Emmené par une gouaille qu’un Auguste Breton n’aurait sûrement pas renié s’il était né en Seine Saint Denis dans les années 1980, mâtinée de multiples autres registres de langages, "Le clan Boboto" nous entraîne, dans cette banlieue déshéritée que l’auteur appelle "la zone négative", découvrir les péripéties et déboires du clan Boboto. Dans cette famille franco-africaine, chacun, à sa façon, va essayer de se sortir de la voie sans issue que constitue le fait d’être noir et d’habiter dans une cité de banlieue totalement dégradée.

Très habilement, les regards croisés des membres de cette famille construisent progressivement l’histoire commune du clan Boboto mais nous dévoilent aussi ce que les autres membres de la famille ignorent. Loin des clichés uniformes sur les banlieues, sans angélisme non plus, les personnages sont surtout des héros romanesques, très attachants car ils ont plus de substance que le stéréotype qu’ils incarnent, en particulier Mina le grand frère, monstre gentil de force et de sagesse, Scotie, « le côté obscur de la force », à la tête dès l’adolescence d’un empire contrôlant la drogue et les call-girls dans la zone, mais aussi Bany le cousin qui débarque de son bled, Andriy le junkie... pour finir bien sûr par les darons. Joss Doszen se délecte visiblement de tous les registres de langage et de pensée que ses personnages lui permettent de mettre en musique.

Un très bon moment de lecture.

« Et oui ! J’ai percé mon gars. Je suis en haut du baobab, tout en haut, pendant que tu me regardes d’en bas. Je vais épouser une babtou au sang bleu pétée de thune et commencer enfin à vivre. J’en ai fini avec la vie d’accompagnateur, je vais rejoindre le camp de ceux qui sont nés sur terre pour y vivre et non pas simplement pour faire le nombre. Grâce à ma petite Laurine je rejoins le camp des vainqueurs et tant pis si son vieux facho de père pète une durite à cause de ça. »

« J’avais onze ans quand le corps de Monsieur Gio est tombé à mes pieds, juste au moment où je tentais une passe de l’extérieur du pied gauche à Schearo. La rumeur a couru sur sa petite jeune épousée au bled qui n’avait pu supporter de partager la vie d’un chômeur père de trois gosses, et s’était barrée avec un gamin livreur de pizzas. Et sur le fait que ce serait une énième question de son fils sur ce qu’ils allaient manger ce soir qui aurait fait déborder la coupe. Il avait envoyé ses gosses chez la voisine avant de prendre la voie express : douze étages.
À l’époque, il semble que ce genre de drame fût devenu monnaie courante dans la « zone négative ». Les plus vieux disaient pourtant que les choses s’étaient calmées depuis quelques années. Les plus fragiles avaient déjà pété un plomb lors des faillites en cascade des usines du coin, ceux qui ne s’étaient pas cassé étaient les plus forts, ou n’avaient pas d’autre choix que de rester. Blancs comme noirs, la misère était la même dans la zone, mais c’est sûr que plus nous grandissions, plus les habitants du coin étaient bronzés, et plus leurs accents étaient prononcés. »
MarianneL
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le 19 févr. 2013

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