Hors de tout temps ou espace déterminé, un homme se retrouve seul au monde après ce qu’on devine être une catastrophe nucléaire améliorée. Ça aurait pu être bien pire… Le principal défi du Mariage de Dominique Hardenne est de faire vivre deux cents pages autour d’un seul personnage principal – les personnages secondaires n’étant que des ombres : deux troufions que la bêtise et le hasard ont tués, une mère dont le héros ne s’est jamais détaché, une amourette de jeunesse qu’il n’a jamais menée à son terme, et quelques autres ombres parmi les ombres…
L’une des solutions retenues par l’auteur pour faire (re)vivre morts et moribond consiste à fragmenter la chronologie : chacune des quatre parties – dans l’ordre « Été », « Hiver », « Printemps » et « Automne » – fait la part belle aux analepses. Quoiqu’on puisse le trouver facile, un tel procédé est finalement assez efficace ici. Il apporte quelques touches de couleur à un récit dont émane une grisaille générale. (À ce propos, quel graphiste daltonien a réussi à coller du violet et du fuchsia sur la couverture de la réédition au « Livre de poche » ? Il sait lire, au moins ?)
Le Mariage de Dominique Hardenne est suffisamment bien écrit et maîtrisé pour assouvir une lecture autre que distrayante. Au-delà de la plongée progressive, finalement assez convenue, du personnage principal dans la folie, Vincent Engel sait comment agencer les mots pour faire naître, sous forme d’échos, telle ou telle image-choc : ainsi « Sa cervelle [de Bizot] qui, pendant deux ans, avait en vain cherché un sens à cette guerre s’était répandue sur la terre sèche, et il n’y avait toujours aucune réponse à lire dans ces viscères répandus » (p. 55). Pas mal de thèmes du récit se répondent par le seul fait de l’écriture, de façon si naturelle que cela pourrait parfois passer inaperçu : lorsqu’il est question de « toutes les photos de la famille, tous les âges, jusqu’au flash géant de la bombe » (p. 119), c’est seulement la mention du mot flash qui donne une résonance à l’ensemble.
Le titre est à l’image d’un récit qui propose plusieurs interprétations. Sans parler de son ambiguïté finale, le Mariage de Dominique Hardenne permet différentes lectures : mise en garde contre la science mal maîtrisée, plaidoyer pacifiste, éloge du retour à la terre… Ces lectures ne sont certes ni particulièrement fortes, ni même vraiment convaincantes. Peut-être parce que le récit se veut avant tout une métaphore, qui étendrait à l’univers entier le gâchis amoureux d’un individu.

Alcofribas
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le 3 févr. 2018

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