. Déjà que moi, je suis né à
l'Hotel-Dieu, juste en face de Notre-Dame et je n'y arrive pas, alors
toi, je te souhaite du courage et beaucoup de patience. »



Le livre va donc nous conter, du point de vu d'Omar, l'amitié balbutiante entre deux gosses que l'Histoire oppose. Loin d'être angéliste, le roman est plein d'humanité. Les enfants ne sont pas des figures fantasmées de vertu et de bienveillance. Bien au contraire, ce sont de véritables têtes à claques. Et c'est ce qui les rend aussi touchants. Omar est ridicule dans son rôle de caïd. Raphaël est pathétique à traîner constamment derrière son voisin.



« Ça me fait toujours de la peine des gens qui quittent leur pays.
Parce que moi aussi j'ai quitté mon pays »



Omar expliquera à Raphaël le Français comment la France fonctionne, tandis que Raphaël fera rêver Omar, l'indépendantiste algérien avec ses descriptions d'Hydra. Sur la guerre d'Algérie, Akli Tadjer ne prend pas position. Messaoud, le chef du FLN, est un sale con. Quant à l'OAS, ce n’est pas des lumières non plus. Le militantisme politique est balayé par la détresse du déracinement. Car ce que partage avant tout Raphaël et Omar, au-delà d'un palier de HLM rue Turbigot, c'est le sentiment de ne plus avoir de place nulle part, de ne pas se connaître.



« - Pourquoi le gérant leur a donné le logement alors que nous, on le
lui a demandé depuis si longtemps ?
-Peut-être parce qu'ils sont Français. De vrais François, eux.
-Mais nous on est quoi si on est pas de vrais Français ? »



C'est un roman très agréable à lire et qui a comblé chez moi une lacune. Je n'ai jamais étudié la guerre d'Algérie à l'école. Bizarrement, ça tombait toujours dans la partie du programme que mes profs d'histoire n'avaient pas le temps de faire. Bon je les comprends, c'est que le sujet est sensible. Mais grâce à ce livre, les harkis, pieds-noirs, FLN et OAS sont passés de vagues concepts à personnes très concrètes. C'est à mon avis une excellente introduction à l'étude cette période historique. Il permet de la voir au niveau de l'individu. Il m'a en tout cas bien aidé à comprendre ce que cette guerre a pu signifier pour les harkis et les pieds-noirs, au-delà de la question de la décolonisation. Et l'amertume d'Omar, causé par l'arrivée de Raphaël, reflète à mon sens très bien l'amertume que peuvent ressentir beaucoup de nos concitoyens.



« La guerre ça fait vieillir les enfants. Regarde, moi je ne fais pas
mon âge parce que les petits gros ça fait toujours plus jeune, mais, à
l'intérieur,  j’ai cent ans depuis que ma mère est chez les fous à
Sainte-Anne. »



L'écriture est très fluide et les mots en arabe, qui avaient tant effrayé les lycéens de la Somme, ne sont pas nombreux. Malgré le jeune âge des protagonistes, l'auteur n'occulte pas la tragédie humaine qu'a été (qu'est) la guerre d'Algérie. La mère de Raphaël rendue folle par le dépaysement. Les proches en prison. La peur de la police, de l'OAS, du FLN. L'attente des nouvelles d'Algérie. Les fils et les frères qui meurent au front. Ces chiffres qui deviennent des personnes. Comme dirait Omar, ça donne envie de chialer tout ça !



« Ce n'est pas grave de n'avoir encore jamais embrassé de filles à ton
âge. Moi, ce n'est que la troisième. La première c'était l'été dernier
à un mariage juif. Elle s'appelait Gisèle Aboulker. Elle venait de
manger un sandwich merguez harissa, j'ai eu la gueule en feu pendant
deux jours. »



Mais ce n'est pas qu'une tragédie. D'ailleurs, beaucoup de passages sont franchement drôles. Les amourettes des deux garçons, les limonades au bar du coin, leurs disputes sur les meilleurs chanteurs sont autant de détails qui les humanisent et les rendent attachants. La balade dans Paris au grès de leurs pérégrinations est délicieuse. Et la belle Thérèse, ah ! Thérèse !


Ma seule déception concerne la fin du roman. Il est vrai qu'il est difficile de finir un roman qui pourrait durer toute une vie, mais qui ne raconte qu'une année. Toutefois, ça m'a paru un peu tiré par les cheveux, assez improbable.


C'est vraiment le seul défaut de cet adorable roman dont je vous recommande la lecture.
Et en plus c'est court, alors faites pas les feignasses !

Felin-Sceptique
8
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Créée

le 10 déc. 2018

Critique lue 393 fois

Felin-Sceptique

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