Le récit commence laborieusement, la narration papillonnante, entre présent et passé simple, approximative, lourde. On sent comme un esprit supérieur tentant désespérément d’exprimer quelque chose d’élevé, mais la langue lui fait défaut.
Au fur et à mesure que Johan avance dans sa quête du savoir, le style se fait plus sûr, il devient agréable. Beau. La poésie fait son apparition, tremblante, bredouillante.


Johan est issu d’un milieu dont la misère n’a d’égale que la déchéance. Il grandit dans la famille de sa tante Ida, mariée à Fredrik avant d’avoir obtenu son brevet, car elle a eu le mauvais goût de tomber enceinte. Les nombreux gosses font leur apparition comme autant de verrues dans cette famille, et c’est là qu’est propulsé Johan. Ida regrette de n’avoir pas su « éduquer » son mari, lui se complait dans sa haine de tout savoir. Et des livres, leur personnification monstrueuse. Seules lumières dans le monde d’Ida, les modestes poèmes de Bertil Dahléen — surnommé La Réminiscence — et l’éclat lointain de Dieu. L’abysse de haine entre Fredrik et Ida sera définitivement creusé lorsqu’encouragée par La Réminiscence, elle écrira un poème.
La vie de Johan, elle, prend un tournant lorsqu’avec sa cousine Hedvig, il entre par effraction dans la bibliothèque d’un vieux professeur. Sa connaissance il doit la voler, depuis toujours.


— Comment vous appelez-vous ?
— Johan. Mais Hedvig n’a…
— J’ai compris. Et toi, qu’est-ce que tu as fait ?
— J’ai pris une pomme.
Mais ça faisait ridicule. Ce n’était qu’une partie de la vérité. Car il avait pris ce qui était beaucoup plus précieux. Toute la connaissance qu’il avait ingurgitée.
— Et des livres, dit-il. J’ai lu un tas de livres. Je n’ai pas pu m’en empêcher, parce qu’il n’y en a pas à la maison. Mais je les ai remis.
Et Johan avoua Perceval et Huon de Bordeaux sans prononcer le x. Il avoua les atlas et les planches des dictionnaires, les Sept Merveilles du monde, Oliver Twist, les voyages d’Humboldt — oh ! la liste était longue et ne voulait jamais s’arrêter, l’aveu était doux et méritait un châtiment très sévère.


À partir de cet épisode, la séparation entre Johan et le bourbier de Sunne est consommée. Car il est un voleur, Johan veut voler la Bible d’Argent (le Codex Argenteus) unique manuscrit existant en langue gotique, croyant que cela lui permettra de faire revenir Hedvig dans la lumière. Mais ce faisant, il l’abandonne. Et ne s’en rendra compte que trop tard. En effet, Johan devient un savant dans l’unique but d’offrir un jour un château à sa princesse pour la faire revenir des ténèbres dans lesquelles elle est plongée.


Le premier chapitre du Voleur de Bible est pénible à lire. Une légère amélioration dans le deuxième chapitre m’a rapidement fait comprendre le principe, et passé deux ou trois chapitres, les embardées poétiques surgissent comme des perles dans la boue. L’enfance à Sunne, avant que Johan devant l’inévitable ne décide de narrer son histoire à la première personne, a plus de charme que la suite du récit. De cet événement jusqu’à la fin, le style est élégant et sans taches. Mais il lui manque dès lors un certain charme, celui qui faisait savourer lentement une phrase ou quelques mots au détour d’un paragraphe.
Tantôt absurde, toujours poétique, Le Voleur de Bible est parfois d’une grande force (comme dans cette scène mémorable où Johan tente de voler – littéralement – avec des ailes, ou celle où Hedvig tord le cou de son corbeau que le prêtre refuse de baptiser). C’est un roman brillamment écrit, qui se dévoile petit à petit comme une longue confession, celle de Johan à son Juge. La tragédie filée depuis le début nous est révélée par le manuscrit de Ravenne : Johan devient alors le miroir du scribe Wiljarith. Comme lui, il sacrifie la femme aimée pour son œuvre, écrite dans une langue oubliée. Comme lui, son œuvre se révélera vaine. Le basculement dans la folie d’Hedvig, brisée par la vie qu’elle doit mener, fait d’elle un personnage purement pathétique, en contrepoint avec le tragique de Johan. Loin d’être sortie de sa prison par Johan, c’est elle qui devra en fin de compte le ramener.

Svanhildr
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le 10 févr. 2019

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