Jonas coule une vie paisible en Érythrée avec sa famille. Doué pour la pêche et passionné par la mer, il est à la fois le héros de sa petite soeur, le bras droit de son père, le prince de sa mère et de sa grand-mère. Oui, mais à force de penser aux poissons, Jonas a négligé les cours au point de se faire exclure de l'école. Cela signifie qu'en dépit de ses quinze ans, il est disponible pour servir dans l'armée de son pays. Les parents du jeune homme s'inquiètent : il ne savent que trop bien quel sort est réservé aux jeunes militaires, et ils veulent à tout prix l'y soustraire. La mort dans l'âme, ils se résignent à prendre l'autre option : l'immigration : Jonas ira tenter sa chance en Angleterre, et on fera comme s'il avait fugué. Je n'ai pas le souvenir d'avoir lu une date précise, mais on peut dire à vue de nez que l'action se situe aux alentours de 2015.

Quelques jours plus tard, Jonas est confié à un passeur, avec dans son baluchon quelques effets personnels, dont son livre favori : Le Monde extraordinaire de la mer, l'adresse d'un cousin inconnu griffonnée au dos d'une photo, un téléphone portable. Sa mission : aller à Londres, s'y faire une place au soleil, trouver du travail. Les indications qu'on lui donne lui semblent bien abstraites, et les questions qu'il pose restent sans réponse. Mais avant même qu'il ait eu le temps de se retourner, le voilà parti en toute discrétion.

Heureusement, il a eu le temps d'offrir à sa soeur un petit calendrier de l'Avent en guise de cadeau de départ : tous les jours, du 1er au 24 décembre, elle devra ouvrir une fenêtre du calendrier et manger le chocolat qui se cache derrière. Cela lui permettra de ne pas l'oublier.  

Le prince est devenu un migrant parmi tant d'autres.

Issu d'une famille chrétienne, Jonas se sent d'abord porté par la force du prophète Jonas, celui qui a passé trois jours dans une baleine avant de délivrer le message de Dieu. Le voyage du garçon jusqu'à Calais évoque la mésaventure de son homonyme biblique : ballotté de camion en camion, aussi bien caché que s'il s'était fourré dans un gros poisson. Si personne ne le jettera par-dessus bord, d'autres migrants ne manqueront pas de le dépouiller de ses frusques pendant son sommeil. La Jungle de Calais sera un peu sa baleine ; elle ne le gardera pas trois jours mais vingt-quatre, et surtout, elle ne le recrachera pas.

En effet, Jonas se retrouve bloqué en France, à Calais plus précisément, alors qu'il est relativement près du but, en comparaison au chemin parcouru depuis l'Erythrée. Il se rend compte qu'il n'est pas facile de passer une frontière lorsqu'on n'a pas de papiers.

A travers son regard, on découvre le quotidien d'un camp de migrants, et, même nous adultes, on prend conscience de dizaines d'obstacles auxquels on ne pense pas lorsqu'on a un toit et qu'on n'est pas dans le besoin : la difficulté d'avoir les pieds protégés et au sec, l'impossibilité de se laver, d'accéder aux soins, de pouvoir protéger ses effets personnels, son intégrité physique, de franchir la barrière de la langue... L'auteur Pascal Teulade arrive à nous rendre compte efficacement de cette réalité, et il sait de quoi il cause, puisqu'il a passé plusieurs semaines dans la Jungle de Calais aux côtés de l'association Médecins du Monde.  Petit à petit, les forces du petit Érythréen s'amenuisent, le lien qui le rattache à sa famille s'élime de jour en jour. Les atteintes à son corps causées par une blessure à la main, au pied... finissent de lui saper le moral.

Un seul rayon de soleil l'empêche de sombrer au milieu des dunes et du bidonville : la compagnie d'une bande d'adolescents calaisiens plus ou moins en maraude dans la Jungle, ou en tous cas soucieux d'aider les personnes en situation précaire. La plus motivée d'entre eux est Anémone, une jeune fille avec qui Jonas sympathise malgré ses difficultés à communiquer avec elle. Leurs bonnes intentions suffiront-elles à changer le cours du destin ? On aimerait y croire, mais un ravin de misère et de paperasse les sépare. J'en profite pour glisser que ce groupe de jeunes est, à mon avis, le seul élément du roman qui ne soit pas réussi : je les trouve un peu tartes et pas du tout raccord avec les adolescents des années 2010. Mais ce n'est qu'un avis personnel.

Les très belles illustrations de la couverture et de l'intérieur du livre sont signées Marie Mignot.

BIEN que ce roman mérite son petit Prozac d'Or larmoyant d'après les fêtes, il est à mettre entre toutes les mains de la tranche 10-15 ans, je dirais, encore que, comme l'indique l'éditeur, "chaque lecteur est unique". Toute prise de conscience est un point de départ vers une amélioration dans l'accueil des migrants. On n'a pas énormément de livres, qu'il s'agisse de fictions ou de documentaires, qui parlent de ce sujet d'actualité : quand quelqu'un se bouge pour parler de questions qui dérangent et devant lesquelles on a pris l'habitude de fermer les yeux, il faut en parler et diffuser son travail.

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le 4 janv. 2020

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